Pédagogie : à quoi sert une courbe d’animation ?

L’articulation entre le collectif et l’individuel est un défi au quotidien pour les professionnels de la petite enfance.  D’un côté, on sait que laisser les tout-petits jouer librement et individuellement est indispensable et de l’autre, on ressent parfois le besoin d’une proposition fédératrice pour le groupe. C’est particulièrement vrai pour les enfants de plus de 18 mois. La préparation d’une courbe d’animation  qui correspond à la manière de gérer l’intensité d’une activité, peut alors être utile.  Les explications de Fabienne-Agnès Levine, psychopédagogue.
En petite enfance, animer c’est surtout créer une ambiance
L’animation, ce n’est pas forcément guider un groupe en fonction d’un projet à mener ensemble. C’est aussi et d’abord créer une ambiance, et donc se soucier du bien-être individuel et de la qualité des interactions entre enfants et enfants-adulte. En accord avec l’origine du mot « animer » qui est « mettre de la vie à », le meneur de jeu est le garant de la joie de vivre. Dans un de ses livres sur le sujet, Créer et rêver avec le tout-petit. Animations en petite enfance (Chronique sociale, 2013) Christine Schuhl a très bien exprimé cette vision : « L’animation sous-entend que l’animateur soit en mouvement au cœur de ce qu’il va proposer aux enfants. Il est acteur, il est avec l’enfant, il impulse, même si une fois celui-ci mis en place, il redevient observateur. L’animateur guide le jeu, affine les effets de surprise, d’amusement. Il joue avec le spontané, tout en maîtrisant parfaitement le déroulé de son animation. L’animation devient alors un espace-temps, où la complicité entre l’enfant et l’adulte s’installe sans précipitation. »
Avec des enfants plus âgés, les animateurs apprennent à capter leur attention pendant les dix premières minutes et savent aussi que les dix dernières minutes sont importantes pour la cohésion du groupe. Entre les deux, la séquence présente des temps plus calmes et d’autres plus dynamiques, selon les propositions de l’adulte et l’intensité de participation. Avec les jeunes enfants, les temps de mise en route et de conclusion sont plus fluctuants, avec des phénomènes de groupe moins prévisibles et une relative absence d’esprit de compétition. Leurs réactions individuelles n’empêchent pas des manifestations de contagion émotionnelle, qui font partie des éléments à prendre en compte.

La courbe d’animation : un fil conducteur pour une activité de groupe.
La courbe d’animation est un fil directeur qui permet d’embarquer un groupe d’enfants dans sa proposition joyeuse et surtout pas d’un plan visant à gommer toute incartade de la part de l’un d’eux. Bien au contraire, l’idée est de se sentir suffisamment à l’aise pour accueillir les initiatives individuelles. Même si l’objectif d’une courbe d’animation est de créer un moment collectif et convivial, la mise en retrait de la part d’un enfant qui en exprime le besoin doit toujours rester possible.
                  
La courbe utilisée dans le milieu professionnel de l’animation et dans bien d’autres secteurs est en forme de cloche. Quels que soient le public et l’activité choisie, un simple graphique dessiné en u inversé permet de découper le temps imparti en plusieurs parties, le plus souvent une phase dynamisante (courbe ascendante), une phase constante (le haut de la cloche), avec indication éventuelle d’un point culminant (intérêt maximum) et enfin la phase descendante (dernière partie de la courbe). Au cas par cas, d’autres découpages sont possibles : l’animateur peut choisir de prolonger la phase de démarrage pour créer une ambiance et poser le cadre, ou bien au contraire de raccourcir cette étape pour vite capter l’intérêt des enfants en les faisant participer activement. Il s’agit, à chaque fois, d’anticiper le déroulement d’une séance de manière à être plus disponible pour les interactions individuelles. Concrètement, il suffit de tracer une courbe sur une feuille, les points de départ et de fin représentant la durée d’une séance, puis de faire des croix à quelques endroits choisis pour annoter les propositions concrètes : faire une ronde, enlever ou rajouter du matériel, etc.  
Lorsque la courbe n’est pas formulée noir sur blanc, c’est que l’animateur ou l’animatrice sont suffisamment expérimentés pour l’avoir en tête, intuitivement. Il en est de même pour les professionnels de la petite enfance qui, même sans connaître l’existence de cette courbe, savent repérer, par exemple avec des marionnettes, comment introduire une histoire (phase dynamisante), combien de temps maintenir l’attention des enfants sur la partie principale du scénario, qu’il soit improvisé ou non (phase constante), quand provoquer un effet de surprise (point culminant) et à quel moment raconter le dénouement (phase descendante). Pour d’autres, débutants dans le métier, ou tout simplement parce que l’activité est nouvelle pour eux, s’entraîner à dessiner une courbe et à y placer les événements clés est un exercice motivant, sans les engager à la suivre scrupuleusement.

L’éveil musical, une activité qui se prête bien à une courbe d’animation
Pour des raisons évidentes de gêne sonore (de sécurité aussi), il est difficile de laisser les objets musicaux en libre accès toute la journée. D’où l’intérêt, dans les lieux d’accueil de la petite enfance, de séances d’éveil musical avec ou sans intervenant extérieur. Qui dit séance, dit déroulement dans le temps et donc anticipation. Cette activité se prête donc volontiers à la préparation d’un plan représenté sous forme de courbe en cloche, avec une répartition en trois parties ou plus, de durées inégales. Les combinaisons entre manipulation des jouets musicaux, découverte d’un instrument de musique, jeux rythmés, jeux de voix, chansons et écoute musicale sont nombreuses, aussi est-il intéressant de prévoir l’ordre dans lequel les proposer. Remplir une courbe graphique amène l’adulte à se demander s’il choisit de donner les objets musicaux à manipuler librement au début, au milieu ou à la fin, longtemps ou pas. À quels endroits de la courbe placer l’écoute musicale ou les chansons ? Quand introduire un ou plusieurs jeux de relaxation ? Crayon à la main, l’animateur se pose ces questions et visualise ainsi sa séance, qu’il pourra renouveler à l’identique ou modifier au choix.
Tout est possible et le fait d’avoir programmé le déroulement ne doit pas empêcher de s’adapter aux besoins identifiés avec ce groupe, ici et maintenant. La courbe est un brouillon, un projet sous forme de schéma qui sert de trame et non une succession de consignes à faire suivre. À chacun de programmer sa séance dans ses grandes lignes, pour se sentir libre ensuite d’accueillir l’imprévu, tout en gardant la gestion du temps et en étant garant d’un climat de sécurité affective. Dans le cas de l’éveil musical, une courbe menée à terme (phase descendante) évitera de laisser les enfants quitter la séance dans un grand état d’agitation lié à la manipulation d’objets sonores bruyants sans faire descendre l’intensité.

Une courbe d’animation utiles aussi pour d’autres activités ?
Le schéma d’une courbe annotée de commentaires sur le déroulement d’une animation est justifié lorsqu’il permet de s’organiser pour mieux être à l’écoute des enfants après. C’est juste une manière de prendre des notes par rapport à un projet, une autre manière de préparer une fiche d’activité. La courbe d’animation est particulièrement adaptée aux jeux collectifs et en mouvement mais elle peut aussi servir de trame pour l’organisation d’activités sensorielles et manuelles. Juste un pense-bête en plaçant sur une courbe le temps d’installation (sans les enfants), le temps d’expression et de créativité suffisamment long et le temps de rassemblement du matériel (avec les enfants) puis de rangement et nettoyage (sans les enfants).
Attention à ne pas appliquer la courbe d’activité de manière systématique, d’une part parce que les temps collectifs restent en nombre restreint avec les jeunes enfants, d’autre part parce que certains ateliers peuvent volontairement reposer sur l’absence d’une courbe d’intensité. C’est le cas de l’approche Snoezelen, basée sur des sollicitations multi-sensorielles un peu « hors du temps » et très individualisées. Que la plupart des propositions de jeux et d’activités destinées aux moins de 4 ans puissent se passer d’une courbe d’animation ne doit pas empêcher d’y recourir quand elle peut être facilitante.


 

La chasse à l’ours, un jeu à animer en suivant une courbe sur mesure

Toute histoire, racontée avec ou sans support, suit naturellement un rythme : entrée progressive, moments d’accélération, de surprise ou d’attente, chute plus ou moins rapide. La chasse à l’ours est un classique de la littérature enfantine qui fournit la trame d’un jeu à la fois moteur et symbolique : un papa, des enfants et un chien entament une longue promenade. Ils traversent prairie, rivière, boue et forêt avant d’arriver à une grotte dans laquelle ils auront une grosse frayeur qui les fera rebrousser chemin. À chaque étape, ils rencontrent des obstacles qui sont autant de prétextes à mimer et à bruiter des actions précises : dans l’eau, dans la boue, dans la terre, dans l’herbe, sur la neige, jusqu’au face à face soudain avec l’ours. Pour transformer ce texte ponctué par des onomatopées et par une formule récurrente « On ne peut pas passer par-dessus. On ne peut pas passer par-dessous. », l’animateur du jeu doit jouer sur l’alternance entre temps forts et temps faibles pendant les premières étapes de la traversée (phase ascendante) puis prolonger le point culminant avec les retournements de la situation dans la grotte, lorsque les chasseurs sont surpris et effrayés. À partir de là, la phase descendante se fait avec une accélération dans l’enchaînement des actions à effectuer sur le chemin du retour jusqu’au calme revenu. Dans le livre de Michael Rosen et d’Helen Oxenbury (La chasse à l’ours, Kaleidoscope), la chute est annoncée en tournant la dernière page qui montre l’ours libre et vivant alors que sous forme d’expression corporelle, elle peut être plus brutale. En mettant ses commentaires sur les points d’une courbe, l’animateur s’en aperçoit et peut donc réfléchir à la manière de terminer ce moment d’expression corporelle : en regardant le livre ? avec une chanson qui parle d’ours ? ou pourquoi pas en repartant à la chasse ?
 

Article rédigé par : Fabienne Agnès Levine
Publié le 07 décembre 2021
Mis à jour le 07 avril 2022