Le dogme de l’adaptation. Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

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maman confie son bébé à une professionnelle
« Ce n’était pas évident pour nous ! » est la phrase prononcée par une professionnelle de crèche à propos d’un changement d’une des pratiques d’accueil.
C’est l’histoire d’une équipe de crèche à laquelle on a demandé de modifier sa pratique concernant l’entrée des enfants à la crèche. L’idée était de remettre en question la fameuse obligation de période d’adaptation préétablie, pour les nouvelles familles entrant à partir de septembre de cette année. Jusqu’à présent, après être passés dans le bureau de la directrice pour l’ensemble des papiers à fournir et à signer, les parents avaient une feuille de route annonçant la manière dont devaient se dérouler les débuts de leur enfant à la crèche. Ils devaient arriver à la date prévue, en sachant qu’ils restaient avec leur petit un temps donné, avant de repartir avec lui. Puis ils arrivaient le lendemain, le laissaient un petit temps aux professionnels mais revenaient pour assister à son premier repas à la crèche. Le surlendemain ils le laissaient un peu plus pour qu’il vive sa première sieste à la crèche et ainsi de suite.
Faire autrement semblait difficile et devait être particulièrement négocié, car d’une part il était annoncé qu’une période d’adaptation était nécessaire pour l’enfant, pour les parents et pour les professionnels, sous-entendant de ce fait que si on passait outre, cela comportait un risque. Lequel ? Et d’autre part il apparaissait clairement que si cette période avait été réfléchie ainsi par des professionnels, c’est bien parce que ces derniers savaient ce qu’ils faisaient et donc que les parents devaient leur faire confiance sur l’intérêt et la nécessité d’une telle organisation. Bref peu de remise en question.

Il est reconnu que les professionnels des crèches font toujours ce qu’il y a de mieux pour les enfants, n’est-ce-pas ? Mais pas les parents ! Car soit ils ne savent pas, c’est leur premier enfant et donc ils ne peuvent pas savoir ! Soit ils risquent de laisser sciemment leur enfant du jour au lendemain à la crèche, plaçant ainsi les professionnels devant le fait accompli, c’est à dire qu’ils sont bien capables de leur laisser le bébé sur les bras ! Quel professionnel peut accepter une situation si néfaste pour l’enfant ?! Ce serait maltraitant et les professionnels seraient alors complices ou même auteurs de cette « maltraitance », eux dont le travail est justement de défendre l’enfant face à ce genre de » travers parental »?
Comprenez qu’il s’agit ici d’ironie. Il convient sans doute de rechercher quel risque encourt l’enfant, le professionnel ou les parents si cette période n’est pas respectée ? Un traumatisme lié à une séparation jugée insuffisamment pensée ou mal organisée ? Des pleurs inconsolables ? Une difficulté à comprendre cet enfant et à répondre à ses besoins ? Des parents insécurisés ? Il y a tant de raisons données ! Mais il faut aussi comprendre que travailler à l’accueil des familles, en ayant comme arrière-pensée que les parents sont au mieux irresponsables, au pire non bien traitants, lorsqu’ils osent proposer une alternative différente à la période d’adaptation, pose un réel obstacle au nécessaire établissement de liens de confiance réciproques.
Mais ça c’était avant.

Depuis septembre cette équipe s’est fait violence pour renverser l’ancien paradigme et proposer aux parents d’organiser, à leur manière, l’entrée de leur enfant à la crèche. En effet qui mieux que des parents peuvent savoir comment ils ont envie ou besoin de se séparer de leur bébé ? Rapidement ou lentement, en restant ou en partant, à quel moment, sur quelle durée, après quelles recommandations ou quels rituels de réassurance, etc…  Il n’est donc plus question ni de période ni d’adaptation, mais d’entrée à la crèche avec ce temps de familiarisation, nécessaire, mais non défini préalablement par les professionnels. Un temps pendant lequel la famille et l’équipe apprennent à se connaître, au rythme de la famille.
Il fallait s’essayer à la confiance. C’est-à-dire faire confiance aux parents, se faire confiance, avoir confiance en ses collègues, et surtout avoir confiance en chaque enfant pour lequel le monde est nouveau et à apprendre.

Quelques exemples :
Il y a eu Jad et sa maman qui est restée longtemps et a dit vouloir faire la sieste avec Jad. Les professionnelles de la crèche se sont demandées ce qu’elle voulait exactement. Dormir avec lui ? Mais le lit est un peu petit non ? Finalement elle est restée l’endormir pour le plus grand bonheur de Jad.  
Il y a eu Paul dont le grand frère sortait d’une autre crèche pour aller à l’école. Ses parents ont souhaité refaire la période d’adaptation progressive, comme ils l’avaient apprise pour son frère aîné dans cette autre crèche. Et cela a parfaitement convenu à Paul.
Il y a eu Maël dont la maman a pris son temps, l’emmenant sur des temps courts sans repas, avant de tenter l’aventure de laisser les professionnelles de la crèche lui donner son premier repas. Ce temps a permis à Maël et sa maman d’expérimenter petit à petit, des temps de séparation.
Il y a eu Louison qui est arrivée du jour au lendemain à 7H00 du matin. Comme elle ne vient que les lundis, ses parents ont pensé que le premier lundi 7H00, c’était une bonne idée. Daphnée, un peu inquiète car c’était le jour même de la réouverture de la crèche, après les congés d’été, l’a accueillie avec le sourire et beaucoup de bienveillance. Et tout s’est très bien passé pour Louison.
Et maintenant il y a des professionnelles qui disent « Ce n’était pas évident pour nous, mais nous constatons que cela se passe bien pour les enfants, pour les parents aussi et pour nous, au final, cela revient au même : il faut apprendre à connaitre cette famille … ! »

Chaque arrivée d’une nouvelle famille est une nouvelle aventure pour les professionnels de la petite enfance. Il est impossible de présager le temps qui sera nécessaire à cette familiarisation, à l’établissement de cette confiance réciproque, base d’un partenariat en construction. Mais nous pouvons être certain que ce dernier s’établira plus aisément si nous sommes capables de faire confiance aux parents en nous dégageant d’un dogme comme celui de la période d’adaptation préétablie par les équipes.    
 
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 29 novembre 2018
Mis à jour le 29 novembre 2018