L’étrange réforme. Par Pierre Moisset

Sociologue, consultant petite enfance

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bébé marcyant à 4 pattes
Cette dernière chronique de l’année 2020, qui fut fort étrange et sinistre, est l’occasion de se prononcer, rapidement, sur une étrange réforme. Celle qui est actuellement lancée, dans le cadre de la loi ASAP, par Adrien Taquet.
 Une étrange réforme au premier regard parce qu’on y trouve un mélange de volonté de simplification et une certaine audace simpliste qui chamboule le paysage de l’accueil du jeune enfant sans réellement en changer la structure. Je vais essayer d’être plus clair sur ce sujet que je ne maîtrise pas encore tout à fait.
Volonté de simplification dans le fait de faire rentrer la charte d’accueil du jeune enfant issue des travaux menés par Sylviane Giampino dans la loi. En tout cas d’en faire une référence obligée pour tous les modes d’accueils, individuels et collectifs. Ainsi, il y aura un même référentiel pour donner des orientations à l’accueil, où qu’il est lieu (tient mais on peut se demander si ce référentiel s’applique alors au garde à domicile ? Et si, dans ce cas, il peut être aussi « opposé » aux parents employeurs par le professionnel si les désirs des premier s’opposaient à un ou plusieurs points de la charte ?...)
Volonté de simplification également dans le fait de préciser, pour les établissements d’accueil collectif, le nombre de mètres carrés dévolus à chaque enfant accueilli dans les zones tendues, ou non tendues. Volonté de simplification…. Peut- être dans le fait d’offrir la possibilité aux établissements collectifs de passer d’un taux d’encadrement d’un adulte pour cinq enfants ne marchant pas et un adulte pour huit enfants marcheurs à un pour six globalement. Il faudrait faire les calculs précis en fonction de la part des enfants des différents âges accueillis dans les différents types d’établissement pour savoir si cela est réellement une avancée (amélioration du taux d’encadrement) ou un recul voire une situation neutre.
Volonté de simplification toujours pour les assistants maternels avec la clarification du fameux article L 421-4 du CASF sur le nombre d’enfants maximum sous la responsabilité exclusive de l’assistant maternel. Mais, on a le sentiment de passer dans cette réforme de la simplification à l’audace simpliste. Ainsi, le fait de faire passer la capacité d’accueil des micro-crèches de 10 à 12 enfants dans les conditions actuelles de fonctionnement de ces structures, et sans plus de retours et d’évaluation sur la façon dont s’y passe concrètement l’accueil des enfants peut paraître un peu simpliste. Bien sûr, cela crée mécaniquement des places d’accueil sans devoir créer de nouveaux établissements, mais est-ce bien réfléchi (peut- être, je ne connais pas d’évaluation à ce propos) ?
Concernant les assistants maternels, la simplification vire aussi à l’audace : ainsi on voit s’ouvrir à ces professionnels d’accueillir, en plus du nombre maximum d’enfants mentionné plus haut deux autres enfants « pour répondre à un besoin imprévisible ou temporaire, notamment lors de vacances scolaires », mais aussi la possibilité d’accueillir des enfants « à titre gracieux » à côté de ceux accueillis à titre professionnel. On retrouve là la fameuse élasticité des normes d’accueils appliquées aux assistants maternels que j’avais évoqué dans mon article « Le virus révélateur ». 

La réforme prétend revaloriser l’accueil en assistant maternel, le considérer à sa réelle hauteur, tout en lui permettant une série de dérogations difficilement conciliables avec l’idée d’une qualité d’accueil et de relations maintenue. Tout cela pour répondre à des situations « urgentes et imprévisibles », à un besoin « imprévisible et temporaire ». Cela vise à fluidifier l’offre d’accueil, à l’adapter à la demande d’accueil changeante et à ses aléas, mais sans considération, là encore, pour la réalité du travail d’accueil. On est plutôt dans l’audace simpliste. Il me semble que, sur ces points de dérogation, il y aurait eu matière à faire des expérimentations ( De tels aléas de la demande d’accueil existent-ils ? Les parents sont-ils prêts à recourir à un nouveau professionnel dans des contextes « imprévisibles et temporaires » ? Un tel nombre d’enfants accueilli en même temps est-il réellement envisageable pour les professionnels qui l’ont expérimentés ? ) Mais non.
Par contre, on passe  de l’audace simpliste à la pusillanimité sur la possibilité pour les assistants maternels d’accéder à un référent santé ou à des analyses de la pratique.
 
Bref, cette étrange réforme semble tout de même tenir à libérer un potentiel d’accueil permanent (les extensions d’agrément) et ponctuels (les dérogations) sans s’interroger plus avant sur ce que cela suppose comme pratiques concrètes d’accueil. En cela, elle fait œuvre de simplisme et elle vient, particulièrement pour les assistants maternels, peut- être troubler encore plus l’image de ces métiers. En effet, quelle est la réalité, la consistance d’un travail qui peut s’exercer auprès de 3, 4 ou 6 ou bien parfois peut être 8 enfants tout en ayant le même cadre ? Est-ce que ce sont des modes d’accueil ou des sacs d’accueil ?

Enfin, un dernier point qui a déjà été relevé et contre lequel je tiens aussi à me positionner. La possibilité offerte par une reformulation de l’article L 421-4 que les assistants maternels en MAM soient « salarié(s) de particuliers employeurs ou salarié de personnes morales de droit public ou de droit privé». Cette formulation ouvre la possibilité aux entreprises, associations et collectivités d’ouvrir des MAM avec des assistants maternels salariés directement par le porteur de la structure. D’une part, comme cela a été noté, cela gomme encore plus la différence entre une MAM et une micro-crèche sur le fond. Seule la forme restant (avec notamment la réglementation bien plus légère des MAM). D’autre part, et c’est le pire pour moi, cela pourrait venir contrarier cette magnifique expérimentation sociale que sont les MAM. A mes yeux, et pour ce que j’en ai compris, ces lieux d’accueil sont des espaces « anarchistes » (au sens de profondément délibératifs et non pas chaotiques) où des professionnels à égalité de statut tentent de construire ensemble un espace d’accueil et d’y réguler leurs pratiques. C’est fragile, intense, cela demande à être accompagné. Et c’est en cela que faire passer ces lieux très intéressants potentiellement dans l’escarcelle de porteurs privés ou publics avec leurs normes, leur design, leurs démarches marketing parfois et leur hiérarchie me semble profondément navrant.
Bref, encore une fois, une réforme de simplification qui s’avère simpliste parce que timorée sur les moyens et audacieuse sur le ramollissement des normes.
 
Article rédigé par : Pierre Moisset
Publié le 15 décembre 2020
Mis à jour le 15 décembre 2020