Exigeons le meilleur pour nos enfants, travaillons à la qualité éducative. Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

Pinterest
enfants en itinérance ludique à la crèche
La pédagogie Itinérance Ludique en crèche est une pédagogie exigeante. C’est vrai. Mais les enfants les plus petits, ceux qui sont si dépendants des adultes qui les accompagnent, ne sont-ils pas en droit de vivre dans un environnement exigeant ? Cette pédagogie prévoit que des univers ludiques sont installés dans l’ensemble des espaces de la crèche et sont utilisés par tous les enfants avec autant d’allées et venues qu’ils souhaitent dans une réelle liberté ludique.
A chaque univers ludique est affecté un professionnel en charge d’assurer la sécurité physique et affective des enfants présents à l’univers. Il est le port d’attache des enfants qui en ont besoin et accompagne les apprentissages de chacun. La notion de sections s’efface au profit d’espaces ludiques ouverts qui peuvent être : sensoriels, moteurs, de manipulations, d’imitation, d’expression, de création, de construction, etc.  
Cette exigence entraîne nécessairement des objections émises par les professionnels :

Les enfants s’ennuient lorsqu’ils n’ont pas beaucoup de jouets, lorsqu’il n’y a pas de nombreux coins de jeux.  
Mais n’est-ce pas les adultes qui s’ennuient ? Car chacun sait qu’un enfant peut jouer avec peu de choses du moment que les objets qu’ils découvrent lui apportent de nombreuses possibilités exploratoires. Parfois un bout de ficelle, un carton et quelques feuilles suffisent. A l’inverse, plus il y a de jouets dans son environnement, plus il passe de l’un à l’autre sans pouvoir les explorer complètement, tant il est mu par sa curiosité naturelle. Oui la pédagogie Itinérance Ludique est exigeante car il faut réfléchir à ce que nous proposons aux enfants et pas seulement choisir des jouets dans des catalogues.
Les enfants ont moins de choix s’il n’y a pas l’ensemble des coins de jeux. De ce fait il s’agit du choix de l’adulte.
Quelle idée ! Il s’agit toujours au départ du choix de l’adulte, car c’est bien lui qui installe l’environnement, le cadre de vie de l’enfant. S’il en met moins, c’est pour que les enfants puissent bouger et être réellement accompagnés par la présence de l’adulte à chaque univers ludique, car il ne peut pas se dédoubler sur l’ensemble des coins de jeux. La pédagogie Itinérance Ludique est exigeante car elle demande un investissement de l’adulte dans les jeux des enfants et pas seulement une surveillance plus ou moins proche.

On ne répond pas au besoin de l’enfant qui veut la voiture alors que les univers proposés sont dinette et motricité.
Nous devons faire de manière bien plus fine la différence entre désir et besoin. L’enfant a besoin de jouer, certes. Il trouvera dans son environnement, s’il est assez riche et accompagné, de quoi se satisfaire, seul et avec les autres. Mais il a aussi le droit de désirer la voiture. Pour autant les désirs des humains sont insatiables et après la voiture ce sera la poupée ou le train.
Ce qui importe c’est notre attitude éducative vis-à-vis de cet enfant et non la réponse à son désir. Reconnaitre son désir, le plaisir qu’il a eu à jouer avec la voiture et l’attente qu’il va devoir avoir, avant de jouer de nouveau avec cette voiture. Les jeunes enfants apprennent ainsi à ne pas obtenir tout ce qu’ils veulent tout de suite, à attendre, et aussi à ne pas avoir toujours ce qu’ils désirent…
Oui cette pédagogie est exigeante car elle demande aux professionnels d’être des éducateurs.

Les enfants bougent beaucoup et ne sont pas « canalisés ».
Heureusement que les enfants de moins de trois ans bougent. Cela est leur premier grand apprentissage : apprendre à se mouvoir pour aller vers les autres, vers les objets et comprendre et maitriser aisément le fonctionnement de leur corps, de leurs mouvements dans l’espace. Aucun psychomotricien ne me contredira sur ce sujet, ni aucun psychologue du développement. Le mouvement est la base de tous les autres apprentissages du bébé.
Alors changeons nos habitudes et acceptons ce mouvement. Faisons de la place, enlevons les tables, évitons de demander aux enfants d’arrêter de courir, ils ne peuvent faire autrement, et créons de quoi satisfaire ce « vrai » besoin. Oui cette pédagogie est exigeante car elle demande d’accepter la nature du jeune enfant et le laisser « pousser » à la manière d’un jardinier, sans espérer le « façonner » à la manière d’un menuisier.

Les plus petits embêtent les plus grands. Ils détruisent leurs constructions.
Mais où sont les adultes ? Peut-être n’est-il pas possible de protéger la construction de l’enfant d’emblée et cela n’est sans doute pas souhaitable car il s’agit aussi d’un apprentissage que de constater que sa construction peut être détruite par d’autres. Mais lorsqu’on constate que cette destruction embête l’enfant qui en est l’auteur (ce qui n’est pas toujours le cas car souvent cela se transforme aussi en jeu à plusieurs, détruire est nécessaire pour construire), alors il faut lui indiquer que l’on a vu son problème, que nous sommes là et qu’il peut construire à nouveau plus près de nous pour que nous soyons en mesure de protéger son second essai. Le rôle protecteur de l’adulte s’inscrit ici.
Pour autant, j’ai plus souvent été amenée à constater ce problème entre enfants dits grands qu’entre les petits et les grands. En effet, détruire la tour est un vrai plaisir d’enfant de deux ans, que ce soit la sienne ou celle de l’autre ! La pédagogie Itinérance Ludique est exigeante car elle oblige à se poser les vraies questions sur le comportement des enfants et à intervenir en replaçant l’adulte à sa juste place, celle de protecteur, mais uniquement lorsque cela est demandé par l’enfant.

Les plus petits sont agressés par les plus grands.
Mais encore une fois, où sont les adultes ? Car pour apprendre à canaliser son agressivité l’enfant a besoin de l’adulte. Ce dernier doit reprendre systématiquement un enfant qui a des gestes agressifs, qui tape, mord, griffe ou pince en le lui interdisant et en lui montrant ce qui est possible de faire. En gros, un bébé n’est pas là pour être mordu, mais il peut recevoir des bisous et des caresses. Apprendre à gérer ses comportements en lien avec ses émotions ne se fait pas du jour au lendemain. Il faut des occasions pour apprendre, et en cela la crèche est un environnement favorable. Elle permet aux enfants de faire leurs expériences concernant les relations sociales et développer ainsi leurs capacités d’empathie. A conditions qu’ils puissent faire ces expériences. Alors oui lorsque des tout-petits, qui ne se déplacent pas encore, sont présents, cela nécessite la présence continue d’un adulte sur le tapis.
En cela la pédagogie Itinérance Ludique est une pédagogie exigeante, car il n’est pas question de s’en aller faire autre chose. Il faut assurer tant la sécurité physique des petits et éviter tout risque d’agression des plus grands qu’ assurer leur sécurité affective ! Mais qui irait penser que ces petits seraient mieux derrière des barrières, dans des petits espaces bien protégés, sans relations sociales avec les plus grands qui les fascinent tant ?

Il est impossible de faire des transmissions sur les enfants qu’on a peu vus dans la journée.
C’est une réalité si l’on reste sur les outils actuels et sur le concept de transmissions tel qu’il est aujourd’hui. Or une pédagogie spécifique incite à l’invention de concepts et d’outils en rapport. Passer des transmissions à la communication par exemple. Répondre aux demandes individuelles des familles et non à un protocole prévu. Etablir une documentation individuelle et collective qui cherche à montrer ce que les enfants apprennent à la crèche et valorise le travail des professionnels. La pédagogie Itinérance Ludique est exigeante car elle oblige à repenser entièrement le travail et pas seulement à appliquer de trop vieilles recettes.
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 08 juillet 2019
Mis à jour le 09 juillet 2019