Les doutes du Père Noël. Par Françoise Näser
Assistante maternelle, auteur
Tout a commencé un beau jour en découvrant sur une liste de souhaits un transat pour bébé avec support pour tablette numérique (1): il avait éclaté de rire, pensant à une blague de ses lutins très farceurs. Allait-on vraiment placer un pauvre bébé dans une situation aussi désespérante ? Pourtant, contre toute attente, la demande était grandissante. D’autre part impossible de ne pas remarquer qu’au fil des années les ordinateurs et les téléphones portables s’étaient démocratisés : chaque famille en possédait plusieurs, pour différentes utilisations. Les enfants de plus en plus jeunes souhaitaient que le Père Noël leur apporte un téléphone, véritable organe externe greffé à leurs petites mains. Copiant les adultes, ils en avaient fait leur « troisième poumon ». Difficile aujourd’hui pour eux de s’en passer car c’était le lien indéfectible avec leurs amis : un objet tribal, en quelque sorte. Impossibles à fabriquer dans l’atelier du Père Noël où les facétieux lutins ne possédaient ni la technologie ni le savoir-faire, il fallait les importer du Soleil Levant, ce qui représentait des frais énormes : le Père Noël se retrouvait avec des problèmes de trésorerie, en plus de ses problèmes d’éthique professionnelle, qui lui causaient des insomnies ! Il y avait déjà eu les robots de toutes sortes, les objets télécommandés, les consoles vidéos. Là, le Père-Noël pouvait encore suivre. Mais chaque année apportait son lot de surprises : on était passé de la 3D à la réalité virtuelle, et du virtuel à la réalité augmentée. Le Père Noël a le blues !
Une bonne nouvelle cependant lui avait mis du baume au cœur : lassé des couleurs standard imposées aléatoirement aux enfants, il avait accueilli avec joie la demande de jouets d’imitation autres que roses pour les filles et bleus pour les garçons. Des aspirateurs verts, des cuisinières rouges, des poussettes orange, voilà qui changeait un peu ! Nouvellement, certaines petites filles demandaient des garages, des établis de bricolage, des kits de scientifiques ; c’était très réjouissant ! Quelques garçons souhaitaient recevoir des poupées, des poussettes, des dînettes ; c’était encourageant. Le Père-Noël, le sourire aux lèvres, sentait sa dépression s’éloigner en y repensant. D’autre part, s’il est vrai qu’à son plus grand désarroi, il recevait quantité de courrier d’enfants lui demandant toutes sortes d’objets connectés, il recevait également des lettres d’enfants du bout du monde qui souhaitait se voir offrir une simple balle pour jouer au foot avec leurs petits voisins, des cahiers et des crayons de couleur pour apprendre à écrire et à lire, une poupée en chiffon pour consoler quelques malheurs, des bougies pour s’éclairer quand l’électricité faisait défaut, un repas chaud par jour pour lutter contre le froid et la famine. Sur son bureau très encombré, il gardait bien en vue cette petite missive toute tachée et toute déchirée qui avait longtemps voyagé et qu’il avait lue devant l’assemblée entière de ses lutins très émus : « Cher Père-Noël, peux-tu arrêter les bombes et apporter la Paix dans mon pays pour Noël, s’il te plaît ? Merci. Moi, je crois en toi et je t’aime »
(1) De la marque Fisher Price, le « Newborn-to-Toddler Apptivity Seat for IPad® » a créé en 2013 la polémique aux USA. Malgré une pétition nationale visant à faire interdire la production de cet objet, il est toujours en vente dans ce pays.
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