Bercer ou pas en crèche ? Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure.

Fotolia
bébé endormi
Presque tous les bébés apprécient d’être câlinés et bercés pour se calmer et/ou pour s’endormir.  Le bercement correspond à un mouvement lent et cadencé, sans heurt et rappelant le rythme des battements cardiaques. Il permet aux neurones de se synchroniser et au cerveau de ralentir et s’apaiser. De tout temps les parents comme les nourrices ont bercé les bébés de manière assez naturelle. Les premières professionnelles des crèches étaient même appelées « Berceuses ». Et l’on parle aujourd’hui encore de berceaux pour compter le nombre de places en crèche, tant le berceau est associé au temps du bébé. Le bercement des bébés, que ce soit en les portant ou grâce à un matériel spécifique, est présent dans toutes les cultures.

On constate que certains enfants ont plus besoin que d’autres d’être bercés et ainsi apaisés pour s’endormir. A la maison ils ne s’endorment que s’ils sont longuement bercés par leurs parents. Fut un temps on aurait qualifié cela de mauvaise habitude, aujourd’hui nous savons que tout apaisement de ce type participe au bon développement de l’enfant et protège son cerveau. En effet, en l’aidant à s’apaiser, on évite à son corps de secréter des hormones liées au stress et qui sont défavorables à la bonne marche de ses connexions cérébrales. Au contraire, le fait de répondre à son besoin, entraîne chez lui la sécrétion d’hormones antistress protectrices du bon développement de son cerveau et donc aussi de ses apprentissages. L’enfant apprend de plus que les adultes peuvent intervenir au bon moment pour le calmer et donc qu’il peut leur faire confiance. Ceci est à la base de la théorie de l’attachement. C’est-à-dire le fait qu’un enfant s’attache aux personnes qui s’occupent régulièrement et fréquemment de lui et répondent à ses besoins. C’est vers elles qu’il peut se retourner dès qu’il se sent en danger, dès qu’il rencontre un problème, dès qu’il a peur.

Pour autant, un même bébé ne se comporte pas de manière identique dans tous les environnements dans lesquels il est accueilli. Les personnes et les locaux de la crèche correspondent à un environnement différent de la maison avec ses parents. Il doit apprendre les deux en même temps. Il construit ses comportements et son histoire relationnelle en fonction des personnes qui s’occupent de lui, en fonction des repères sensoriels qu’il perçoit et de ses propres sensations. Ainsi, un bébé peut demander à être bercé chez lui, par ses parents, et ne pas en avoir besoin à la crèche. Et l’inverse est aussi vrai. Il peut très bien s’installer dans une relation de bercement à la crèche, alors même que cela ne lui est pas proposé par ses parents à la maison. En fait, il apprend le monde qui lui est proposé en faisant des liens entre les aspects qui reviennent régulièrement et l’environnement dans lequel il se trouve. Par exemple, à la crèche, il peut apprendre que chaque fois qu’on lui enfile une turbulette, qu’on lui donne son doudou et qu’il se trouve allongé dans son lit qui a la même odeur, couleur, texture et goût, il peut s’endormir sans crainte. Et ce, même si à la maison les repères son différents : c’est quand il perçoit l’odeur de papa et maman, le bruit de leur respiration et le mouvement de leur bras qu’il peut dormir. 

C’est comme si le bébé apprenait deux langues différentes en même temps. Il en est capable et cela ne lui pose aucun problème. Ce sont les adultes qui, lorsqu’ils sont face à un bébé qui pleure, au lieu de lui laisser le temps d’apprendre les prémices de cette langue, ont peur qu’il ne soit capable d’en apprendre qu’une seule, celle qui lui a été proposée en premier. Ils se demandent donc s’ils ne doivent pas, eux-mêmes parler aussi cette langue, celle du bercement, alors qu’ils n’en ont même pas la possibilité. C’est bien mal connaitre les capacités d’apprentissage si importantes des bébés qui, si on leur en laisse le temps, savent très bien différencier les deux environnements. C’est d’ailleurs de cette manière qu’ils apprennent, en cherchant à savoir ce qui est identique et ce qui est différent, en faisant des liens, des statistiques et en tirant des conclusions à partir des faits qui ont tendance à se répéter.

Notre travail de professionnels de l’accueil et de l’éducation de jeunes enfants n’est pas forcément de reproduire ce qui se fait à la maison en pensant que cela va aider l’enfant car il se repèrera mieux. Ses habitudes sont apprises depuis trop récemment et il est équipé pour apprendre plusieurs mondes en même temps en liant ce qui se passe régulièrement dans cet environnement avec les perceptions sensorielles qui lui sont renvoyées. Ce que nous ne savons plus faire nous les adultes. Et c’est pour cela que nous avons tant de résistances aux changements et tant de difficultés à apprendre une langue étrangère. Notre travail est de trouver comment bien accueillir ce bébé, afin qu’il s’apaise, que son cerveau soit protégé, qu’il s’attache et soit sécurisé avec nous. Peut-être ce sera de le bercer, certes plus occasionnellement ou moins longtemps que ce n’est fait à la maison. Mais peut-être que le déposer délicatement dans son lit ou lui chanter une chanson douce va aussi très bien lui convenir… Tout est à apprendre pour lui, et pour nous également, le concernant. Et c’est important car c’est à partir de là qu’il partira à l’aventure du jeu et des savoirs. Donc pas de systématisme, pas d’angoisse non plus si un parent nous annonce que son enfant est bercé longuement à la maison. Car c’est de notre peur que naissent les crispations de l’enfant. En ayant confiance en nous et en notre capacité de trouver ce qui aidera cet enfant, dans notre environnement, avec nos possibilités, il a toutes les chances de bien aller. Et pas question de dire aux parents de cesser leurs bercements ! Car il est toujours plus intéressant pour un enfant d’apprendre deux langues en même temps !
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 03 avril 2018
Mis à jour le 03 avril 2018