Héloïse Junier, psychologue : « La crèche a peu d’intérêt pour l’enfant avant un an »

Vous connaissez bien Héloïse Junier, elle écrit régulièrement pour les Pros de la Petite Enfance. Vous avez sans doute déjà lu son premier ouvrage « Guide pratique pour les pros de la petite enfance » (Editions Dunod) qui a rencontré un franc succès l’année passée. Elle débute la rentrée avec un nouveau livre, cette fois-ci destiné aux parents « Le manuel de survie des parents » paru chez Interéditions. Elle se penche sur les doutes et questions des nombreux parents qu’elle a reçus et y répond sous la forme de fiches pratiques, avec empathie et humour, sur la base de la recherche scientifique.
Les Pros de la Petite Enfance : En quoi l’expérience que vous avez acquise auprès des parents en tant que psychologue de crèche a pu modifier la pratique et l’approche que vous vous faites de la parentalité ?
Héloïse Junier : Quand on sort d’études, on a emmagasiné énormément de théories sur le développement, sur ce qu’est un parent, des formes de schémas préconçus. Les parents que j’ai rencontrés m’ont justement apporté l’émotion de la parentalité, le vécu, la vraie vie. Je faisais face à des questions nouvelles « Qu’est-ce que ça fait de ne pas être entendu par son enfant ? », « Comment supporter les pleurs répétés de son enfant, avec les nuits courtes et la fatigue ? ». J’ai été aussi confrontée à des choses indicibles et très sombres auxquelles il est dur d’être préparé, comme le regret d’avoir fait un enfant ou encore la violence d’un parent. Tout cela a changé la donne, je voyais davantage l’être humain comme un être plein d’émotions, vulnérable, et moins de manière scientifique.

Votre point de vue sur le développement de l’enfant a donc évolué depuis vos études ?
Mon point de vue sur l’enfant a en effet beaucoup évolué, l’université forme à des développements typiques ou atypiques, en somme des stéréotypes. Alors qu’au quotidien, c’est bien plus foisonnant, les enfants ont des trajectoires de développement bien plus dynamiques et il y a bien plus de marges de manœuvre. L’expérience m’a enseigné la tolérance et l’humilité envers les parents. Le terrain apporte de l’humain, j’y ai appris l’empathie et l’humanité. En entendant des femmes m’avouer regretter d’être mère, ou encore des parents ayant fessé leur enfant, je me surprenais à ne plus être dans le jugement mais dans la compassion. Les études ne forment pas du tout à la rencontre humaine et c’est là le décalage entre la fac et le terrain.
Dans mon « Manuel de survie des parents », je voulais justement concilier les deux : leur apporter des informations fiables et scientifiques sur leur enfant, tout en demeurant dans l’empathie et la bienveillance. Et ce, pour leur apporter un petit mieux-être dans leur quotidien de parent.

Dans votre ouvrage, vous mettez en doute les bienfaits de la crèche collective chez les tout-petits en expliquant qu’il est souvent compliqué pour quelques adultes d’encadrer convenablement une vingtaine de bébés. Pourquoi ?
La collectivité est très controversée et n’est pas adaptée aux tout-petits, du moins pas avant leur un an environ. Le petit humain, bien trop immature, est programmé pour évoluer dans une relation exclusive avec l’adulte durant ses premiers mois de vie et non pour passer ses journées dans des pièces où il y a beaucoup d’enfants. Il est intéressant, d’ailleurs, de constater le décalage entre l’image que les parents se font d’une crèche collective - ça va le rendre sociable, ça va l’éveiller - et la réalité du terrain. L’idéal ne serait pas d’augmenter l’effectif d’adultes - car trop de personnes dans un même espace peut être source de stress - mais plutôt de diminuer l’effectif d’enfants !

Je sais que de nombreux professionnels de l’enfance partagent cet avis sans toujours oser le dire, ce sont eux qui sont d’ailleurs en coulisses et pâtissent de la situation. Un bébé de trois mois qui pleure sans cesse peut leur donner l’impression de ne pas faire du bon travail. Le contexte n’est donc pas favorable. D’ailleurs beaucoup de pros décident de ne pas mettre leur bébé en crèche, sauf s’ils connaissent déjà bien l’équipe, par exemple. Mais j’ai conscience que les parents n’ont pas toujours le choix, surtout qu’il est très dur de confier son bébé à quelqu’un.

Trouvez-vous que ce manuel de survie des parents peut également aider les professionnels à mieux appréhender leurs rapports aux parents ?
Je l’espère ! J’ai voulu donner une vision de la parentalité assez juste, ce qui peut aider les pros à accompagner les parents dans leurs difficultés. Comment détourner un rapport de force par exemple ? Que penser objectivement, sans parti pris, de la tétine, ou bien du cododo ? Il est toujours bon que les pros soient renseignés sur la question pour orienter au mieux les parents. Avec ce livre, je m’efforce de déconstruire des idées reçues que beaucoup de pros peuvent d’ailleurs avoir aussi, n’ayant pas forcément suivi une formation scientifique à jour. Ils pensent parfois avoir des outils qu’ils croient être les bons, ce qui n’est pas toujours le cas, et qu’ils conseillent avec bienveillance aux parents.

Comment améliorer une situation difficile entre un professionnel et des parents ?
J’ai justement hésité à consacrer un chapitre sur le sujet. Je dirais que le parent doit tenter de se mettre à la place du pro, de l’aborder avec empathie et ne jamais perdre le contact. Et vice versa ! Dans certaines situations, j’ai remarqué que si l’on rompait l’harmonie de la triade parent / pro / enfant, cela pouvait impacter le bien-être de l’enfant et parfois même jouer sur l’empathie qu’un pro aura pour l’enfant dont il s’occupe. Je conseille aux parents de ne jamais briser le dialogue et d’échanger sans agressivité. Même si un parent peut être sous le coup de l’émotion, il est important qu’il puisse conserver une alliance forte avec le pro. La communication est la clé.

Auriez-vous une recommandation pour les pros et les parents ?
Mieux on sait comment fonctionne le cerveau d’un enfant, moins on a de risques de se braquer et de se mettre la pression ! Il faut bien connaître son développement pour mieux réussir à lâcher prise. C’est d’ailleurs ce qui m’arrive en tant que jeune maman. Mes connaissances sur l’enfant m’ont énormément aidée dans ma propre aventure de la parentalité ! Elles me permettent d’être une maman plus zen, plus tolérante. Ce qui ne veut absolument pas dire que je n’ai pas moi-même des épisodes de stress et de grande, très grande impatience comme tous les parents ! Je recommande à ce sujet un très bon livre sur les émotions des enfants qui est indispensable à lire pour les parents et les professionnels « Pleurs et colères des bébés et des enfants » d’Aletha Solter (Jouvence, 2015).


« Le manuel de survie des parents » 16,90 euros, Interéditions, 4 septembre 2019
Article rédigé par : Nora Bussigny
Publié le 23 septembre 2019
Mis à jour le 01 octobre 2020