N’oublions pas les enfants dans nos propositions ludiques ! Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

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enfants jouent
Il est toujours étonnant et parfaitement réjouissant de constater à quel point des équipes d’établissements d’accueil du jeune enfant sont capables de mobiliser une grande énergie pour créer des projets ludiques : organisation particulière, activités originales, décoration éphémère ou ponctuelle des locaux, partenariat avec les parents, etc.
Mais en regardant de plus près on se pose toujours la question du pourquoi tant de volonté, d’énergie et de dynamisme sont déployés, dans quel but et surtout pour quels apports au niveau des enfants ? En effet il semble que de nombreuses contradictions fassent jour à la lumière de ces propositions d’équipes et il convient de requestionner les tenants et les aboutissants de tels projet.

Deux types d’erreurs peuvent se rencontrer dans les équipes : la première est celle du mauvais cadre de référence et la seconde est celle de la mauvaise utilisation du bon cadre.  

Lorsque les équipes ne sont pas au clair sur le développement du jeune enfant, ses compétences, ses savoirs et sa manière de penser, alors cela contribue à créer des projets qui présentent des propositions qui ne correspondent pas du tout ou pas complètement à ce que sont les jeunes enfants. Ils viennent en contradiction de ce que les enfants ont besoin pour apprendre. Cette erreur est fréquente, car les professionnels utilisent souvent leur propre cadre de référence, celui qui leur est personnel et qui correspond à leurs souvenirs de petite enfance, à ce qui a compté dans l’éducation de chacun. Or si souvenirs il y a, c’est forcément qu’ils ne correspondent pas à cette période là de la petite enfance, mais à celle d’après, entre 4 et 6 ans minimum. Les enfants des crèches sont plus jeunes, ce sont encore des bébés. Et les professionnels leur proposent des activités ou des organisations qu’ils ne comprennent pas. On retrouve ces erreurs dans des projets très représentatifs et interprétatifs. Comme la création d’environnements ludiques autour des indiens, de la jungle, ou du pôle nord. Même si ce sont toujours des mots de vocabulaire que les enfants peuvent entendre et apprendre, retrouver sa crèche transformée en jungle, en far ouest ou en banquise est totalement incompréhensible pour des tout-petits et peut même être inquiétant.

Pourquoi est-ce une erreur ? Un jeune enfant va explorer et s’aventurer à partir d’une base de sécurité qui correspond justement au fait de retrouver de la régularité dans son environnement : régularité au niveau des adultes qui s’occupent de lui et aussi au niveau des locaux dans lesquels il vit. Et ce sont les petites nouveautés, à l’intérieur de cette régularité qui vont l’intéresser particulièrement et l’inciter à aller les explorer. Lorsque la totalité de la crèche change, se modifie pour créer une journée particulière en lien avec un projet spécifique qui, de plus ne le concerne pas, car il n’est pas en capacité de le comprendre, comme aller dans la jungle, alors il y a une erreur de cadre de référence de la part de l’équipe de la crèche. A ce moment-là, en souhaitant mettre en avant, en lumière un projet spécifique pour les enfants, l’équipe se valorise, mais n’offre rien de bien aux enfants car le cadre n’est pas celui qui est adapté à l’âge des enfants.  Un enfant ne doit pas être effrayé par le fait que sa crèche a changé, mais intéressé par une étrangeté qui va susciter sa curiosité. Chaque journée « ordinaire » est une aventure pour un bébé, car le monde est nouveau pour lui. Ce qu’il faut c’est créer un environnement qui soit lui-même une proposition d’aventure régulière, continue et renouvelable. Des plans inclinés, des cachettes, des portes à ouvrir et fermer, des trésors à découvrir dans des tiroirs sont des aventures. Le bébé n’a absolument pas besoin d’aller chez les indiens d’Amérique pour se retrouver en terre inconnue….
 
Il y a donc bien une double erreur, celle en lien avec la représentation d’un nouveau monde, à une période ou le développement de l’enfant est inscrit dans la perception et non la représentation (les indiens n’ont pas de sens pour lui.) Et celle du manque de maintien d’un équilibre entre la régularité et la nouveauté dans l’organisation pédagogique adressée à l’enfan
t.  Sans compter les équipes, qui pris dans leurs propres jeux, de piste par exemple, entrainent les enfants à des recherches qui ne sont pas les leurs : une chasse au loup est intéressante à lire dans un livre, mais elle est angoissante à vivre en jeux de rôle. C’est un peu comme le père Noël, il doit rester un personnage fictif que l’on ne rencontre jamais : « Il parait que, on raconte que, », ceci tant que l’enfant n’est pas l’initiateur du jeu de loup.

L’autre situation erronée se situe lorsque les équipes utilisent le bon cadre de référence mais aboutissent à de mauvais résultats. Ainsi les intentions sont bonnes et le raisonnement aussi, mais les conséquences du projet ne le sont pas car, entretemps, l’enfant a été oublié ou plutôt c’est sa parole qui a été oubliée. Dans ce cas le développement de l’enfant est connu et les professionnels se basent sur ses perceptions sensorielles par exemple. Un environnement est construit autour de cette idée. Sauf qu’à vouloir trop en faire, on multiplie les propositions de telles sortes que l’enfant se trouve envahi et noyé parmi nombre de stimulations sensorielles. Il y trop de couleurs, de bruits, d’odeurs, ou de choses à toucher. Tout est trop surchargé et l’enfant, qui a du mal à trier parmi l’ensemble de ces propositions, est surstimulé. Il se met en retrait, ne s’aventure plus ou est totalement excité. L’adulte, pense qu’il doit aider l’enfant à jouer et l’entraine, le stimule à nouveau : « essaie de mettre ta main dans cette boite, tu voix c’est doux ! » « Allez trempe tes pieds dans la peinture ! touche cette eau qui est glacée », « Vas-y, entre sous cette tente multisensorielle », etc.

L’enfant devient la marionnette d’adultes qui ont fait tout ça pour lui ! Les couleurs sont criardes, le sol est jonché d’objets, des lumières s’allument et s’éteignent en permanence, des bruits d’animaux ou d’oiseaux sont ajoutés…. Cet enfant qui a déjà un cerveau en hyper vigilance est saturé d’informations sensorielles. La paix, l’harmonie, la sérénité ne sont pas au rendez-vous. Et au final c’est un monde chaotique qui est présenté à l’enfant, lui qui justement a besoin de trier, d’ordonner ce monde nouveau pour essayer de le comprendre. L’équipe n’a entendu qu’une partie des savoirs sur le développement de l’enfant. La stimulation environnementale n’est pas la surcharge, l’aventure n’est pas le chaos, l’enfant doit exister par lui-même et s’aventurer sans l’adulte…dans un monde beau, harmonieux, serein et paisible. Un monde qu’il peut animer lui-même et non un monde dans lequel il est la marionnette des adultes.

 
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 09 février 2020
Mis à jour le 09 février 2020