La meilleure pratique professionnelle est celle qui convient à l’enfant. Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

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change bébé
La question d’une professionnelle de crèche a retenu mon attention : elle se demandait si présenter un jouet à un enfant lors du change de sa couche ne revenait pas l’objectiver d’une certaine manière. En effet la présence du jouet monopolisait l’attention de l’enfant qui, de ce fait, restait calme pendant le change, permettant ainsi à l’adulte d’effectuer les soins nécessaires, avec technicité, mais avec une moindre attention à l’enfant, en tant que sujet. Le jouet faisait diversion, mais ne permettait pas à l’enfant d’être vraiment présent aux actions de l’adulte sur ce qui le concerne particulièrement, c’est-à-dire son corps.  Dans la pratique du change de la couche, fallait-il alors bannir la présence du jouet ?

Lorsque l’on change les couches des enfants, on remarque que tous ne réagissent pas de la même façon. Certains enfants sont très attentifs à l’adulte et profitent pleinement de ce moment pour entrer en communication avec lui. Ils sont à l’écoute de ses paroles qui annoncent les actions, indiquent les différentes parties de leur corps ou retracent leur journée. D’autres sont tendus et il faut du temps pour les apprivoiser, ils peuvent être pudiques et appellent à recevoir des gestes doux dans un bain de langage au ton rassurant et enveloppant. D’autres encore vont se pencher automatiquement vers les objets qui entourent la table de change à la recherche de quelque chose à saisir et à porter à la bouche, ils sont intéressés par l’objet et semblent assez indifférents au temps du soin.  Devant ces différences de réactions enfantines, il convient d’adapter sa pratique professionnelle. C’est-à-dire de ne pas systématiser la pratique du change de la couche, mais bien de choisir la meilleure méthode celle qui respecte cet enfant-là, ce qu’il nous donne à voir par son comportement et ce qui fait que le temps du change de sa couche est un moment agréable pour lui, et par extension, pour l’adulte qui pratique le soin également. Ne pas donner un jouet systématiquement mais le prévoir pour les enfants qui sont plus attirés par les objets que par les interactions directes. Ralentir ses gestes pour ne pas brusquer ni blesser ceux dont la pudeur est un enjeu.
 Interagir de manière appuyée avec ceux qui n’attendent que ça. S’adapter à l’enfant revient à lui laisser le choix et à le considérer comme un sujet. Il y a des enfants qui n’aiment être changés que par certains professionnels, il y a des enfants pour lesquels il est important d’enlever eux-mêmes leur couche ou de la mettre à la poubelle, d’autres qui veulent choisir quelle nouvelle couche mettre. Il y a des enfants qui sont heureux de plonger dans la boite à jouets qui se trouve près de la table de change, et d’autres qui explorent leur corps en touchant des parties souvent inaccessibles.  Il y a des enfants qui veulent grimper les escaliers de la table de change et d’autres qui restent debout…Bref chacun à sa méthode, celle de l’enfant.

Et cela ne s’applique pas seulement au change de la couche. Prenons par exemple le temps du repas. La question est souvent posée de savoir comment et où installer les enfants qui ne mangent pas encore seuls. Doivent-ils être assis dans de petites chaises, à hauteur d’enfant ou dans des chaises hautes à hauteur d’adulte ? Les partisans du premier choix considèrent que le mobilier enfant doit toujours être à hauteur d’enfant, et justifient leur point de vue par le fait que cela aide l’enfant à aller vers plus d’autonomie. Ce qui est faux puisqu’il n’a pas le choix (l’autonomie étant la possibilité de choisir pour soi) et ne peut pas encore manger seul puisqu’il n’a pas encore cette capacité qui le rend moins de l’adulte. Les partisans de la chaise haute considèrent que, justement, tant que l’enfant ne mange pas encore seul, et qu’il a besoin d’être installé sur sa chaise par un adulte, alors autant être aussi soi-même bien installé pour lui donner à manger et éviter les lombalgies ! Bref il y a débat. Mais personne n’envisage l’absence d’une pratique normée ! Pourtant il semble que s’adapter à l’enfant permettrait de trancher le débat : aime-t-il manger dans une chaise haute, face à cet adulte qui ne s’occupe que de lui, ou mange-t-il mieux lorsqu’il est installé à table avec les autres, même si c’est encore l’adulte qui le nourrit ? Voilà la vraie question qu’il faudrait se poser pour chaque enfant.

Autre exemple sur le sommeil cette fois. Les enfants qui ne marchent pas encore doivent-ils dormir dans des lits hauts, souvent à barreaux, ou peut-on les installer dans des couchettes ou petits lits bas ? Avec évidement la question corolaire qui porte sur les critères permettant de passer du lit haut au lit bas.  Tout le monde n’est pas d’accord. Certains professionnels pensent que tous les enfants de moins de 18 mois doivent dormir dans des lits hauts. D’autres professionnels estiment que cela dépend de leur développement et que la marche peut être un critère pour passer de l’un à l’autre.  D’autres encore ne s’appuient que sur le nombre de lits disponibles et laissent les enfants dans des lits hauts tant qu’ils n’ont pas besoin de place pour des nouveaux entrants... Mais là encore, peu d’entre eux se posent la question de savoir ce que l’enfant lui-même en pense. Un enfant qui dort très bien dans son lit haut et semble y être attaché, a-t-il nécessité à changer de lit ? Sans doute que non.  Un enfant encore petit mais qui pleure souvent derrière les barreaux de son lit ne serait-il pas mieux dans un lit bas sans barreaux ?  Sans doute que oui, et ce même s’il a alors la capacité de sortir de son lit, car c’est justement cette impossibilité qui le faisait pleurer !

Ces interrogations sur les pratiques professionnelles sont le reflet d’un mode de fonctionnement fréquent chez les professionnels de la petite enfance qui cherchent sans cesse à être dans la bonne norme, dans la bonne pratique ou dans la bonne position, comme autant de possibilités de valorisation professionnelle. Nombre de pratiques professionnelles sont ainsi soumises à jugement en bien ou en mal, de façon quelque peu doctrinaire, suivant l’époque et la mode, sans que l’environnement, l’enfant, ou sa situation ne soient pris en considération dans le choix de la pratique en question. Le plus souvent, les professionnels demandent ce qu’il faut faire, quelle est la meilleure pratique, celle qui serait la plus respectueuse pour l’enfant en général, mais ils ne parlent pas de cet enfant-là, celui dont il est question, sauf lorsque cet enfant, justement leur pose un problème.
Globalement il n’existe pas de bonnes ou de mauvaises pratiques professionnelles, mais il convient de trouver celle qui respecte le mieux chaque enfant de manière individuelle. Si nous prenons le temps d’observer, d’analyser et de proposer, alors nous laissons le choix à l’enfant de nous dire ce qui lui convient le mieux pour ce qui le concerne et nous ne nous posons plus la question de savoir quelle est la meilleure pratique professionnelle car nous l’avons trouvée.
 
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 02 décembre 2020
Mis à jour le 02 décembre 2020