Mission flash sur les crèches : des recommandations parfois audacieuses

Le rapport de la mission flash sur « les perspectives d’évolution de la prise en charge des enfants dans les crèches » a été présenté aux membres de la délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale, ce mercredi 8 novembre par les deux rapporteures, Michèle Peyron (Renaissance) et Isabelle Santiago (PS). A l’issue de cette présentation et des débats, il a été adopté. Et les deux rapporteures soutenues  par la présidente Perrine Goulet, ont expliqué avec fermeté qu’elles iraient jusqu’au bout pour porter leurs recommandations.

Hier matin, les deux députées avaient rencontré la ministre Aurore Bergé pour évoquer leur rapport et recommandations. La délégation  aux droits des enfants l’auditionnera mardi prochain pour savoir comment la ministre se positionne. Le rapport, assez bref  (une soixantaine de pages) ne s’éternise pas sur les constats mais va droit au but. Il est délibérément prospectif et se conclut par 54 propositions dont certaines sont assez audacieuses.
Une mission flash, c’est court, mais assez long pour tenter de bousculer les choses Michèle Peyron et Isabelle Santiago, sur ce point, sont sur la même longueur d’onde. Et toutes deux ont insisté sur le fait que ce rapport était vraiment « un rapport commun » tant elles sont d’accord  sur chaque  recommandation.
Elles l’ont défendu avec ardeur, et face à un William Martinet ( LFI) leur reprochant  de ne pas avoir assez « creusé le cas des crèches privées du secteur lucratif », elles ont explicité leur méthode et leur travail montrant combien certaines  de leurs recommandations mettraient ce secteur lucratif en tension et face à ses responsabilités : taux d’encadrement (1 professionnel pour 5 enfants marcheurs et 1 professionnel pour 3 bébés ; 2 professionnels dès le premier enfant accueilli ; interdiction de l’accueil en surnombre  et  de l’accueil occasionnel ; exigence de personnels diplômés etc.) La passe d’armes a tourné court.

Les besoins fondamentaux des enfants au cœur de l’accueil en crèche
La conviction des deux députées : il faut que les besoins des jeunes enfants soient au cœur de l’accueil en crèches. Ce que les neurosciences ont mis en lumière ne peut être ignoré.  «  Dans cette logique, les rapporteures se sont donc attachées à réfléchir aux pistes d’évolution qui permettraient de construire une politique d’accueil collectif de la petite enfance centrée autour des besoins fondamentaux de l’enfant uniquement - à l’exclusion, donc des logiques financières (…) Les rapporteures soulignent ainsi la nécessité, pour les pouvoirs publics, de ne pas concevoir d’un seul bloc la question de la petite enfance et de réinterroger en conséquence les modalités d’accueil des jeunes enfants à l’aune des connaissances en neurosciences et des besoins fondamentaux de l’enfant en fonction de son âge » est-il clairement énoncé.
Il en découle une autre conviction : les modes d’accueil ne soient pas seulement pensés en termes de conciliation vie professionnelle - vie familiale. « La priorité́ n’est plus de penser la garde de l’enfant comme permettant l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, mais qu’il faut dorénavant collectivement nous concentrer sur le développement de l’enfant et ses acquisitions durant ces 1 000 premiers jours. »
Dans cet esprit,  elles proposent par exemple, d’interdire la pratique des accueils ponctuels (accueil occasionnel) et recommandent notamment que le principe de référence soit respecté  dans tous les EAJE pour  que la sécurité affective des enfants soit assurée.

Miser sur la formation des professionnels
Former plus et mieux, telle est la ligne du rapport. Il faut investir dans la formation des professionnels d’abord pour lutter contre la pénurie  de pros et la mission appelle à « un grand plan  d’urgence en faveur des formations  des professionnels »  et souhaite que « l’Etat fixe des objectifs nationaux , après concertation avec les régions (…) » Il y a effectivement urgence car comme l’a expliqué Michèle Peyron « entre 2011 et 2021, Il y a eu +31% d’ouverture de places vs +7% d’EJE sortant de formation

 Côte qualité des formations initiales, la mission considère que les formations sont trop théoriques et que la part des stages doit être renforcée. Par ailleurs, sur la théorie, elle souhaite plus de place pour les neurosciences. Enfin, elle part en guerre contre les  formations  aux CAP-AEPE en ligne. Avec des mots très durs : «  Recruter du personnel diplômé en ligne au sein de structures comme les crèches est selon elles (ndlr. les rapporteures) dangereux et doit être purement et simplement interdit, pour toutes les crèches, quel que soit leur modèle. ». Et l’une de ses recommandations stipule : «  les rapporteures recommandent l’interdiction pure et simple des formations CAP-AEPE en ligne dès la rentrée 2024 ». Suivie d’une autre : « pour les formations en cours sur l’année 2023/2024, les rapporteures soulignent la nécessité d’interdire aux néo-diplômés d’être directement en contact avec les enfants après leur formation en ligne sans une formation minimale d’un an en crèche qui s’ajoute au cursus diplômant. »

Lutter contre la déréglementation du secteur
Dans le collimateur des deux rapporteures, les modes de financement PSU et Paje. Côté PSU,  selon elles , « il est nécessaire, a minima, de modifier la PSU, synonyme de déréglementation du secteur ». Elles proposent de sortir du financement à l’heure et  d’adopter un forfait à la demi-journée.
Quant à la Paje (ndlr : cela concerne ici les micro-crèches ) versée directement aux parents , elle participe selon le rapport, « de la dérégulation car ce système ne permet pas de disposer d’un regard sur les pratiques des établissements qui assouplissent ce faisant des normes d’encadrement ». Et d’affirmer : « Pour exclure de son champ les logiques et les mécanismes de marchandisation et de concurrence, il est nécessaire de revenir sur les facilités accordées aux entreprises de crèche à visée lucrative dont le financement exclut les familles les moins favorisées. »
C’est pourquoi au final, les deux rapporteures suggèrent de tendre vers un mode financement unique quel que soit le type d’accueil.

Enfin comme d’autres avant, le rapport préconise davantage « de transparence dans l’utilisation qui est faite des fonds publics lors de l’ouverture d’un EAJE ainsi que sur les questions de sa rentabilité. »

Sur question des contrôles, le rapport évoque un référentiel national de contrôle. « Il est effectivement nécessaire d’élaborer une liste nationale, publique, exhaustive et opposable des points et modalités de contrôle, mais davantage détaillés sur le fond des modalités d’accueil des jeunes enfants et moins sur des normes techniques » écrivent les rapporteures. 
Mais elles souhaitent la ma création d’un label qualité national (à destination des familles)  et surtout évoque une  culture du contrôle plus axée sur la qualité  et la satisfaction des besoins de l’enfant. Ce serait le rôle des PMI tandis que les Caf pourraient se charger des normes bâtimentaires par exemple.
Enfin la mission recommande, comme une sorte de contre-pouvoir,  de rendre obligatoires les conseils de crèche (où les parents sont présents) dans tous les EAJE quels qu’ils soient.

Voilà pour le grandes lignes. Nous reviendrons plus en détails sur les recommandations et les réactions qu’aura suscitées cette mission flash.

Voir la vidéo de la  présentation et des débats
Voir notre article avec notre analyse du rapport et le détail des recommandations.

 
Article rédigé par : Catherine Lelièvre
Publié le 08 novembre 2023
Mis à jour le 12 novembre 2023