Il pleure dans son lit ! Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure.

bébé pleure dans son lit
Une collègue de crèche me demandait récemment mon avis sur les pleurs des enfants en lien avec le sommeil. A son grand étonnement, elle constatait que dans sa crèche les enfants pouvaient être couchés dans leur lit et laissés en pleurs pendant de longues minutes. « En effet, me demandait-elle, ne doit-on pas veiller à diminuer le stress des petits en les accompagnant plus longuement vers le sommeil, en les berçant par exemple, afin de les aider à s’endormir ? Les dernières études ne montrent-elles pas que ceux qu’on ne laisse pas pleurer dans leur lit, sont finalement plus calmes et ne devienne pas pour autant « capricieux » » ? Auparavant elle avait interrogé les membres de cette équipe sur les enfants pleurant dans leur lit. Ils lui avaient répondu qu’après avoir interrogé les parents à ce sujet, ils avaient décidé de suivre le même chemin qu’eux : laisser l’enfant pleurer dans son lit. Leur pratique était donc de laisser pleurer les enfants qui, de toutes les façons, avaient pour habitude de pleurer, chez eux également.
Quel impact alors sur les enfants ? Car les pleurs sont la manifestation d’un problème, le signe d’alerte donné par l’enfant pour l’exprimer. Et la non réponse de l’adulte à ses pleurs augmente de façon importante son stress.  Quelle réponse apporter ?

D’abord se tourner vers les spécialistes ou vers les études en question. Clairement, le stress répété des jeunes enfants provoque des modifications biologiques qui ont un impact avéré sur le développement de leurs connexions cérébrales. Les enfants qu’on a laissé pleurer des longues périodes pendant leurs premiers mois ont un développement cognitif moins important que ce qu’ils devraient avoir. Ils ont besoin de la chaleur physique des adultes pour faire baisser leur stress et construire des liens d’attachement sûrs en toute confiance.
La crèche a pour objectif pédagogique de créer un environnement sécurisant pour les jeunes enfants, afin qu’ils puissent s’aventurer dans les jeux. C’est justement cet équilibre entre sécurité et aventure qui est profitable aux enfants.

Ensuite et surtout il faut s’interroger sur le fait que, pour leurs actions, les professionnels s’appuient sur le mythe de la continuité de rythme de vie entre la maison et la crèche avec pour corolaire celles des pratiques éducatives parentales.  De ce fait ce qu’ils ont appris sur le développement des enfants en général ou ce qu’ils observent de l’enfant de particulier est moins pris en considération. Ainsi un enfant bercé chez lui est accueilli avec appréhension par l’équipe car il est probable qu’il demande une attention particulière, voire prenante, avant même de voir qu’elle sera ses réactions. Et un enfant qui pleure lorsqu’il est couché par ses parents à la maison ne requiert, à l’inverse, pas plus d’attention, car cela entre dans son rythme et ses habitudes de vie. Donc c’est normal ! Le discours des parents justifie ici la pratique professionnelle.  Bref la « parole de l’enfant », c’est-à-dire ce que l’on observe de son comportement, ce qu’il indique au travers de ses pleurs, ne sont pas analysées sous l’angle des savoirs acquis et des compétences. Les professionnels ne se font pas confiance et recherchent dans la parole des parents une sorte de mode d’emploi de leur enfant qui ne tiendrait pas compte de la réalité vécue avec l’enfant ici et maintenant.  

La crèche est un autre monde. Il est dommage de ne pas considérer suffisamment le fait que la crèche présente toujours pour l’enfant un autre environnement avec d’autres pratiques, d’autres alternatives relationnelles et donc d’autres comportements possibles. Peut-être est-ce dû à une mauvaise interprétation de la place à laisser aux familles dans la crèche ? Certes ce que disent les parents est important, ce qu’ils demandent encore plus. Par exemple ils peuvent souhaiter que leur enfant dorme dans un lit haut ou bas, avec ou sans gigoteuse, avec ou sans sucette, etc. Et ils doivent être entendus car il n’y a pas de raison de mettre en place des pratiques systématiques dans les crèches. Mais lorsque cela n’est pas une demande, un souhait, voire une exigence, il s’agit alors simplement d’une description du comportement de l’enfant, à la maison. Un enfant qui pleure avant de dormir ou a du mal à dormir la nuit, etc. Avec toutes les interrogations que peuvent se poser les parents : doivent-ils lever l’enfant ou le laisser pleurer ? Doivent-ils utiliser telle ou telle autre méthode ?  S’il convient d’en discuter librement et sans jugement de valeur, on peut aussi envisager ensemble que cela se passe différemment à la crèche, en fonction d’une part de ce que les professionnels constatent des réactions de l’enfant (pleure-t-il juste très peu de temps comme une petite chanson d’endormissement ou au contraire est-il vraiment malheureux, angoissé, perdu ?) et d’autre part de leurs connaissances sur le développement des enfants. Répondre aux pleurs d’un enfant sert à lui donner une sécurité affective favorable à son développement. Et il y a de nombreuses manières d’y répondre.

Dans les pratiques éducatives des tout-petits il n’y a pas de réponse unique et toute faite, valable pour tous les enfants. Ce qui rend le travail des professionnels bien plus complexe que ce que certains voudraient bien laisser croire. Il est ou il serait tellement plus simple de dire : « à la crèche on fait comme ça : les enfants sont bercés pour l’endormissement, par exemple » ou de dire « à la crèche on ne berce que les enfants qui le sont chez eux ! » ! Mais non c’est bien plus compliqué que ça, car les humains vivent dans des mondes complexes ! Il faut considérer de nombreux paramètres avant de prendre la décision de coucher un enfant, de l’accompagner en le berçant ou en lui caressant la tête ou en l’endormant dans les bras, ou de le laisser s’endormir seul … Comment se comporte-t-il ? Comment est-il sécurisé ? Semble-t-il perdu, angoissé ? comment pouvons-nous le rassurer ? Il faut tâtonner, essayer telle ou telle pratique et construire avec chaque enfant une sorte d’entente, de compréhension entre lui et nous, tout en veillant à ce que cela lui soit le plus favorable possible. Et cette « entente » risque de ne pas être la même que celle qu’il a construite avec ses parents.  

Il n’y a pas de norme, il n’y a pas de baguette magique, il n’y a pas de méthode, bonne ou mauvaise, il n’y a que des enfants qu’il faut apprendre à connaître et à sécuriser pour leur permettre, d’être bien. Le travail des professionnels est de trouver un chemin positif pour l’enfant, afin qu’il soit le mieux possible à la crèche, en lui apportant une valeur supplémentaire, un autre monde à connaître, différent de celui qu’il apprend avec ses parents.
 


 
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 10 octobre 2018
Mis à jour le 29 août 2019