La place des émotions dans l’accueil de la petite enfance. Par Pierre Moisset
Sociologue, consultant petite enfance
Et donc, pour commencer, pourquoi est-ce une question ? Parce que tout travail est porteur, générateur d’émotions. Des émotions positives, négatives. Des émotions porteuses ou destructrices… Mais le travail d’accueil des jeunes enfants est particulièrement porteur d’émotions. Parce que c’est un travail de « care ». Un travail où il s’agit de s’occuper d’un autre dépendant, d’en prendre soin. Mais également, pour faire justice au sens anglais de « care », c’est être concerné par cet autre, ressentir son point de vue et ses propres affects et lui donner l’espace d’être un sujet dépendant mais considéré, estimé et aimé dans ces actes de soins et d’accompagnement. Et le travail d’accueil des jeunes enfants est particulièrement émouvant parce que les enfants sont de grands pourvoyeurs d’émotions. Par la force, l’intensité de leurs émotions propres. Par leur activité indissociablement cognitive et affective d’exploration du monde et de recherche de figures sécures pour mener cette exploration.
Les émotions au travail sont également une question parce que, justement, on n’est pas tellement sensés être émus au travail. Il faut rester professionnel, c’est à dire s’inscrire dans un contexte, une équipe, une fonction, des objectifs avec concentration, plaisir peut être mais pas en étant ballotté et animé sans cesse d’émotions. Ainsi, un réflexe courant peut être d’évacuer, de nier les émotions ou de les considérer comme un à-côté plaisant ou gênant, mais un à-côté… Et c’est là que ça devient compliqué, tout particulièrement dans un travail de care comme l’accueil de la petite enfance. En effet, les affects ressentis avec les enfants, pour les enfants, dans les gestes de soins sont trop puissants. Si on ne les considère pas, si on ne les travaille pas, ils risquent fort de revenir sous différentes formes vraiment non maîtrisées et donc destructrices : burn-out, turn-over, mise à distance et indifférence aux enfants… ou au contraire instauration de relations trop proches et exclusives. Il faut donc prendre en compte les émotions et les affects et les intégrer au travail, à la vie de l’équipe : « La solution n’est donc pas d’entraver la relation affective, en la décrétant inadéquate, mais plutôt de laisser se déployer les conditions collectives qui permettent son élaboration et son inscription dans un cadre professionnel. »1
Ceci étant dit, comment se manifestait cette place des émotions parmi les professionnels que j’ai rencontrés. En leur soumettant un petit questionnaire portant sur leur dernière « forte émotion » au travail, sur ce qui leur permet de dire qu’elles ont eu une « bonne journée de travail », sur ce qui les émeut chez les enfants… il est ressorti que les enfants étaient majoritairement porteurs d’émotions positives pour les professionnels. De même que les parents dont les remarques positives touchent les professionnels, émouvant également dans ce qu’ils laissent voir de leur vie familiale etc… Par contre, les collègues semblaient plus ambivalents. On cherchait auprès d’eux du partage, de l’échange et les professionnels citaient surtout des interactions négatives. Il y avait donc des émotions, mais c’est leur travail au sein de l’équipe qui posait question. C’est ce que nous verrons dans la prochaine chronique avec le « travail des émotions ».
1(Pascale Molinier) « Temps professionnel et temps personnel des travailleuses du care : perméabilité ou clivage ? », Temporalités [En ligne], 9 | 2009, mis en ligne le 30 septembre 2009)
Pour aller plus loin, suivre notre formation en ligne : Comprendre et accompagner les émotions de l'enfant.
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