Pikler Loczy

Quel rôle pour la « professionnelle au sol » dans un groupe d’enfants ?

Dans la plupart des structures d’accueil, à certains moments de la journée, il y a une professionnelle au sol. L’idée : qu’elle soit un élément stable pour les enfants. Rassurant. Quel est son rôle exact. ? Comment s’articule-t-il avec celui de la référente des enfants ? Le point avec Mathilde Renaud-Goud, psychologue en crèches et micro-crèches, formatrice à l’association Pikler-Loczy qui nous propose, une réflexion sur « l'altitude professionnelle »
 
Il est 11h30, dans la section des explorateurs, Abel prend son repas sur les genoux de sa référente, Anémone et Ulysse mangent à table, accompagnés eux-aussi par leur référente. Une troisième professionnelle est assise au sol ; deux enfants sur ses genoux écoutent attentivement l’histoire de Roule Galette. Un petit garçon, intéressé aussi, essaye de les rejoindre mais la place manque… La conteuse s’interrompt pour s’adresser à deux enfants qui se disputent l’unique camion de la section. Elle reprend le fil de son histoire mais s’interrompt à nouveau quelques minutes plus tard : « Céleste, c’est Abel qui mange, toi tu mangeras après, tu peux aller chercher ton doudou si tu veux. » Puis elle poursuit la lecture. Derrière elle, le camion est à nouveau tiraillé entre 4 petites mains…Les autres enfants du groupe déambulent dans l’espace, jouent, ou observent ceux déjà attablés. En bruit de fond : coups de cuillères, paroles d’adultes, et émotions d’enfants.

  La personne au sol , un repère stable pour les enfants ?
Scène banale de la vie quotidienne en multi accueil au moment des repas : alors que certains enfants mangent, les autres jouent en attendant que leur tour vienne. Une professionnelle est « au sol » avec eux. Elle-même référente ou en soutien aux référentes, elle est parfois ainsi nommée par l’équipe : « la personne au sol » voire « la professionnelle au tapis » …
Le plus souvent, le choix de cette posture vise deux objectifs :  se placer à hauteur d’enfant et minimiser les déplacements des adultes et constituer ainsi un repère stable dans l’espace.
Ces arguments sont tout à fait fondamentaux. Le tout petit est très sensible aux aspects non-verbaux de la communication, il a donc besoin que l’intention de l’adulte soit très claire et pour cela, s’approcher de lui, se mettre à sa hauteur est nécessaire. Par ailleurs, nous savons combien les allers et venus des adultes dans la pièce peuvent être source d’insécurité pour les enfants et nous veillons le plus souvent à les réduire au maximum.

Cependant, si la position assise de la professionnelle répond bien à ces deux objectifs, on observe qu’elle ne suffit pas à développer une attention soutenante pour chacun des enfants du groupe.

La personne au sol ne remplace pas la référente
Revenons quelques instants dans la section des explorateurs…Une professionnelle est bien au sol, au milieu du groupe, elle lit une histoire. Sur ses genoux sont assis deux enfants. Cette attention individualisée qu’elle offre à certains peut créer une forme de rivalité au sein du groupe : sur ses genoux il n’y a de la place que pour un, voire deux enfants…Par ailleurs, plongée dans son histoire, elle ne peut être attentive que partiellement aux autres enfants. Lorsqu’un conflit apparaît, soit elle s’interrompt pour intervenir, créant ainsi une rupture dans l’histoire, soit-elle ne le voit pas, trop concentrée sur la lecture. Au sol, les jouets épars perdent leur intérêt aux yeux des enfants.
Essayons à présent de nous placer du côté des enfants, pour définir leurs besoins à ce moment de la journée.
- Ils ont besoin d’avoir des repères stables dans le temps, de savoir quand leur tour va venir. Le tour de rôle pensé en fonction du rythme de chacun permet aux enfants du groupe d’anticiper et donc de jouer sereinement en attendant leur tour, sans craindre d’être oublié.
- Ils ont besoin que l’espace dans lequel ils sont accueillis ne devienne pas une « salle d’attente ». Si les jouets sont rangés dans les placards, s’il n’y en a pas suffisamment, ou bien s’ils jonchent le sol, alors les enfants ne peuvent pas jouer. Prendre soin de l’espace dans lequel vivent les enfants est une manière de prendre soin d’eux.
- Enfin, ils ont besoin d’une relation individualisée avec un adulte de référence. C’est cet adulte de référence qui les connait le mieux, qui leur donne les soins, les accueille, les observe, note les transmissions, connait leur rythme, leurs besoins.

Référente et pro au sol contribuent à sécuriser l’enfant, de façon complémentaire
Pour résumer, nous pourrions dire que le besoin principal de tous les enfants accueillis en collectivité est de se construire des repères leur permettant de se sentir en sécurité physique et psychique. Des repères dans le temps, dans l’espace mais aussi et surtout des repères de personne. Ne nous méprenons pas, il s’agit bien d’un repère relationnel et non d’un repère visuel… C'est-à-dire que le jeune enfant a besoin de tisser une relation avec l’adulte qui prend soin de lui, de se sentir unique dans son regard. La personne au sol, assise au milieu de la section ne peut suffire à sécuriser l’enfant si celui-ci n’a pas créé une relation authentique et individualisée avec une professionnelle référente. La sécurité affective de l’enfant se construit avant tout au sein de la relation avec la référente.
Aussi, même si la position assise de l’adulte permet une certaine stabilité pour les enfants, l’« altitude » professionnelle ne suffit pas à définir l’attitude professionnelle. En effet, le risque est grand pour ces personnes « au sol » de se métamorphoser malgré elles en fauteuil (voire en canapé selon le nombre d’enfants qu’elles accueillent sur leurs genoux !) ou bien en Shiva, cette déesse indoue aux 8 bras.
Leur rôle et leurs missions doivent être réfléchis en lien avec ceux de la référente : qui donne les soins aux enfants, qui est responsable de remettre les jouets à leur place ? Ce n’est qu’à cette condition que chacune pourra trouver sa place, jouer son rôle auprès des enfants et créer ainsi un environnement stable et sécurisant.
Article rédigé par : Mathilde Renaud-Goud
Publié le 21 janvier 2019
Mis à jour le 12 mars 2019