Handicap : action précoce et rythme de chacun. Par Monique Busquet

Psychomotricienne

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petit garçon
J’ai envie de relayer ici la campagne de l’Anecamsp « Handicap, Agir tôt ».
Oui, il est encore nécessaire d’informer chacun, professionnel comme parent, de l’importance des accompagnements précoces des jeunes enfants lorsqu’il y a risque de handicap.
Oui, il est important de repérer tôt les clignotants et de soutenir les enfants et leurs familles. Plus les professionnels sont informés, plus ils peuvent être une force pour permettre aux parents de faire les démarches nécessaires. Ainsi ceux-ci peuvent trouver une aide bénéfique pour leurs enfants et pour eux-mêmes.

L’importance de cette précocité d’action s’appuie particulièrement sur les notions de plasticité cérébrale, connues depuis longtemps. Plus l’enfant peut expérimenter de façon juste, plus l’environnement qui lui est proposé est riche et adapté, plus cet enfant peut développer ses capacités, plus son cerveau s’enrichit de connexions cérébrales. Plus ses particularités sont reconnues, plus l’enfant peut se construire en confiance. Cela est d’autant plus important que ce développement semble difficile.

Bien sur les situations sont très différentes selon qu’il s’agit d’une situation de handicap diagnostiquée ou lorsque l’enfant manifeste des difficultés qui peuvent être simplement transitoires et dont il n’est pas possible de connaître l’évolution.
Souvent lorsque le comportement d’un enfant nous interpelle, nous nous inquiétons, nous nous questionnons, mais sans savoir que faire. Nous sommes alors pris entre la conviction que l’aide précoce est essentielle mais aussi d’autres craintes et pensées :
- laisser l’enfant grandir, chaque enfant a son rythme, chaque enfant est différent,
- ne pas inquiéter les parents pour rien, voire les rassurer lorsqu’ils ont l’air trop fragiles,
- ou penser qu’ils ne sont pas prêts à entendre.

Puis lorsque les professionnels énoncent leurs inquiétudes aux parents, ils se heurtent bien souvent à des réactions légitimes, entre colère et déni. Les professionnels se sentent alors démunis, impuissants et se désolent : ces parents ne veulent pas entendre « ils sont dans le déni ».
Rappelons que le déni est « un mécanisme de défense » c’est-à-dire un moyen de se protéger.
Le déni permet de tenir debout, de ne pas s’écrouler, de ne pas tomber dans le désespoir. Il est utile et non volontaire. Cette réaction est à respecter profondément. Il n’y a pas de raison de juger ou critiquer les parents.
Par ailleurs, le déni étant une réponse à l’inquiétude, il risque d’être d’autant plus fort que l’inquiétude est forte. Rien ne sert de vouloir convaincre les parents à tout prix ! L’annonce de difficultés peut déclencher un sentiment de vide ou de mur, d’obstacle infranchissable. Dire notre inquiétude pour leur enfant ou annoncer que « l’année prochaine à l’école cela va être compliqué », c’est prendre le risque de figer les parents, de les sidérer, mais aussi qu’ils se sentent jugés. Plus nous cherchons à inquiéter les parents, plus nous risquons d’obtenir l’effet inverse.

Les questions de handicap sont encore tabou et recouvrent  des réalités souvent inconnues. Chaque parent a ses représentations que nous n’imaginons pas toujours. Je pense à la réaction d’une maman, il y a quelques années. Le médecin lui dit que sa petite fille est sans doute atteinte de surdité. Cette maman a pu ensuite raconter qu’en entendant cette annonce, elle a immédiatement pensé que sa fille allait être exclue de la crèche du jour au lendemain et qu’elle a été traversée par des images d’enfants isolés, enfermés dans une vieille institution et ne faisant que se balancer toute la journée.

Oui, les parents ont vraiment besoin d’entendre des paroles qui ouvrent des perspectives, qui proposent du soutien et montrent du possible.
Ce sont ces paroles que nous pouvons apprendre à développer.
- Dire ce que nous voyons, raconter ce que l’enfant fait (et non seulement ce qu’il ne fait pas)
- Décrire ce qu’il montre, ce qu’il manifeste, ce qu’il semble ressentir
- Raconter comment il joue, comment il bouge, comment il communique, à quoi il réagit
- Partager ainsi avec les parents notre regard, notre regard de professionnel différent du leur
- Partager ce que nous voyons, ce à quoi nous faisons attention et qu’ eux-mêmes ne voient pas, car ils sont parents et ne connaissent pas le développement des enfants
- Pouvoir parler de différences, de décalage, peut-être d’étonnement devant certains comportements
- Dire également ce que nous faisons, ce que nous proposons à leur enfant
- Montrer ainsi notre réel intérêt pour leur enfant, notre engagement auprès de lui
- Ecouter le parent, instaurer un vrai dialogue, une relation de confiance sans aucun jugement
- Présenter le fait d’aller consulter des spécialistes comme une aide pour l’enfant, pour comprendre ses besoins et l’aider à grandir.

Ainsi les parents sont soutenus par notre regard et notre attention, par les mots avec lesquels nous leur parlons de leur enfant, et ce que nous savons du développement des enfants. Grâce à ce que nous leur transmettons, ils peuvent eux aussi regarder plus finement. Ils peuvent voir leur enfant autrement. Ils peuvent aussi faire d’autres propositions à leurs enfants (de jeux, de temps partagés…). Ainsi ils peuvent se mobiliser, se mettre en mouvement eux aussi, être actifs avec et pour leur enfant, sans rester figés dans la sidération et l’inquiétude.

Dans cette prévention précoce, notre rôle de professionnels de l’accueil est essentiel :
- Observer le plus finement possible les jeunes enfants ;
- Ne pas simplement dire « ça va » ou « ça ne va pas », mais raconter « comment ça va » ;
- Savoir voir les éventuelles différences, les écarts, les décalages, les bizarreries ;
- Adapter nos propositions, nos réponses à ce que fait l’enfant, là où il en est ;
- Orienter vers d’autres professionnels pour comprendre l’enfant, ses comportements et pour le soutenir si besoin ;
- Ne pas faire de diagnostic, ni de « prédiction » pour le futur ;
- Accueillir et « prendre soin » de chaque enfant et de sa famille, tels qu’ils sont.
Article rédigé par : Monique Busquet
Publié le 25 juin 2019
Mis à jour le 01 juillet 2019