Pikler-Loczy : un mode de fonctionnement bienveillant qui irrigue de nombreuses pouponnières

De nombreuses pouponnières sociales s’inspirent, totalement ou partiellement, de la méthode développée à partir des années 1940 par la pédiatre hongroise Emmi Pikler, directrice de l’Institut Lóczy. A la clé, un meilleur respect de l’affectivité de l’enfant, pilier de son développement. Mais aussi une ritualisation rassurante de la journée autour des soins, et la promotion de la motricité libre.
Motricité libre, figure de référence, importance du soin… Les observations et les préceptes de la pédiatre hongroise Emmi Pikler, directrice de l’Institut Lóczy dans les années quarante, ont bouleversé la prise en charge de la petite enfance. De nombreuses pouponnières sociales, lieu d’essor de cette approche novatrice, s’en inspirent aujourd’hui, de manière totale ou partielle.
L’Association l’Ermitage Mulhouse (Haut-Rhin), qui comprend une pouponnière sociale de 36 lits, est à 100 % sur ce modèle. Première spécificité : la poursuite, au long cours, d’un projet spécifique à chaque enfant, avec son intérêt en ligne de mire. « Si les enfants restent en moyenne 18 mois dans nos murs, certains arrivent chez nous vers deux ans et demi et peuvent même rester jusqu’à l’âge de quatre ou cinq ans, précise Jean-Marc Dezèque, son Directeur Général. Afin d’éviter de reproduire le traumatisme de la séparation, pas question de les réorienter au bout de quelques mois. Nous sommes aussi un centre maternel et parental, visant à accompagner les familles. »

Journées ritualisées autour des soins
La journée est ritualisée et structurée autour des soins (bains, repas, change…), piliers de la pédagogie Lóczy. « Ce sont des temps relationnels très importants pour l’enfant, qui vont le nourrir dans son affectivité », note Valérie Quesne, directrice de la Pouponnière Boucicaut, à Roubaix (Nord), qui fonctionne selon les mêmes inspirations. L’auxiliaire est maternante, mais sans se substituer aux parents. « Pour chaque enfant, nous réalisons un petit album photos de sa famille, qu’il a à disposition. Nous parlons de leurs parents à ceux qui ont peu de visites », évoque Laetitia Renard, auxiliaire puéricultrice et EJE, qui a travaillé 16 ans dans une pouponnière privée appliquant les principes de Lóczy.
Autre principe de Pikler- Lóczy : ce sont toujours les mêmes personnes qui s’occupent de l’enfant. « Objectif : assurer la permanence des liens, qui leur a fait beaucoup défaut avant qu’ils arrivent à la pouponnière, et asseoir un cadre profondément rassurant et apaisant », commente Laetitia Renard. A l’Ermitage, la pouponnière comprend six « maisons pour grandir », correspondant chacune à un groupe de six enfants. Chaque groupe est suivi par une auxiliaire de puériculture, une le matin, l’autre l’après-midi, qui ne s’occupe que de ces enfants. Les professionnelles officient à tour de rôle, trois enfants étant baignés le matin et trois le soir. « Elles travaillent seules, afin d’être totalement attentives à l’enfant, précise Jean-Marc Dezèque. Mais elles peuvent joindre la puéricultrice coordinatrice si besoin. »
Le principe de régularité est un autre des piliers que l’on trouve dans la pédagogie Pikler. « Un travail organisé est plus confortable pour les personnels et plus sécurisant pour les enfants, car c’est l’improvisation qui peut entrainer des dysfonctionnements dans la prise en charge », souligne Jean-Marc Dezèque. En parallèle, linge, nourriture, ménage sont pris en chargé, pour libérer au maximum les professionnels de toutes contingences extérieures à l’enfant.

Motricité et jeux libres
Egalement au cœur de l’approche Lóczy : la motricité et le jeu libres. A savoir, le fait de laisser l’enfant explorer l’espace à son gré, en fonction de ses capacités et de ses envies. Ce qui implique de penser l’ensemble de l’aménagement matériel des locaux. A l’Ermitage, les enfants ont leur territoire, entièrement situé en rez-de-chaussée, leur permettant de sortir librement sur une terrasse couverte et un jardin privatif, et même faire la sieste dehors. Ils évoluent dans une grande pièce à vivre avec un système de barrière, qui permet à l’auxiliaire et aux bambins de se voir mutuellement en permanence. Loczy, c’est aussi du matériel ad hoc : des tables adaptées à la hauteur de bambins pour que leurs pieds touchent par terre ; des tabourets plutôt que des chaises pour qu’ils restent droits, avec un trou dedans pour les saisir plus commodément ; des tunnels permettant la motricité du tout petit…

Accompagnement managérial spécifique
Cette organisation autour de l’enfant s’appuie sur un accompagnement managérial poussé. « Toutes les semaines, pour chaque groupe, nous avons deux types de réunions : une clinique (chef de service, coordinatrice et psychologue), pour parler de l’enfant, pendant les temps de siestes, détaille Jean-Marc Dezèque. Et une pédagogique, qui réunit tous les personnels de chaque groupe pour faire le point sur leurs pratiques professionnelles. » A la Pouponnière Boucicaut, tous les personnels sont conviés à un séminaire annuel de formation assuré par l’association Pikler de France.
Si la démarche n’est pas adaptable partout, c’est qu’elle demande des moyens en personnels et une organisation adaptée. « Faire du Pikler avec un groupe de douze ou treize enfants, cela ne marche pas, pointe Jean-Marc Dezèque. Par contre, les coûts de fonctionnement ne sont pas forcément plus élevés. Pas plus que les temps de réunion. » Et la mise au premier rang de l’affectivité et de l’individualisation constitue un réel garde-fou contre le risque de maltraitance institutionnelle.
Article rédigé par : Catherine Piraud-Rouet
Publié le 13 novembre 2019
Mis à jour le 15 mai 2023