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Quid de la petite enfance ? Par Laurence Rameau
Puéricultrice, formatrice, auteure.
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Faites le test qui consiste à entrer dans une librairie et à demander le rayon « petite enfance ». Là vous avez une charmante personne qui vous dit : « le rayon quoi ? » Alors vous insistez : « le rayon PETITE ENFANCE, s’il vous plait. » « Mais que recherchez-vous donc ? Des livres à lire aux enfants ou des livres sur les enfants ? » Sans doute le libraire aurait-il préféré l’inverse, mais ce sont bien des livres sur les enfants que l’on cherche. C’est là que le jeu de piste commence : dans quels rayons trouve-t-on des livres sur la petite enfance ?
Alors pour les bébés il y a bien le rayon puériculture, mais c’est surtout pour les parents, nous précise-t-il. Effectivement, on y trouve des livres pour expliquer comment bien vivre sa grossesse, son accouchement, sa maternité, des livres sur les choix des prénoms et divers modes d’emploi sur la manière de bien s’occuper d’un bébé. Avec la puériculture il s’agit toujours de comment « bien » faire les choses. On se préoccupe rarement du pourquoi. Ainsi ces témoignages de stars des médias devenus parents et qui racontent comment ils réussissent (toujours bien) à surmonter cette « épreuve » de la maternité ou de la paternité. Ils donnent des conseils pour dire comment « bien » faire, aux autres parents !
Sinon, pour une orientation plus professionnelle, le libraire nous indique le rayon psychologie de l’enfant, à l’étage des sciences humaines, avec la psychanalyse, la sociologie, la philosophie, etc. Dans le rayon psychologie une partie est dédiée à l’enfant et une sous-partie présente quelques livres sur la petite enfance, pas plus de dix. Ici on se préoccupe visiblement plus du pourquoi que du comment. Mais les thèmes portent principalement sur les aspects pathologiques ou difficiles de la petite enfance : l’enfant tyran, les troubles autistiques, les troubles du développement ou de la relation, l’enfant précoce, l’hyperactivité, etc.
Il y a aussi les classiques écrits par des auteurs devenus célèbres comme Dolto, Brazelton, David ou Stern. Des livres pour les initiés, les chercheurs, les universitaires, les futurs psychologues, pas pour les parents. Mais ces derniers ont intégré cette association entre psychologie et petite enfance, comme une évidence. Aussi je comprends pourquoi chaque fois que j’énonce le fait de travailler dans la petite enfance m’est renvoyé le fameux : « Ah vous êtes psychologue ? » Et non je suis professionnelle de la petite enfance !
La question est alors de savoir vers quel rayon se tourner lorsque l’on est professionnels de la petite enfance, puisque ce champ n’existe pas en dehors de la psychologie ou de la puériculture ? En fait, on souhaiterait des livres sur les crèches, sur le développement des jeunes enfants, sur les relations entre les parents et les professionnels, sur les apprentissages du bébé ou sur les interactions entre enfants. Il y en a. On en connait, n’est-ce pas ? …. Pas les libraires. Ce champ professionnel ne représente pas une réalité sociale bien établie pour le grand public.
Les professionnels de l’éducation scolaire ont la chance de posséder un rayon intitulé pédagogie, dans lequel ils trouvent toutes sortes de livres sur l’éducation des enfants, les apprentissages et les méthodes pédagogiques anciennes et modernes. Mais point de petite enfance ici non plus, l’orientation est clairement scolaire car la pédagogie ne concerne pas les jeunes enfants. Les bébés ne s’éduquent pas, voyons ! Pourquoi s’échine-t-on à faire des projets pédagogiques et éducatifs dans les crèches ? C’est un non- sens, une erreur ou bien…
Ce qui est clair c’est qu’à part la maternité, les soins, la puériculture chargée de faire pousser les bébés suivant les conseils des pédiatres, des médias et des fournisseurs de matériels, avec une nette inversion ces dernières années du poids des uns par rapport aux autres, il n’y a pas réellement de domaine « petite enfance ». L’étude du bébé et du petit enfant relève des psychologues, celle des familles des sociologues et celles des enfants des pédagogues. Nulle trace des professionnels de la petite enfance comme champ constitué dans la recherche et l’éducation des jeunes enfants. Quel dommage quand on sait à quel point ce temps, et donc ce champ, est déterminant pour l’humanité.
Un rayon sur les crèches ? il n’y en a pas, alors que ceux sur l’école pullulent. Certes il y a plus d’écoles que de crèches et donc plus de personnes concernées. Un rayon sur les assistantes maternelles ? Elles sont très nombreuses, plus de 300 000. Mais vous n’y pensez pas ! Qui aurait envie de lire des livres sur les « nounous », tout de même pas les « nounous » elles-mêmes ?!
Peut-être est-ce ce terme : « petite enfance » qui ne convient pas. Il renvoie à toute sorte de formations et de métiers différents, eux-mêmes appartenant à des champs professionnels différents. Coincé, voire tiraillé parfois, entre le sanitaire, le social et l’éducatif, entre la famille, la santé publique et l’éducation. Un champ non constitué qui n’existe pas vraiment et où chacun cherche sa place. Que fait-on lorsqu’on travaille dans la petite enfance ? On ne soigne pas des enfants pas malades mais on prend soin d’eux. On ne prend pas en charge des enfants pas isolés mais on les accueille chaque jour. On ne fait pas pousser des enfants ni plantes ni animaux mais on crée des conditions favorables à leur développement. On ne prépare pas des enfants à devenir des élèves mais on favorise leurs apprentissages de base.
Cela devrait porter un nom pour définir un vrai champ d’action réunissant l’ensemble de ceux qui participent à l’éducation des jeunes enfants. La petite enfance ne veut sans doute rien dire pour tout un chacun. Elle n’est qu’une période de la vie, comme l’adolescence ou la vieillesse et non un domaine professionnel.
Mais alors quel nom aurait ce domaine professionnel auprès des très jeunes enfants, auprès des bébés ?
Bonjour Laurence. Quel nom aurait ce domaine professionnel auprès des très jeunes enfants, auprès des bébés ? La vie ! Tout simplement. Le début de leur vie, où beaucoup de choses se mettent en place et seront très importantes pour le reste de leur vie. Ce qu'ils vivront ces premières années est essentiel à leur futur développement et de ce fait, on devrait y attacher beaucoup plus d'importance. Ce n'est pas parce qu'ils ne s'expriment pas encore de façon audible pour les adultes qu'ils n'ont rien à dire, ne ressentent rien et ne retiennent rien.
