Crèches : pratiques du passé ou du présent, sans avenir ? Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

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Professionnelle de l
Personnel en blouse de travail, sonnerie à l’entrée de la crèche et parents qui ne rentrent pas dans la salle de jeux des enfants, enfant passé par un portillon ou un guichet, changes systématiques des couches toutes les trois heures avec notation écrite des contenus de ces dernières, silence exigé pendant les temps de sommeil, écart de trois ou quatre heures minimum entre les repas, pesée des aliments donnés aux enfants, pesée aussi des enfants, sans compter les sur-chaussures pour les visiteurs et la feuille de route de chaque enfant… Cela ne vous rappelle rien ? Moi si car c’est un copié/collé de pratiques hospitalières dont nous avions tenté de nous débarrasser à la fin du siècle dernier.

Que s’est-il donc passé pour que ces pratiques ressurgissent à ce point sans que personne ne s’en étonne vraiment dans les crèches concernées ? Et ceci, alors même qu’elles vont totalement à l’encontre des préconisations du Cadre national pour l’accueil du jeune enfant dirigé par Sylvianne Giampino en 2017. En effet, découlant de ce Cadre, la Charte d’accueil promeut l’accueil parental, la bienveillance, la liberté ludique des enfants et les échanges et partenariats éducatifs entre les parents et les professionnels. Elle ne parle pas d’hygiène, de maintien des parents à l’écart de la crèche et du contrôle par les professionnels de ce qui entre et sort du corps des bébés ! Elle insiste au contraire sur le fait qu’accueillir un enfant correspond à lui offrir l’environnement le plus adapté à son développement et ses apprentissages, et que ses parents font partie de cette environnement.

Qu’a-t-il bien pu se passer pour que certaines pratiques de crèches soient à ce jour à ce point à contre-courant de l’orientation actuelle qui se veut plus éducative et plus accueillante ? On peut se poser la question.

Est-ce que ce sont les dirigeants et gestionnaires de nouvelles crèches, qui, faute de connaissances sur la crèche, projettent leurs propres représentations : un lieu très protégé des agressions microbiennes extérieures, un lieu où l’on fait pousser les bébés et où on surveille leur croissance, bref un lieu de garde service rendu aux parents ? Non, car ils se battent au contraire pour que les parents, qui pour certaines crèches privées sont aussi des clients ou sont envoyés par des clients, soient accueillis le mieux possible et ils prônent des pédagogies nouvelles pour se distinguer favorablement les uns des autres. Ils sont les premiers à pousser vers plus d’éducatif dans les crèches, parfois au risque de se perdre du côté obscure des pratiques scolaires.

Est-ce que ce sont les infirmières et les puéricultrices de ces crèches qui cherchent à légitimer leur présence en arrosant les équipes de demandes hygiénistes et en prônant le contrôle de la croissance physique des enfants ? Non car il n’y a tout simplement pas d’infirmières ni de puéricultrices dans la majorité de ces crèches. Les directeurs ou directrices sont la plupart du temps des éducateurs et éducatrices de jeunes enfants et dans la Micro-Crèche, les référents techniques, c’est-à-dire ceux à qui l’on se réfère pour la mise en application des objectifs éducatifs et donc des pratiques pédagogiques, sont aussi, à 90% des éducateurs, de jeunes enfants. Le mystère s’épaissit…

Serait-ce alors les professionnels eux-mêmes qui décident de travailler ainsi de leur propre chef ? C’est probable car ce sont dans les crèches où l’encadrement est le plus éloigné, comme dans la Micro-Crèche, lorsque le référent technique éducateur n’est que peu présent, que l’on retrouve le plus souvent cette dérive d’un autre temps.

Qui sont ces professionnels ? Le plus souvent des personnes peu formées sur les sujets du développement de l’enfant, de ses apprentissages et de ses besoins affectifs, relationnels ou émotionnels.  Ils ont reçu une formation bien trop courte et bien trop succincte qui leur a donné des bases pour s’occuper d’un bébé afin de répondre à ses besoins primaires et de le mettre en sécurité. Or, dans certaines crèches ces professionnels sont seuls toute la journée avec les enfants et s’organisent au mieux avec ce qu’ils ont appris.
On leur a dit qu’un enfant devait avoir sa couche changée toutes les trois heures, alors ils changent systématiquement tous les enfants à heure fixe afin d’en oublier aucun, ce qui, selon eux, fâcherait les parents.
On leur a dit qu’un bébé qui a une alimentation diversifiée devait manger 200 gr de purée et 20 gr de viande, alors ils pèsent le repas de chaque enfant pour être certains de donner ce qu’il faut, mais pas trop, il ne faudrait pas qu’il soit obèse, et pas trop peu, il faut qu’il grossisse tout de même, quitte à le forcer un peu à manger sa dose.
On leur a dit qu’il fallait que la crèche soit propre et on leur a appris comment la nettoyer de manière professionnelle, c’est-à-dire hospitalière : balayage humide et serpillère avec système des deux seaux et passage en zigzag sans retour en arrière, alors ils préfèrent que les parents ne rentrent pas dans la salle pour ne pas faire que ça !
On leur a dit que le sommeil était ce qu’il y avait de plus important pour un enfant, alors ils le privilégient au jeu et cherche des tactiques pour que ce sommeil dure le plus longtemps possible, au grand dam parfois des parents qui estiment que leur enfant dort trop ou trop tardivement à la crèche. Mais d’autres parents trouvent que leur petit ne dort pas assez. Alors comment savoir, quand on n’a justement pas appris à travailler le partenariat éducatif avec les parents ?  Et enfin que dire aux parents matin et soir sinon que cela se passe bien ou mal pour leur enfant en leur donnant le bilan des entrées et des sorties, et du temps de sommeil, quitte à les fâcher !

On ne peut pas en vouloir à ces professionnels de ne pas savoir ! L’une d’elles ne m’a dit récemment : « mais comment voulez-vous que je parle des apprentissages de l’enfant aux parents car moi-même je ne sais pas ce qu’il fait vraiment ? » Elle a raison, ces professionnels ne peuvent parler que ce qu’ils connaissent, que de ce qu’ils ont appris, que des pratiques dont on leur a parler et qui chaque jour font leur quotidien professionnel.

Observer les actions des enfants, comprendre leurs recherches et les traduire en actes d’apprentissage est impossible pour ces professionnels. Donc ils ne sont coupables de rien. Nous ne pouvons pas demander à des professionnels de penser et réfléchir à des concepts non appris. Et si ces professionnels ne sont pas accompagnés quotidiennement par des éducateurs de jeunes enfants qui leur montrent et leur demandent telle pratique d’accueil et d’éducation, tel comportement bienveillant avec l’enfant, alors nous nous retrouvons rapidement au siècle passé avec les mêmes erreurs. C’est-à-dire qu’il n’est plus tenu plus compte que du corps de l’enfant, et non de l’enfant lui-même. Il devient cet être à façonner plus qu’à comprendre, ce qui est une vraie régression au regard des savoirs actuels sur ses capacités d’apprentissage dans un environnement riche et soutenant. Conclusion, si nous voulons un avenir radieux pour les enfants des crèches, il ne faut pas envisager de crèches sans éducateurs de jeunes enfants, présents en continu auprès des autres professionnels.
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 26 septembre 2019
Mis à jour le 03 octobre 2019