Brigitte Bonnafous, formatrice petite enfance : « Le management participatif est un bon levier pour enrayer le turn-over »

Brigitte Bonnafous, formatrice indépendante en Occitanie, a longtemps été directrice de crèches (publiques et associatives), mais aussi coordinatrice et accueillante LAEP et RAM, conteuse et éducatrice en établissement spécialisé. Dans Management participatif et qualité éducative, paru en avril 2022, la professionnelle décrypte les liens étroits entre management et qualité éducative en crèche. Pour l'autrice, la mise en place du management participatif est un des leviers à actionner afin de sortir de la crise un secteur touché par une pénurie de professionnels sans précédent.
 Les Pros de la Petite Enfance : Comment avez-vous réagi cet été à l'annonce de l’arrêté permettant à titre dérogatoire l'ouverture du recrutement à des personnes non qualifiées ?

Brigitte Bonnafous : Sur le coup, je me suis dit que ce n'était pas possible. C'est tellement en incohérence avec le cadre national pour l'accueil du jeune enfant ! Demander aux personnels du terrain de servir de tuteurs, c'est irréalisable. À quel moment le tutorat peut se faire ? Pendant la sieste des enfants ? Mais tous ne la font pas ! Quant aux personnes sans formation, elles n'apprendront pas en observant car elles sont embauchées pour être opérationnelles tout de suite ! Est-ce qu'on demanderait à un novice de réparer une tuyauterie sans qu'il ait été formé au préalable ?

Mais il y a urgence… Près de la moitié des crèches collectives sont touchées par la pénurie de professionnels selon l'enquête de la Cnaf
Certes, la pénurie de professionnels est telle qu'il n'y a pas de solution idéale mais il y en a sans doute d'autres qui préservent davantage la qualité de l'accueil. Pourquoi ne pas baisser l'agrément des structures en tension par exemple s'il n'y a pas assez de personnels encadrants ? Je ne pense pas que ce type de décret puisse enrayer « la grande démission » observée dans les structures d'accueil après le Covid…

Comment expliquez-vous « cette grande démission » et plus généralement la crise que traversent les structures collectives ?
Les professionnels des crèches, comme dans tous les secteurs, n'ont pas échappé à des questionnements sur le sens de leur travail pendant la crise sanitaire aboutissant à des changements de voie. Mais avant le Covid, la situation était déjà critique, avec un turn-over dû à un absentéisme souvent lié aux maux psychosociaux, empêchant l'indispensable stabilité du personnel éducatif. De nombreux professionnels allaient déjà mal, mais on n'en parlait pas.

Pour vous la gouvernance globale induite par la Prestation du service unique calculée sur les heures facturées aux familles (PSU) n'y est pas pour rien…
Cette PSU entre en tension avec les objectifs de qualité. On confond la qualité et la quantité. De même, on évalue souvent la structure en fonction de la satisfaction des parents mais leur satisfaction n'est pas synonyme de qualité de l'accueil ! Quand on laisse croire que la petite enfance évolue positivement grâce à la création de places, on n'oublie de dire que c'est souvent au détriment de la qualité éducative. C'est très compliqué pour le personnel de mettre en pratique ce qu'il apprend en formation (respecter le rythme de l'enfant, favoriser les interactions avec l'enfant), et l'accueil des parents à toute heure de la journée dans un contexte de pénurie de professionnels !

Vous utilisez aussi l'expression « boucher un trou ». Que voulez-vous dire ?
On rend invisible une minorité d'enfants en s'en servant, ni plus ni moins, de variable d'ajustement pour un remplissage optimal. Je pense ici à tous ces enfants dont les contrats sont établis juste pour « boucher un trou » de quelques semaines. Une fois l'enfant au contrat pérenne de retour à la crèche, celui qui n'était accueilli qu'en remplacement voit ses parents qui travaillent obligés de rechercher un nouveau lieu d'accueil. Et ainsi de suite jusqu'à ce qu'une crèche ou une assistante maternelle leur propose enfin un contrat stable…

Comment redonner du sens au travail et motiver les équipes au sein de ces structures afin d'enrayer le turn-over ?
On questionne rarement le management en crèche dans le sens accompagnement des équipes mais plus souvent dans le sens gestion des plannings, tâches administratives et financières. Pourtant il est essentiel pour instaurer une meilleure qualité de vie au travail (QVT). Dans l'Accord national interprofessionnel signé en 2013, il est d'ailleurs stipulé de repenser la QVT pour les personnels en crèche. Le management des équipes est, à mon sens, un levier indispensable à actionner pour enrayer ce turn-over. Mais en formation initiale, il n'y a aucun module pour apprendre à accompagner les équipes. L'expression « accompagner son équipe » est partout mais la pratique ne suit pas, notamment faute d'un minimum d'apprentissage théorique.

Au-delà de la formation, accompagner les équipes nécessite du temps. Et les équipes en manquent cruellement, encore plus en période de pénurie…
Ce temps est surtout inexistant en crèche en dehors des horaires d'ouverture et de la présence des enfants. Ce qui reflète assez bien ce que les décideurs pensent encore du secteur de la petite enfance. Pour eux, une place en crèche est d'abord un lieu de garde pour permettre aux parents d'aller travailler avant d'être un lieu d'accueil pour favoriser le développement du tout-petit. Heureusement, certaines structures ont trouvé une organisation pour dégager du temps. Un directeur ou une directrice de crèche peut par exemple décider d'enlever quinze minutes sur le planning hebdomadaire pour planifier des réunions mensuelles. Mais ils s'organisent pour la plupart intuitivement ou en se formant eux-mêmes au management participatif.

Ce management participatif est indissociable de la qualité éducative en crèche si l'on en croit le titre de votre livre… Comment le définir en quelques mots ?
Le management participatif en crèche, c'est d'une part, mieux considérer les professionnels de la structure et d'autre part imaginer une organisation permettant de dégager du temps pour impulser la pratique réflexive afin de savoir quoi faire et comment le faire. C'est bien de donner un cadre national avec plein de concepts, mais est-ce que derrière les mots tout le personnel comprend la même chose ? Il est important de l'expliciter en équipe afin d'harmoniser les pratiques et de réduire l'écart entre le travail prescrit et le travail réel. Il faut aussi être capables de s'écouter mutuellement, de se remettre en question, de faire preuve de souplesse, d'avoir la possibilité d'ajuster les pratiques, de prendre des responsabilités…

Pour certaines équipes, cela demande de changer complètement de manière de fonctionner. Comment appréhender la résistance au changement ?
Accompagner son équipe vers des changements, tant dans l'organisation que dans les pratiques, nécessite de comprendre ce qu'implique « changer » et ça s'apprend. L'objectif est de créer, au fil des mois, une cohésion d'équipe basée sur la qualité du travail et ainsi de sortir de la logique marchande induite pas la Prestation du service unique (PSU). Bien traiter les équipes est le prérequis à un accueil de qualité. Mais pour que cela soit possible, il faut que le directeur ou la directrice ait de l’autonomie et que les gestionnaires lui fassent confiance… Le management participatif doit s'inscrire à tous les étages pour que l'effet domino fonctionne mais aussi pour qu'il soit pérenne, même en cas de changement de direction.

Voir la chronique du livre de Brigitte Bonnafous, Management participatif et qualité éducative. ( Dunod)
Article rédigé par : Propos recuillis par Anne-Flore Hervé
Publié le 31 août 2022
Mis à jour le 30 septembre 2022