Les modes d’accueil : des services orientés vers les familles et non vers l’enfant lui-même. Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

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Dan une crèche
Ces dernières années, l’accueil des jeunes enfants s’est de plus en plus axé vers un service à rendre aux parents. L’idée de la crèche, telle qu’elle fut pensée par Firmin Marbeau, comme un lieu de recueil des très petits enfants, s’est peu à peu transformée dans ses concepts comme dans ses missions. Au départ elle fut un « nid » acceptable où les bébés pouvaient être bien traités et sauvegardés des périls de l’existence. Puis elle devint un mode de garde pour permettre à sa mère, puis à ses parents, de travailler. Elle se transforma ensuite en un mode d’accueil, c’est-à-dire un lieu plus ouvert, à la fois dans les propositions d’éveil faites aux enfants et aussi dans la présence parentale. Dernière étape actuelle, elle est devenue un service aux familles, terme officialisé par l’ordonnance du 19 mai 2021. Quelle signification cela revêt-il ? D’une part, que le jeune enfant est indissociable de ses parents, ce qui est une réalité et correspond bien au fait que ce sont ses parents qui décident de le confier à la crèche. D’autre part, que l’orientation vers une éducation de la prime enfance n’a toujours pas été retenu.

Une goutte d’eau ! Le mot service est particulièrement polysémique. Au singulier, il peut désigner un ensemble de devoirs en lien avec une obligation comme le service militaire, public ou religieux, un travail que l’on accompli pour assurer son service, dans un restaurant par exemple, un acte que l’ont fait pour rendre service à une personne. Il peut aussi caractériser un ensemble de personnes assurant un travail, comme un service d’ordre ou de domesticité. On parle même d’un ensemble d’objets, comme un service de table… Au pluriel, il désigne des institutions ou des professions spécifiques, comme les services à la personne (SAP), ensemble de métiers exercés à domicile ou en lien avec le domicile pour répondre aux besoins des particuliers. Les services aux familles sont donc nés officiellement en 2021 et sont, quant à eux, définit comme « visant à répondre à leurs besoins et à favoriser le déroulement harmonieux de la vie familiale, depuis la grossesse jusqu'aux 25 ans de l'enfant, dans le respect des droits et besoins des enfants et de leurs parents. Ces services aux familles comprennent notamment les modes d'accueil du jeune enfant et les services de soutien à la parentalité » En clair, la crèche, comme les autres modes d’accueil, ne représentent qu’une petite goutte d’eau dans un ensemble très vaste de services pour les parents ayant des enfants, et dont l’objectif est de les accompagner dès avant la naissance de ces derniers et jusqu’à leur émancipation !  L’accueil des jeunes enfants n’occupent donc qu’un tout petit territoire, sans doute en rapport avec ce que cela représente pour les législateurs : un monde de bébés ne peut tout de même pas être pris totalement au sérieux et ne peut donc pas être investi pour lui-même, il a besoin d’être noyé dans une institution bien plus vaste ! Un monde de bébés ne peut être pris au sérieux et investit pour lui-même, sans être noyé dans une institution plus vaste !

Quelles conséquences ? L’accueil du jeune enfant, devenu l’un des services possibles à rendre aux familles, parmi d’autres, signifie que le bébé, ou le jeune enfant, n’existe toujours pas socialement en tant que tel. Il n’est pas encore cet être unique, au développement spécifique et si primordiale, censé être accueilli dans un environnement adapté pour recevoir des soins et une éducation en relation avec son état actuel. L’accueil qu’il reçoit à la crèche, en maison d’assistantes maternelles ou chez une assistante maternelle, c’est-à-dire auprès de tous ces professionnels de la petite enfance, ne correspond « qu’à » un service rendu à sa famille, c’est-à-dire à ses parents et à lui-même, dans le but de favoriser le déroulement harmonieux de la vie de la famille ! Exit l’idée d’une double éducation. L’idée même d’une éducation des tout-petits dont le projet serait de répondre de façon spécifique aux besoins particuliers d’un bébé semble être abandonnée, tout comme celle d’un partenariat éducatif entre ses différents environnements d’apprentissage. Dans ce contexte, ce dernier n’existe pas, puisque seule la famille est prise en considération. Il n’acquiert une réalité sociale qu’à l’école, à partir de trois ans. A ce moment-là, l’éducation nationale lui donne alors une existence, celle d’un élève, bien plus que celle d’un enfant d’ailleurs.  A l’image des services à la personne, qui ont quant à eux l’avantage d’être voués à une personne, on trouve maintenant les services aux familles. Ce qui revient à nier l’existence même du jeune enfant et avec elle la nécessité d’avoir une filière professionnelle des métiers de la petite enfance, car il suffit de créer des professions du service aux familles !

Quel devenir pour les métiers de la petite enfance ? Du coup les professionnels devront-ils répondre à toutes les demandes des parents, puisqu’ils sont là pour rendre service aux familles ?
Le bel espoir de la charte d’accueil du jeune enfant, permettant enfin de donner un sens commun, même trop peu défini, à l’ensemble des professionnels accueillant des jeunes enfants, s’est évanoui avec la création des services aux familles. En effet, il semble bel et bien impossible de répondre à la fois aux exigences de cette dernière, tant au niveau de la qualité d’accueil que de l’éducation des jeunes enfants, tout en ayant à l’esprit qu’il ne s’agit que d’un service à rendre à leur famille !  Certes, la famille s’entend comme des parents avec des enfants et donc les services sont rendus à l’ensemble qu’ils forment, mais le travail des professionnels est-il de rendre des services ou de s’investir complètement dans l’accueil éducatif des jeunes enfants ? Jusqu’à présent, il leur était demandé de créer des environnements et des situations permettant aux plus petits de se développer. Leur travail consistait à accompagner leurs découvertes et leurs explorations en vue de favoriser leurs premiers apprentissages, au niveau affectif, social, moteur, émotionnel, et de les partager avec les parents, contribuant ainsi à un accompagnement parental positif. Maintenant, ils doivent rendre des services aux familles. Mais quels services ces professionnels de la petite enfance doivent ils rendre ? Car ce travail éducatif n’est pas un service rendu aux familles mais bien une nécessité due aux petits.

A quand une autre vision de la petite enfance ? Lorsque le bébé aura une vraie place dans notre société, qu’il ne sera ni adulé, ni oublié, mais seulement respecté et pris en compte pour lui-même, alors nous prendrons conscience qu’un accueil éducatif de la petite enfance nécessite son propre service, sa propre filière de métiers et d’encadrement : un service petite enfance. On pouvait espérer que cela advienne avec les dernières recherches et travaux sur cette période de la vie, mais, noyé dans un service aux familles jusqu’à 25 ans, l’accueil de la petite enfance n’acquiert aucune autonomie, donc aucune reconnaissance de qualité.



 
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 02 novembre 2021
Mis à jour le 02 novembre 2021