La crèche est une chance. Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

Invention catholique du 19ième, l’institution crèche devenue aujourd’hui établissement d’accueil du jeune enfant, n’en finit pas de ruminer ses utopies sociales. A l’origine il s’agissait d’éduquer des mères ouvrières afin de réduire les tares sociales de la pauvreté, puis de permettre aux mères de travailler à l’extérieur du domicile, et aux parents de concilier vie professionnelle et familiale. Aujourd’hui Pierre Moisset* revient sur le rôle de la crèche dans la réduction des inégalités et la favorisation de l’emploi, constatant là encore son inefficacité, telle une autre utopie sociale. 

Mais faut-il alors en conclure que la crèche ne sert à rien ? Comment une institution qui ne servirait à rien peut-elle fédérer autant de parents dans leur désir d’y obtenir une place ?  Certes, Pierre Moisset a raison puisqu’une politique se juge à ses effets et non à ses intentions. Et dans ce cas, si la crèche avait pour missions d’une part de réduire les inégalités sociales en accueillant les enfants de familles pauvres et d’autre part de réduire le chômage en permettant aux mères d’accéder à l’emploi, alors on peut dire que les effets ne sont pas à la hauteur des intentions. Du coup, le discours politique accompagnant les programmes d’augmentation du nombre de places en crèche est démagogique, voire purement électoraliste. Mais la réalité est bien que les parents souhaitent une place à la crèche et que, lorsque leur souhait est comblé, ils en sont tout à fait satisfaits. Alors la crèche n’est en rien inutile. De ce fait, il semble nécessaire de lui porter un autre regard que celui purement économico-social, car il semble bien impossible qu’une majorité de parents puisse se tromper à ce point. La raison d’être d’une crèche se trouve aujourd’hui bien loin de ce pour quoi elle a été créée.

D’utile ou nécessaire aux parents, dans une visée sociale et économique, la crèche leur est devenue indispensable dans un but éducatif. Si les parents souhaitent aujourd’hui la crèche, c’est parce qu’ils pensent, à juste titre, qu’elle est un lieu adapté pour leur enfant, lui apportant des possibilités d’apprentissages supplémentaires par rapport à ce qu’ils peuvent lui offrir à la maison. Ces parents ont compris qu’en partageant l’éducation d’un tout petit avec des professionnels formés en ce sens, ils lui donnent des chances supplémentaires, tout en étant assurés que les conditions d’accueil sont les meilleurs pour sa sécurité et sa santé. La crèche est aujourd’hui regardée du point de vue de l’enfant, ce qui est nouveau. On cherche à savoir ce qui se passe pour lui, les activités qui lui permettent de faire des apprentissages tant cognitifs qu’affectifs ou relationnels. On y introduit la culture et l’art car on sait que tout s’apprend très petit avec facilité, en étant « baigné » dedans.  Les parents n’échappent pas à cette multiplication de connaissances sur le développement de l’enfant et à ce fort désir d’offrir à leur enfant ce qu’il y a de mieux.  

La question est donc pour eux de savoir dans quels environnements et avec quelles personnes leurs bébés ont-ils plus de possibilités de bien se développer ? En ce domaine les crèches ont montré toutes leurs valeurs qui, invisibles aux statistiques économiques, comptent au niveau sociétal. Pour autant il n’est pas juste d’opposer la crèche aux assistantes maternelles et ce, même si des transferts s’opèrent entre les deux modes d’accueil. En effet, la presque totalité des parents ayant recours à une assistante maternelle sont tout autant satisfaits que ceux utilisant la crèche et reconnaissent leur égal professionnalisme. Le problème est ici mal énoncé. L’accueil chez l’assistante maternelle n’est pas un mode d’accueil « gueux » s’opposant au mode « roi » de la crèche, mais un mode d’accueil qui manque de reconnaissance médiatique depuis de nombreuses années et qui impose aux parents, par son système de fonctionnement, de devenir des employeurs, ce dont ils ne désirent pas toujours. Utiliser un service est souvent plus facile que prendre la responsabilité d’employer un salarié.  Pour autant ce mode d’accueil répond à des besoins différents notamment en termes d’horaires et de facilités, et convient à de nombreuses familles. 

Quel que soit le mode d’accueil c’est toujours une chance pour chaque petit d’être accueilli par des professionnels de la petite enfance. C’est une chance car cela lui donne l’occasion d’apprendre deux environnements, comme s’il apprenait deux langues en même temps, l’un et l’autre offrant forcément un autre cadre de vie et un entourage différents, avec d’autres possibilités ludiques, d’autres rencontres et d’autres normes. C’est une chance car il côtoie forcement des professionnels aguerris qui savent la façon dont les bébés apprennent, connaissent leur développement et leurs besoins, ont un savoir-faire et un savoir-être qui plus est transmissibles aux parents.  C’est une chance pour l’enfant de bénéficier de plusieurs adultes participant ensemble à son éducation et c’est une chance pour les parents de ne pas être seuls éducateurs de leurs enfants. 

En changeant de regard et de missions attribuées, l’utilité de la crèche éclate au grand jour, mais toute la question est maintenant de savoir si c’est une utopie que d’investir dans l’éducation, voire la prime éducation, celle où se forment toutes les bases ? 

*De la faible utilité des crèches, Par Pierre Moisset, Les pros de la petite enfance, septembre 2020
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 01 octobre 2020
Mis à jour le 01 octobre 2020