Maria Montessori, toujours d’actualité ? Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure.

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Maria Montessori
Maria Montessori est aujourd’hui à la mode. Nombre d’écoles, de jardins d’enfants et même de crèches affichent son nom sur leur devanture ou leur projet pédagogique.

Il est vrai que cette grande pédagogue italienne à la fois médecin et créatrice d’une méthode spécifique qui lui vaudra une reconnaissance internationale au début du 20ième siècle,  ne cesse d’inspirer les éducateurs depuis la fin de la seconde guerre mondiale, avec un regain d’intérêt ces dernières années. Les connaissances neuroscientifiques actuelles sur les apprentissages des enfants semblent aller dans le sens de ce qu’elle avait énoncé comme principe, à savoir : suivre les lois naturelles de l’esprit absorbant de l’enfant, qui le pousse à l’exploration et donc à la connaissance.  

Constater que les valeurs portées par Maria Montessori sont aujourd’hui diffusées plus largement et parfois au sein même de l’Education Nationale ne peut que nous réjouir. Mais sait-on si tous ces établissements qui se disent « Montessorien » utilisent réellement sa pédagogie ? Sait-on si les nombreux objets vendus aujourd’hui sous l’appellation Montessori : livres, jouets, activités, objets de puériculture, ont un vrai rapport avec ses principes ?

Il est difficile de le savoir car le nom de Maria Montessori n’a pas été protégé. Aucun brevet et aucune marque « Montessori » n’ont été déposés, ni du vivant de son auteur, ni par ses héritiers ou par l’AMI, l’association Montessori Internationale. Chacun peut donc utiliser son nom pour se revendiquer établissement ou produit marketing du dit patronyme ! Quelle fidélité réelle ou supposée aux valeurs et principes de la pédagogie de Maria Montessori ont-ils ? En France les écoles et les crèches Montessori peuvent adhérer à une charte spécifique élaborée par l’Association Montessori de France et ainsi utiliser le logo de l’Association AMF et celui de l’AMI. Mais tous ne le font pas ou ne peuvent y prétendre.

Au-delà de cette problématique, qu’en est-il réellement des crèches Montessori ? Que signifie être une crèche Montessori, alors que la pédagogue elle-même n’a jamais travaillé sur cette tranche d’âge.  Il est vrai qu’à son époque le bébé était plutôt avec sa mère et la société ne lui portait encore que peu d’intérêt. Maria Montessori s’adressait aux petits enfants, ceux de 2 ou 3 ans accueillis dans les salles d’asile, les futures écoles maternelles. C’est pour ces derniers, défavorisés d’un quartier de Rome, qu’elle élabore un programme et du matériel spécifique, avec pour crédo le fait de manipuler des objets et des matières, privilégiant l’éducation multi sensorielle, motrice, relationnelle et cognitive, en adaptant le mobilier afin de rendre l’environnement plus favorable à l’autonomie des enfants.
La méthode se propage bien au-delà de l’Italie.
Elle avait déjà compris que l’éducation avant 6 ans était d’une grande importance. Mais elle prônait qu’elle devait se faire par des apprentissages à partir de jeux éducatifs.  Or, le bébé n’en est pas encore à ce stade. Sa particularité tient au fait qu’il n’est pas seulement acteur de son développement, mais aussi auteur. Il n’utilise pas les objets pour réaliser des apprentissages spécifiques prédéfinis par les professeurs, mais cherche à en comprendre les spécificités, les caractéristiques physiques, les régularités, les réactions face à ses actions et les combinaisons possibles et impossibles. Le bébé invente le monde, les mondes, par rapport à lui-même et en fonction des actions et réactions des autres qu’il côtoie. Tout l’intéresse et tous les objets ont une valeur éducative, et particulièrement ceux qui ne sont pas des jeux éducatifs !

Bref s’il semble peu probable qu’une crèche puisse prétendre appliquer la pédagogie Montessori, toutes les crèches s’inspirent partiellement de cette pédagogie. Toutes ont par exemple à cœur d’adapter leur mobilier, de favoriser le jeu des enfants tout en leur offrant de la liberté pour agir. Ce qui par ailleurs a aussi été la proposition d’Emmi Pikler, autre grande femme médecin et pédagogue hongroise de la même époque, qui pourtant rencontre moins de succès. Il est vrai qu’elle n’a pas développé de matériel spécifique à sa pédagogie, donc pas de possibilités marketing.

Maria Montessori était une visionnaire et reste une inspiratrice de toutes les équipes des crèches (et des écoles aussi). Mais si apprendre est un besoin fondamental, comme elle a su le voir, bien avant que cela soit démontré par les neurosciences cognitives, il est nécessaire d’aller plus loin, en raison des découvertes de ces mêmes spécialistes. En effet, au-delà de la mode et de la méthode, ils ont révélé la précocité cognitive des bébés et leur propension à la nouveauté, c’est à dire leur immense curiosité intellectuelle.

Dans ces premières années où le bébé apprend le plus, ce ne sont pas les coins-jeux, les plateaux de jeux, les ateliers ou les objets dits « Montessori » qui comptent, mais la liberté d’agir dans un environnement ouvert, vaste, fait de rencontres et de nouveautés. Pour ça il faut inventer de nouvelles crèches, non pas organisées en sections fonctionnelles dans lesquelles les enfants sont enfermés par groupe d’âges homogènes ou hétérogènes avec leurs jeux éducatifs, mais des lieux prévus pour l’aventure, le déplacement, l’exploration d’univers ludiques offrant de nombreuses possibilités d’apprentissages.

Maria Montessori aurait peut-être… sans doute… adoré cette idée,… aussi pour les enfants plus grands !

 
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 06 juin 2018
Mis à jour le 13 juin 2018
Merci à Laurence Rameau pour cet article qui remet les choses à leur place et qui personnellement, me conforte dans mes idées. Après avoir lu "L'enfant" de Maria Montessori, j'étais sceptique devant les plateaux de jeux qui fleurissaient chez mes collègues assistantes maternelles, devant les rayons des grandes surfaces remplis de "coffrets Montessori", et devant des blogs ou sites internet qui montraient des activités quelques peu saugrenues qu'on qualifie de "Montessoriennes". Merci donc de nous rappeler que les travaux de Maria Montessori ne concernaient pas les tout-petits, qu'elle ne prônait aucune "méthode" (elle le dit dans son ouvrage "l'enfant") et que le matériel n'est pas le plus important.