Mike Marchal : « C’est parfois lourd d’être le seul homme dans une crèche ! »

Très peu d’hommes travaillent dans la petite enfance. Selon les derniers chiffres*, 1,5% d’hommes, tous métiers confondus, dans le « secteur de l’accueil  et de l’éducation des jeunes enfants ». Mike Marchal, éducateur de jeunes enfants pendant 15 ans et aujourd’hui formateur à l’Ecole de  Formation Psychopédagogique  de Paris (EFPP) a donc décidé de créer en 2013 l’Association  pour la Mixité et l’Egalité dans la Petite Enfance ( AMEPE ) . Rencontre avec le président-fondateur d’une petite association  (une trentaine d’adhérents) qui voit grand : en janvier elle organisera un colloque national parrainé par le Ministère des Familles , de l’Enfance et des Droits des Femmes.
Les Pros de la Petite Enfance : Vous militez pour qu’il y  ait plus d’hommes dans les crèches ? Pourquoi  ?

Mike Marchal  : Il y a très peu d’hommes dans les modes d’accueil du jeune enfant. D’ailleurs il n’ y a pas de statistiques spécifiques, ce qui est très significatif. On considère qu’il y a environ 3% d’hommes dans les structures accueillant les moins de six ans ( ce qui englobe l’école maternelle ). Dans les crèches côté  parents, on voit de plus en plus les pères . En, revanche côté professionnels ca ne bouge pas ou peu. Oui nous militons pour une plus grande présence des hommes dans les lieux d’accueil petite enfance. En quoi ce secteur serait exclusivement féminin. Il faut en finir avec l’idée que s’occuper d’enfant relèvent de qualités plus « maternelles » et féminines. Il s’agit de compétences professionnelles  avant tout. Il faut en convaincre les recruteurs  mais également les hommes. C’est pourquoi notre association s’adresse aussi aux étudiants et futurs étudiants.

Que peut apporter plus de mixité parmi les professionnels de la petite enfance ?

Nous pensons qu’en recrutant des équipes plus mixtes dans les EAJE, d’autres pratiques professionnelles pourraient se mettre en place avec notamment un autre regard porté  sur l’enfant. Nous pensons que par ce biais on peut lutter -en profondeur- contre les stéréotypes de genre dans les structures. C’est donc très  important aussi pour les enfants, pour la construction de leur identité.
 
Quels sont les freins à une présence plus forte des hommes dans les métiers de la petite enfance ?

Il y a encore c’est vrai une sorte de suspicion (parfois entretenue par les parents)  à faire venir un homme dans une crèche notamment  dans la section des bébés. On s’interroge sur ses motivations. On répugne à lui confier certaines tâches. On se méfie.  L’idée qu’un homme puisse prodiguer des soins aux bébés ( change, repas etc.) n’est pas évidente. Cela vient heurter des représentations classiques.  Même pour les professionnelles . Un éducateur de jeunes enfants c’est plus facile à recruter qu’un auxiliaire de puériculture.

 C’est lourd d’être un homme dans une structure ?

Oui, et c’est aussi pour cela que l’association a été créée, pour rompre l’isolement des professionnels masculins. C’est nécessaire de se rencontrer, d’échanger. Oui c’est lourd.  Il a un effet solo. On est la mascotte ou la star, mais même avoir une place ultra valorisée n’est pas forcément confortable.

En fait, vous n’êtes pas un homme, vous êtes l’homme ?

Exactement. L’an dernier, l’Association a fait un voyage d’étude en Norvège, pays où il y a environ 12% d’hommes désormais dans les structures d’accueil petite enfance    (enfants de 1 à 6 ans). Et l’un de ces professionnels racontait : avant j’étais l’ homme, maintenant je peux être juste moi- même. Cela résume assez bien la situation des professionnels-hommes dans le secteur de la petite enfance. Avec comme principal inconvénient de biaiser les échanges purement professionnels : par exemple si dans une équipe on veut comparer  des pratiques ou attitudes, s’il n’y a qu’un seul bomme on aura tendance à expliquer sa pratique différente par un stéréotype de genre puisqu’on ne peut pas la comparer à celle d’un autre homme.  C’est  pourquoi la diversité dans une équipe est vraiment nécessaire.
Ajoutons à cela, que parfois les hommes  sont recrutés pour de mauvaises raisons.

De mauvaises raisons, c’est à dire ?

Il arrive que des directeurs de structure se servent d’une présence masculine pour réguler les  relations dans  une équipe  ultra-féminine. Vous savez les hommes ont cette réputation d’être plus rationnels ! Il faut toujours réfléchir aux raisons qui font recruter un homme ! Nous nous battons pour une vraie égalité professionnelle, pas pour une égalité / complémentarité. C’est pourquoi quand un homme arrive dans une structure, il marche sur des œufs. Il faut sans cesse réfléchir à comment déconstruire les stéréotypes. On est souvent bien accueillis par l’équipe. Avec bienveillance .Mais on nous attribue un rôle … Un rôle dicté par les stéréotypes de genre. Du coup, on est un peu en porte à faux.

Concrètement que fait votre association ?

Nous organisons des réunions-groupes de paroles tous les deux mois environ. C’est important que chacun puisse expliquer ce qui l’a amené vers un métier de la petite enfance. Et c’est essentiel que tous puissent échanger sur leur vécu quotidien. Par rapport aux parents, par rapport autres professionnels. Comme toute minorité (et c’est leur cas dans les crèches) - les professionnels-hommes sont très isolés. Ils ont donc besoin de partage et d’échanges. Et puis nous travaillons en liaison avec la formation et la recherche, passages obligés pour faire avancer notre cause : plus de  diversité, plus de visibilité pour au bout du compte une action anti-stéréotype de genre envers les enfants. Il est intéressant de se pencher sur les programmes de formation par exemple…

Vous avez un grand projet pour le début de l’année prochaine : un colloque sur la mixité professionnelle

Ce colloque placé sous l’égide de Ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes se tiendra le 13 janvier à Paris. En 2014 nous avions répondu à un appel à projet en Ile de France sur le thème de l’égalité professionnelle . lauréat , nous avons l’an dernier fait un voyage d’études en Norvège , pays exemplaire en ce qui concerne la mixité professionnelle dans la petite enfance. Et nous nous étions engagés à organiser une journée de conférences et une expo photos en France. Ce que nous faisons donc avec ce colloque. Il y aura des séries de conférences avec par exemple un professeur  en développement et éducation de la petite enfance  allemand, Tim Rorhmann qui a coordonné un programme « Plus d’hommes dans les crèches » de 2011 à 2013.  Mais aussi Jan Peeters, directeur  du centre de recherche sur la petite enfance VBJK à l'université de Gand en Belgique et puis Nicole Mosconi, professeure en sciences de l'éducation à Paris X-Nanterre sur les questions de genre et la mixité dans l’ éducation . Il y a aura aussi des ateliers et des tables-rondes.  Le programme n’est pas encore terminé. Les inscriptions seront bientôt ouvertes.

In « Lutter contre les stéréotypes filles/garçons » Commissariat général à la stratégie et à la prospective
Article rédigé par : Catherine Lelièvre
Publié le 19 septembre 2016
Mis à jour le 12 juin 2023