A quand une grande Petite Enfance ? Par Pierre Moisset

Sociologue, consultant petite enfance

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petite fille va à l
Emmanuel Macron a récemment annoncé l’obligation de la scolarisation à trois ans des enfants. Une mesure assez largement cosmétique au regard de la scolarisation déjà quasi-totale des enfants à cet âge : 97,6%. Alors bien sûr, ce taux de scolarisation à 3 ans varie fortement en fonction des départements et une telle mesure, si elle s’accompagne de moyens humains et d’accompagnements des parents, pourra aboutir à une égalité de scolarisation de fait sur l’ensemble du territoire. Une égalité de fait qui n’équivaut pas à une égalité de résultats : il n’est pas encore démontré - à ma connaissance - qu’une égale scolarisation (une scolarisation sur des temps équivalents en semaine et tout au long de l’année) à trois ans des enfants égalise ou, tout au moins influe significativement sur leurs parcours scolaires ultérieurs. De même que l’on a du mal à évaluer l’effet de la scolarisation précoce des jeunes enfants (voir à ce propos la note passionnante et ardue de France Stratégie sur les difficultés d’évaluation de la scolarisation précoce, on risque d’avoir du mal à évaluer les effets d’une scolarisation universelle à trois ans.

Même si l’annonce de cette mesure s’est accompagnée d’une autre annonce bienvenue de la revalorisation du rôle des ATSEM, il me semble qu’elle passe - alors que la mission sur prévention et la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes rend ses résultats - un peu trop à côté de l’enjeu. En effet, plutôt que de renforcer, ne serait-ce que symboliquement, la place de l’école maternelle, il s’agirait de penser une plus grande « petite enfance » dans notre pays. Qu’est-ce à dire ?

Jusqu’à l’annonce d’Emmanuel Macron, la tranche d’âge préscolaire dans notre pays était les 0-6 ans. Nous étions alors dans un système dual de prise en charge de l’enfance préscolaire : avec d’un côté les modes d’accueil de la petite enfance et, de l’autre, l’école maternelle. A y regarder de plus près, nous étions et sommes même dans un mode triple de prise en charge du préscolaire : les EAJE avec leur socle sanitaire-éducatif, les assistants maternels dont la professionnalisation est en cours mais qui sont encore rapportés à une offre « familiale » d’accueil et l’école maternelle du côté du scolaire. Une grande dispersion donc des institutions et des conceptions de l’enfant auxquelles elles se réfèrent (l’enfant du développement et de la santé pour les EAJE, l’enfant-élève pour l’école, l’enfant « privé » et familialisé pour les assistants maternels). Une grande dispersion alors que l’on prend de plus en plus conscience de l’importance de l’action précoce auprès des enfants (ce qui ne veut pas forcément dire une action précocement scolaire) dans une perspective d’égalité sociale. Une grande dispersion enfin, alors que l’on aurait besoin de coordonner et d’unifier les paradigmes des acteurs auprès des jeunes enfants et de leurs parents.
Aussi, même si la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté des enfants comprend (mesure n°6 et 8) la « constitution d’un socle de contenu de formation commun à tous les professionnels de la petite enfance, de l’école maternelle et du soutien à la parentalité » ainsi que « le développement d’alliances éducatives locales afin d’incarner au plan local le continuum de la naissance à six ans », ces deux aspirations me semblent peser bien peu face à l’universalisation de l’école maternelle, si l’on ne repense pas cette dernière dans un paradigme moins scolaire et évaluatif et plus en accord avec une conception globale du développement de l’enfant (voir à ce propos la belle infographie de France Stratégie).
Publié le 05 avril 2018
Mis à jour le 05 avril 2018