Pascale Toscani : « Tous les bébés sont génétiquement programmés pour apprendre »

Pascale Toscani est docteure en psychologie cognitive et chercheure associée à l'université Paul-Valéry de Montpellier. Dans son livre Comprendre le cerveau de son enfant (publié aux Editions Hatier), elle explique les grands mécanismes des fonctions cognitives qui permettent aux enfants d'entrer en contact avec le monde et fait un sort aux fausses croyances sur le cerveau. Elle donne également des pistes pour favoriser les apprentissages des enfants. Entretien.
Les Pros de la Petite Enfance : À quoi ressemble le cerveau d'un nouveau-né ?

Pascale Toscani : À la naissance, le cerveau de l’enfant est déjà compétent, ainsi apprendre n'est pas « remplir » un cerveau vide. Apprendre c'est faire évoluer un cerveau qui a déjà toutes les compétences cognitives pour le faire. Autrement dit, le nouveau-né a déjà dans son cerveau toutes les structures cérébrales qui vont lui permettre d'entrer dans les apprentissages, et il fera cela très bien dès les premières heures de sa vie. Par exemple, lorsque l'on présente à un bébé de cinq-six mois une boîte avec 10 balles rouges et 10 balles bleues, puis qu'on enlève discrètement cinq balles bleues avant de la lui représenter, le bébé est surpris. Il perçoit un changement. Bien sûr, il ne sait pas compter les balles, mais il a déjà l'intuition que quelque chose s’est modifié. Et c'est loin d'être la seule chose qu'un bébé est capable de faire.

Le bébé a beaucoup d’autres compétences cognitives, comment les utilise-t-il ?
Un bébé est capable de reconnaître des visages, des objets, de comprendre le sens des symboles dès trois mois mais aussi de faire des hypothèses, des inférences, et d'anticiper… Et il est même capable de réaliser qu'il s'est trompé, ce qui veut dire qu'il apprend déjà de ses propres expériences. Un bébé agit comme s’il était un chercheur, c’est un chercheur en herbe ! Parfois ses intuitions sont bonnes, il va les consolider, parfois elles ne le sont pas, il va les invalider, et tout cela n’est pas forcément conscient. Ses apprentissages commencent à se constituer à un très haut niveau de traitement cognitif, propre à tous les humains.
Le cerveau de bébé agit sur son environnement à partir des compréhensions que lui a retournées son « réel ». Les réponses de l’environnement lui permettront de réajuster ses traitements futurs. Pour décrire cette compétence cognitive. Stanislas Dehaene parle de « cerveau algorithmique », même si le cerveau n’est pas un ordinateur. Cette fonction algorithmique du cerveau du bébé est bien plus puissante que celle d'un ordinateur. Pour se développer cognitivement, le bébé a besoin d’être sollicité de multiples façons. Mais le seul fait d’être au monde, de réagir à son environnement, permet déjà au bébé d’apprendre. Tous les bébés sont génétiquement programmés pour apprendre.

L’environnement est très important, quel est son rôle dans les apprentissages ?
Les fonctions cognitives seront sollicitées par ce qui lui sera proposé pour l’éveiller, comme le jeu, les activités motrices, le développement du langage… Mais attention de ne pas sursolliciter son cerveau avec un nombre d’activités trop importantes car le risque serait d’épuiser l’enfant, et finalement, de le désintéresser. Ses cinq sens lui donnent déjà énormément d'informations qui vont pouvoir organiser son activité cérébrale pour apprendre. Durant les trois premières années de sa vie, le cerveau apprendra déjà implicitement beaucoup de choses, comme l’apprentissage des codes sociaux, ceux de sa famille, l’apprentissage de sa langue ou de ses langues.
Les bébés sont naturellement curieux mais si on leur propose peu de sollicitations, cette curiosité en sera moins attisée. Par ailleurs, tous les bébés n’expriment pas leur intérêt de la même façon, et n’ont pas la même présence au monde. Il faut le respecter, sans interpréter, car l’interprétation est subjective. Les professionnels de la petite enfance doivent pouvoir évaluer la possibilité d'un tout-petit à s'intéresser à son environnement, et ajuster leurs interventions en conséquence, notamment par le jeu qui permet de développer tous les apprentissages cognitifs (motricité, langage, sociabilité…). Mais surtout, pour lui donner envie d'apprendre, les professionnels sont invités à valoriser les enfants. Parce que le valoriser, c'est le motiver et c’est aussi lui donner confiance en ses capacités. 

Dans votre livre, vous insistez sur le lien entre valorisation et motivation, pouvez-vous expliquer pourquoi ?
Pendant très longtemps, on a pensé que la motivation était essentiellement un phénomène psychologique, mais en réalité, il s'agit aussi d'un phénomène biologique. Comme pour chacun d’entre nous, quand un bébé vit quelque chose d'agréable (comme le fait d'être valorisé ou félicité) il se passe un phénomène chimique qui libère une substance appelée « dopamine ». La dopamine est impliquée dans le plaisir, la motivation, elle a un rôle important dans l’activation des comportements. Si le bébé sait, par expérience, que telle activité est source de plaisir, il sera très motivé pour la recommencer ! Le plaisir est lié à la libération de la dopamine. La motivation prend sa source aussi dans la manière dont l'enfant sera félicité durant ses premières années de vie.
L’inverse est vrai aussi. Si le bébé ressent l'apprentissage comme négatif, associé à du déplaisir (parce qu'il se fait réprimander par exemple, parce qu’il a ressenti l’échec), l’enfant aura du mal à soutenir sa motivation. Si le bébé n’est jamais valorisé, cela aura également des incidences sur son développement psychique. Pour grandir sereinement, il faut être sûr que ce que l’on fait sera valorisé, que ce que l’on est sera apprécié. 
 
Article rédigé par : Anne-Flore Hervé
Publié le 15 septembre 2021
Mis à jour le 16 septembre 2021