Crèche réquisitionnée : la remarquable adaptation de tous

Sophie Ignacchiti, docteur en psychologie est psychologue à la crèche  Saint Bernard à Lyon. Une crèche associative réquisitionnée lors du premier confinement et qui s’est portée volontaire pour accueillir les enfants de soignants pour ce troisième confinement. Elle a accompagné les équipes en mars 2020 pour cet accueil pas tout à fait comme les autres. Et forte de cette expérience, elle est en ce mois d’avril encore plus présente. Dans ce texte, elle raconte le quotidien de la crèche depuis mardi et explique pourquoi selon elle tout se passe si bien. Une question de regards … dit-elle.

 
L’accueil en urgence : un vrai défi
Mercredi 31 mars. Le troisième confinement est acté ! La fermeture initialement prévue de l’ensemble des crèches est décidée et renvoie les professionnels de l’enfance un an en arrière lorsque tout s’était brusquement arrêté. Lors de ce premier confinement, certaines crèches ont été réquisitionnées pour assurer l’accueil des enfants des parents prioritaires, pour la plupart soignants ou dont les professions sont indispensables au pays. La crèche Saint Bernard à Lyon , dont je suis psychologue, a fait partie de ces crèches qui ont su relever le défi de l’accueil d’urgence dans un contexte tout à la fois anxiogène et inconnu.   

Jeudi 1er avril. L’effet d’annonce est encore bien perceptible. Le sujet des fermetures des crèches est présent sur toutes les lèvres de la crèche, parents et professionnels et il est nécessaire de se projeter sur les semaines qui arrivent.  Les professionnels de direction, quoiqu’encore sonnées, se questionnent sur leur rôle et leur mission lors de cette seconde fermeture des EAJE. La crèche garde en mémoire l’expérience du premier confinement et est convaincue de l’utilité de sa mission, pas seulement celle de l’accueil quotidien mais celle plus élargie de notre mission humaine de solidarité et d’action collective. C’est décidé, la crèche se porte volontaire pour l’accueil des familles prioritaires !

Mardi 6 avril, il est 8 heures. Les enfants et les familles sont attendues. Les professionnelles s’agitent, déambulent au travers des salles pour préparer les panières, mettre les étiquettes au nom des enfants. Les premiers enfants et familles arrivent. Il règne tout à la fois une ambiance étrange, une effervescence et quelque chose de plus doux. Je suis assise au sol, spectatrice de ces premières arrivées, soutenant les professionnels de terrain du regard et de ma présence. J’observe la sérénité des parents qui arrivent, leur sourire. Les enfants passant la porte pour la plupart d’un pas tranquille. J’observe ces tout-petits encore inconnus des lieux et des adultes qui prendront soin d’eux pour les jours qui arrivent. Ils semblent bien.    

Comment pouvons-nous comprendre et donner sens à cette remarquable adaptation des enfants et de leurs familles ?   Et s’il était surtout question de l’attitude des professionnels et du regard qu’ils portent sur l’enfant, sur sa famille et sur l’équipe qu’ils forment ?

Pas de temps de familiarisation pour les enfants mais une attitude très sécurisante des pros
Accueillir des enfants qui nous ne connaissons par apparaît comme un réel défi. Comment offrir un accueil sécurisant sans connaître cet enfant, son parent, leur histoire commune ? La période dite de familiarisation mise en place dans les crèches offre cet espace où nous sommes trois : l’enfant, son parent et le professionnel permettant une création de liens avec l’objectif de se connaitre et de se reconnaitre comme important dans la relation de confiance. Toutefois, l’apparente adaptation des enfants durant cette période de confinement remet grandement en question cette sacro-sainte période prévue dans les structures d’accueil. En situation de confinement, « faire connaissance » se fait sur le seuil de la salle de vie, avec tétine et doudou à la main prêts à être transmis à la professionnelle qui accueille. Les présentations de l’enfant se font dans l’entre-deux portes et des informations importantes sont glissés juste avant le départ du parent. Bien que certains enfants soient déjà accueillis dans d’autres structures, quels éléments ont permis à ces enfants, passés pour certains une petite période d’observation, d’investir les lieux, de jouer, de rire, de partager des moments de jeux avec les professionnels, de prendre plaisir à communiquer avec eux ? Une partie de la réponse se trouve j’en suis certaine dans la posture professionnelle et la manière dont ces adultes ont porté l’enfant par le regard dans sa rencontre avec ce nouvel environnement. Toutes les professionnelles présentes ce matin-là sont conscientes de l’étrangeté de la situation, tant pour elles que pour les familles et verbalisent leur vigilance à l’état émotionnel de ces tout-petits à leur arrivée. Elles se positionnent naturellement en cercle autour des enfants et crée un espace où, reprenant l’importance du professionnel « phare », tout l’espace est éclairé par les regards croisés. Certains enfants jouent en dehors de cet espace mais beaucoup gravitent à l’intérieur de celui-ci. Se sentant contenus, ils peuvent explorer l’environnement et investir les jeux mis à disposition.  

Parents et professionnels sur un pied d’égalité
Accueillir l’enfant revient à accueillir sa famille. Cette formule est déjà connue des professionnels de la petite enfance et est d’autant plus vraie dans cette situation. Les structures restent ouvertes pour accueillir les enfants de parents identifiés comme publics prioritaires, et ce statut nourrit ce qui se joue dans la relation interpersonnelle entre le professionnel et le parent. De mon poste d’observation, dans ce premier moment de rencontre, les parents et professionnels me semblent se retrouver comme identiques ; identiques face à cette situation et à la nécessaire adaptation à l’inconnu, à l’autre. Identiques dans la nécessité de se faire confiance rapidement pour le bien-être de ce tout-petit. Nécessité d’apporter à l’autre bienveillance et reconnaissance. Du côté du parent, bienveillance et reconnaissance pour le professionnel qui va accueillir mon enfant les prochains jours ; du côté du professionnel, bienveillance et reconnaissance de ce parent, souvent soignant ou profession essentielle concourant également au bien-être de la communauté. La qualité d’accueil ne se calcule pas ici en temps passé mais dans la qualité de ce qui se transmet par le langage verbal et gestuel.  De quelle manière je reconnais le parent à sa place de parent et le rassure par ma posture, mes propos et la façon dont je m’adresse ou porte son enfant afin que la triade enfant-parent-professionnel tisse ces premiers liens dans l’instantané de la rencontre qui est toute à la fois le moment de la séparation.

Une équipe de volontaires, soudée, motivée et créative
Accueillir les enfants a nécessité une adaptation des professionnelles, les équipes historiques des différentes salles de vie ne sont plus d’actualité et de nouvelles équipes s’installent et s’organisent. On tâtonne ensemble, on s’adapte ensemble, on crée ensemble. Une équipe nouvelle se construit et s’équilibre. L’objectif commun de travail est suffisant compris de tous pour permettre de se libérer des côtés parfois lourds de l’équipe (conflits, difficultés de communication, rivalité) pour y trouver les ressourçant, l’aide mutuel, la co-construction. Les professionnelles qui accueillent les enfants durant cette période sont majoritairement volontaires pour l’accueil de enfants, comme que cela a été le cas lors du premier confinement. Ce terme est pour moi très important puisqu’être volontaire signifie en un sens avoir la conviction que sa présence est importante, qu’elle fait sens. A l’heure où la question de la reconnaissance de la profession est très actuelle et demandée, percevoir de l’intérieur le côté essentiel de son métier est salutaire.
Un regard différent tout à la fois nourrissant et positif porté sur l’enfant, sa famille et l’équipe…et s’il était tout simplement question d’un retour à l’essentiel. Devoir s’adapter, inventer, accueillir dans l’urgence ramène les professionnelles à l’essence de leur mission. Qualifiées par les textes du 2 avril comme public prioritaire pour l’accueil de leurs enfants, elles montrent ainsi qu’elles sont toutes aussi essentielles dans la société et l’accompagnement des adultes de demain.  


 
Article rédigé par : Sophie Ignacchiti
Publié le 08 avril 2021
Mis à jour le 17 août 2021