Ce que tu fais m’intéresse car je sais que tu apprends. Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

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bébé mange seul à la cuiller
La socialisation, tout comme l’apprentissage, est un processus qui ne démarre pas à la crèche mais commence à la naissance. En entrant dans ce monde, le bébé le découvre et se trouve d’emblée en contact avec cette société humaine à laquelle, par ses parents, il appartient et dont il va apprendre peu à peu les contours.

La crèche est une autre occasion, un autre lieu de socialisation. Elle n’est ni le premier, ni l’indispensable, avant cet autre que sera l’école. Mais elle est une chance supplémentaire. En étant plongé et en évoluant dans cette microsociété « crèche » l’enfant profite d’un autre lieu de socialisation. Il comprend petit à petit son fonctionnement, sa place et celles des autres. Ses apprentissages sont toujours implicites. Il sent, il observe, il imite, il essaie, il découvre, il agit, il réagit, il comprend, il recommence. Mais ce ne sont jamais ni les commentaires, ni les demandes, ni les démonstrations, ni les éclaircissements des adultes qui lui permettent d’apprendre. Il a besoin de concrétiser avec son corps, avec des objets, avec d’autres, l’ensemble de ses expériences. Par exemple ce n’est pas parce que l’adulte lui montre comment manger avec sa cuillère qu’il apprend à le faire, mais c’est parce qu’il voit manger les autres avec une cuillère et parce qu’il essaie de manger avec une cuillère qu’il apprend à le faire. C’est ainsi qu’il va apprendre à se mouvoir, apprendre à aller vers les objets et les autres, apprendre les caractéristiques de ces objets et de ces autres et donc les lois physiques et relationnelles et apprendre comment il peut agir dessus ou interagir avec.  Tout un programme !

Tout enfant désire apprendre, découvrir, expérimenter. Il semble programmé pour cela et est mû par ce désir incontrôlable. Et c’est bien ce dernier que les professionnels doivent accompagner, sans contraintes, ni contrôles, avec bienveillance, et surtout, sans jamais risquer de l’éteindre ! Cela ne peut se faire que si l’équipe de la crèche crée un environnement équilibré entre sécurité et aventure et si chaque professionnel sait comment faire.

Non seulement chacun doit savoir préserver la liberté de jouer des enfants, c’est-à-dire celle qui consiste à les laisser inventer leurs jeux, à être à la fois auteurs et acteurs, mais aussi doit pouvoir s’intéresser à leurs actions. Le cœur de métier des professionnels de crèche n’est plus la « surveillance ». Il n’est plus de veiller sur les enfants en n’intervenant que lors des conflits ou autres difficultés. Il n’est pas non plus de devenir des professeurs demandant aux enfants de coller des gommettes dans un rond ou sur un sapin de Noël pour décorer la crèche ou pour montrer aux parents des capacités insoupçonnées de leur enfant. Il est de donner une valeur ajoutée aux actions des enfants.

Ce qui compte pour un enfant, c’est l’intérêt qu’on lui porte. L’intérêt que l’on place sur lui et aussi celui que l’on porte sur ce qu’il fait, au moment où il le fait…C’est cet intérêt bienveillant qui donne confiance à l’enfant. Il ne s’agit pas ici de valorisation ou de jugement, même positif. Il ne s’agit pas de dire à l’enfant que ce qu’il fait est beau ou bien. Il ne s’agit pas de dire bravo à chaque action et de laisser enfler son égo sans commune mesure. Mais il s’agit de s’intéresser vraiment à ce qu’il fait. Il s’agit d’entrer dans son monde, d’aller vers lui, vers ce qui mobilise son attention, pour le comprendre et le lui signifier.

Avec une organisation en pédagogie Itinérance ludique, les professionnels se fixent un objectif d’accompagnement des enfants dans les univers ludiques. Chaque professionnel s’occupe d’un univers spécifique de manière stable et sur une durée suffisamment longue pour que les enfants puissent, dans leurs allers et retours, retrouver la même personne. Chaque univers permet aux enfants de créer des jeux différents, sans pour autant les surcharger de sollicitations, puisqu’il n’y a qu’un seul univers par espace donné et non une multitude de « coins-jeux » dans un même espace. Cette organisation permet de les aider à développer leur concentration plus facilement. Car comme le souligne Stanislas Dehaene 1, l’attention est le premier pilier de l’apprentissage.

Les jeunes enfants ont du mal à se concentrer, ils s’intéressent à tout mais ne développent le contrôle de l’attention, c’est-à-dire la capacité à se concentrer sur une tâche en inhibant les sollicitations extérieures, que très lentement. Or, faire attention est nécessaire à tout apprentissage. Donc ne pas surcharger les enfants de messages leur permet de mieux apprendre à se concentrer. Pour autant il leur faut des activités variées pour stimuler l’ensemble de leurs compétences. En cheminant dans les différents univers ludiques dont les orientations d’apprentissages sont définies (apprentissages moteurs, sensoriels, manipulatoires, constructifs, langagiers, imitatifs), ils ont la possibilité de se concentrer à chaque passage, pourvu qu’ils soient accompagnés.

En effet les enfants font d’autant plus attention à leurs actions si la personne qui les accompagne y prête aussi une grande attention. Les jeunes enfants sont particulièrement sensibles au regard et à l’attitude de l’adulte présent avec eux. Si cette personne entre en contact visuel et verbal avec eux, alors cela les incite à partager leur attention et leur donne une chance de retenir les informations données au sujet de leurs expériences. Dans le cas d’un fonctionnement pédagogique en Itinérance ludique, la stabilité de la personne présente à chaque univers ludique donne la possibilité de connaître les expériences des enfants, même lorsqu’ils vont et viennent. C’est par exemple le cas d’un enfant qui, dans un univers de construction, faisait précédemment des alignements en hauteur (des tours) et, après être allé dans d’autres univers, revient faire des alignements à l’horizontal (des chemins). Il s’agit toujours d’expériences d’alignement permettant à l’enfant d’explorer la combinaison des objets dans l’espace.
En comprenant ce que l’enfant fait, le professionnel peut exprimer son attention par le regard et la parole, incitant ainsi l’enfant à poursuivre, à se concentrer et à comprendre ses actions. Cette attention conjointe peut aussi se retrouver dans l’imitation des actions de l’enfant par l’adulte : faire des tours ou des chemins ensemble. Rejoindre l’enfant dans ses expériences permet à l’adulte de lui signifier qu’elles sont intéressantes et leur donne une valeur. L’enfant peut alors aller plus loin, par exemple aligner les objets à l’horizontal mais sur une nouvelle hauteur, ou bien il peut poursuivre une autre idée. Il sait qu’il est accompagné, il peut avoir confiance.


1.Stanislas Dehaene, Apprendre. Les talents du cerveau, le défi des machines, Odile Jacob, 2018
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 06 mai 2019
Mis à jour le 07 mai 2019