C’est pas nous, c’est la direction ! Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

iStock
Groupe de bébés avec professionnelle
La sortie du matin est indispensable : « Oh mais non il fait trop froid, on ne sort pas, sinon les enfants seront malades et nous aussi d’ailleurs !»
Les univers ludiques doivent être riches d’exploration et enrichis régulièrement : « Mais attention, ne mettons pas trop de matériel ludique, il faut ranger ensuite. »
Le ménage de la crèche est fait après le départ des enfants : « Oui mais on va le faire un peu plus tôt, il n’y a plus que trois enfants, comme ça on pourra partir vite. »
Les biberons sont faits à la demande : « Mais c’est plus pratique pour nous de les faire tous le matin et de les conserver au réfrigérateur. »
Les enfants sont couchés juste après le déjeuner : « Oui mais on les laisse jouer un peu, comme ça ils sont  couchés plus tard et dorment plus longtemps. »
L’accès des enfants aux livres est libre : « Oui ce serait bien, mais en fait mieux vaut les donner quand nous nous le décidons, sinon ils les déchirent. »

Je pourrais continuer ainsi avec bien d’autres pratiques pédagogiques qui, même si elles sont établies par le cadre pédagogique, prévues, expliquées et argumentées par les encadrants, dérivent et ne sont pas ou plus appliquées correctement par les professionnels, pour bien des raisons dont je ne donne ici qu’un seul argument, entendu. Cela est dommageable pour les enfants, mais il y a aussi autre chose derrière : la manipulation plus ou moins consciente de certaines équipes. Le fameux : « Ce n’est pas de notre faute, c’est la direction qui veut ça ! »
D’un côté nous avons des parents fort justement mécontents car les enfants ne sortent pas assez. Des parents qui s’étonnent de voir qu’un professionnel fait le ménage autour des enfants. Des parents qui ne comprennent pas que le biberon de leur enfant soit réchauffé alors qu’il le prend à température ambiante. Des parents qui disent qu’il n’y a pas assez de jouets pour les enfants, ou regrettent que leur enfant n’ait pas accès aux livres, etc. 

De l’autre il y a ces mêmes parents  qui disent « adorer » les professionnels qui s’occupent de leur enfant. De ce fait, quitte à être fâchés de toutes ces pratiques qui ne correspondent pas à leurs attentes, autant que ce soit envers la direction ! Car, d’une part, c’est bien cette même direction qui ne tient pas sa parole. Elle avait annoncé des pratiques qui ne correspondent pas à la réalité. Et d’autre part, cela ne peut être que la faute de la direction. Achète-elle assez de jeux ? Donne-t-elle les moyens humains ou matériels au personnel de la crèche pour assurer les sorties ? Recrute-t-elle du personnel de ménage ?

Le cadre pédagogique est bien prévu et les moyens sont donnés. Les enfants doivent sortir le matin selon une procédure établie avec un nombre d’enfants défini par adulte et les poussettes et porte-bébés nécessaires, les biberons doivent être faits à la demande et le nombre de professionnels auprès des enfants est plus que largement au-dessus des normes, un temps de travail hors de la présence des enfants est prévu pour faire le ménage et les univers ludiques sont choisis par les professionnels selon un planning établi et doivent être enrichis en fonction du déroulement des journées.
La seule réponse possible à faire aux parents est : « Vous avez raison ! » Mais cela revient aussi à dire que les professionnels ne font pas le travail demandé ! Et ça les parents ne peuvent l’admettre, ni même l’entendre : « Comment ça ? Cette professionnelle que j’apprécie tant, qui est une perle tant elle s’occupe bien de mon enfant, qui est si accueillante, si sympathique avec moi et avec mon petit, comment pourrait-elle être incriminée par un cadre que je connais peu et avec lequel je n’ai pas de rapport affectif ? Je ne peux pas imaginer que c’est ma professionnelle adorée qui ne respecte pas les attendus pédagogiques qui sont les miens. Je ne peux donc pas imaginer que ces mêmes attendus pédagogiques soient aussi ceux de la direction de la crèche. Donc la seule solution est que c’est bien la direction qui ne fait pas ce qu’il faut et non les professionnels ! »

Nombre de directrices de crèche se sont retrouvées dans cette situation ubuesque et inextricable. Se sentir attaquées par des parents alors même qu’elles ont donné les directives correspondant aux raisons de ces attaques et qui  n’ont pas été suivies. Ce que vous voulez, en tant que directrice, c’est aussi ce que les parents veulent. Ce que vous demandez aux professionnels, en tant que cadre, c’est aussi ce que les parents demandent. Mais au final, ce n’est pas ce qui est appliqué et c’est à vous que cela est reproché. Normal, puisque c’est vous le cadre, c’est donc votre responsabilité.
Faut-il alors mettre en place un management plus serré ? Sans doute, mais alors il vous est reproché de ne pas laisser assez d’autonomie et de choix à votre équipe ; reproche établi par ces mêmes parents qui réclament les pratiques annoncées et aussi par ces professionnels qui ne veulent légitimement pas se sentir harcelés. Il nous faut comprendre les parents et les professionnels. Les parents ont peur de perdre les professionnels avec lesquels une confiance réciproque s’est installée au fil des jours, surtout ne pas les brusquer. Les professionnels souhaitent faire ce qui leur semble bien et attendent des cadres une aide, mais pas une remise en cause, surtout ne rien changer. Or, impossible de mettre en place des pratiques de qualité, sans réflexion ni remise en cause des croyances et habitudes de chacun, y compris celle de tout remettre sur le dos de la direction ! Donc, en toute bienveillance et bientraitance, certaines directrices s’enferment dans une stature dite politiquement correcte  de type : « l’équipe n’a sans doute pas compris, ou il s’agit peut-être d’un malentendu auquel nous allons remédier », ou encore « nous allons retravailler la question ensemble… ».

D’autres jettent l’éponge et s’en vont. Elles ne souhaitent plus se battre contre des équipes qui ne veulent pas bouger et qui manipulent les parents, les plaçant dans un paradoxe difficile à dépasser, sorte de revanche ancestrale et inconsciente des plus faibles sur les plus forts. Comme s’ils disaient à leur directrice : « vous voyez c’est vous le problème, nous les parents nous aiment, nous sommes les faibles gentils et vous les forts méchants. Vous avez du pouvoir, mais nous en avons aussi… »

Au final la seule solution est de recruter du personnel en accord REEL avec la direction, la pédagogie et les pratiques choisies, seul moyen pour assurer l’harmonie et montrer aux parents que toute direction a toujours pour but le bien-être des enfants.
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 07 avril 2019
Mis à jour le 24 juillet 2019
Portrait de Utopie
le 15/04/2019 à 11h22

Ça s’appelle l’utopie... des équipes qui adhèrent complètement au projet éducatif, en toute conscience et autonomie, qui remet en question sa pratique, qui a les moyens humains et matériels d’accompagner les enfants, du temps pour se réunir... ça n’existe pas.