Pour toutes les Rose des crèches. Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

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Rose
Rose est une petite fille épileptique. Elle a été renvoyée de sa crèche en raison de sa maladie, elle avait à peine 2 ans. Agée aujourd’hui de 4 ans et demi, cette petite fille a parfaitement trouvé sa place au sein de l’école maternelle de son village. Mais la vie n’a pas été un long fleuve tranquille ces deux dernières années et le chemin a été particulièrement rude pour Rose, ses parents, ainsi que ses frères et sœurs.

Accueillie dans une micro-crèche à l’âge de six mois, elle en est exclue un an plus tard, d’un jour à l’autre, sans tambours ni trompettes, et sans préavis ! A cette époque, la direction de l’établissement change et la nouvelle directrice, éducatrice de jeunes enfants et non infirmière comme la précédente, refuse d’accueillir Rose sur les mêmes bases de contrat et d’exercer la continuité du projet d’accueil individualisé (PAI) mis en œuvre depuis une année et validé par toutes les instances réglementaires nécessaires dans ce cas de figure.
Commence alors une véritable épopée pour cette famille hébétée par le choc et la douleur. Non seulement les parents de Rose avaient jusqu’à présent déployé toute leur énergie et leur amour pour lutter contre la maladie de leur bébé, mais il leur faudra dorénavant trouver la force suffisante pour livrer simultanément et à nouveau une toute autre bataille, celle qui les opposera cette fois aux institutions condamnant leur petite fille à quitter la crèche où elle était pourtant si bien accueillie.
Les parents de Rose ont trouvé le courage de porter plainte pour discrimination aggravée, mais ont été déboutés un an plus tard par le tribunal correctionnel d’Alès, qui a statué le 10 mars 2017 en faveur de son exclusion, souhaitée et décidée par la directrice de la crèche, par le président de la communauté de communes délégataire du service public, ainsi que par le président de l’association qui exerce cette délégation.

Face à la loi de 20051 qui lutte contre la non-discrimination des personnes en situation de handicap et demande à ce que ces enfants soient accueillis dans tous les établissements ;
Face au décret de 20102 sur les établissements d’accueil du jeune enfant qui précise que : « Les établissements et les services d’accueil non permanent d’enfants veillent à la santé, à la sécurité, au bien-être et au développement des enfants qui leur sont confiés. Dans le respect de l’autorité parentale, ils contribuent à leur éducation. Ils concourent à l’intégration des enfants présentant un handicap ou atteints d’une maladie chronique qu’ils accueillent. Ils apportent leur aide aux parents pour favoriser la conciliation de leur vie professionnelle et de leur vie familiale », et qui instaure la possibilité d’élaboration d’un projet d’accueil individualisé ;
Face au rapport Giampino3 de 2016 demandant l’accélération de l’inclusion des enfants en situation de handicap ou ayant des pathologies spécifiques dans les lieux d’accueil de la petite enfance ;
Et depuis peu : face à la Cnaf4 qui a adopté la mise en place d’un bonus « handicap » dans la dernière convention d’objectifs et de gestion 2018-2022 en complément de la PSU versée aux gestionnaires des établissements d’accueil du jeune enfant ;
Face à toutes ces instances règlementaires, accueillantes et bienveillantes, un tribunal a statué qu’il n’y avait pas de discrimination envers Rose car la crèche n’avait pas d’obligation en ce sens !

Comment peut-on croire qu’une directrice, qu’un gestionnaire d’établissement d’accueil et qu’un président de la communauté de communes qui représentent le service public ne soient pas condamnés pour discrimination aggravée, lorsqu’ils décident l’un et l’autre, l’un soutenu par l’autre, d’exclure Rose parce qu’elle est malade et susceptible de faire une crise d’épilepsie à la crèche ?

Leur défense ? Le Code de la Santé publique5 sur l’administration des médicaments qui stipule que seules les infirmières sont habilitées à le faire, considérant que le cas inverse revient à un exercice illégal de la médecine. Cette loi prévaut sur les circulaires de 19996et de 20117de la direction générale de la santé qui racontent une autre histoire. Une histoire dans laquelle un médicament prescrit est considéré comme un acte de la vie courante, et donc peut être accompli par tous, si le mode de prise ne présente pas de difficultés particulières ni de nécessité d'apprentissage, et si le médecin n'a pas demandé l'intervention d'un auxiliaire médical.

Le tribunal a estimé que, pour les enfants de moins de trois ans, la prise de médicament n'est pas une aide mais une administration qui doit donc être faite par un auxiliaire médical. Cela signifie aujourd’hui que TOUTES les équipes et les gestionnaires des crèches qui n’embauchent pas d’infirmière à plein temps ET avec une présence permanente sur le temps d’ouverture de la crèche (ce qui est impossible), sont en faute. Or TOUS les professionnels des crèches donnent actuellement des médicaments aux enfants malades, ponctuellement ou régulièrement sur prescription médicale, et aucun d’eux, ou presque, n’est infirmier. Donc tous pratiquent actuellement l’exercice illégal de la médecine, même lorsqu’ils n’accueillent pas d’enfants avec des pathologies chroniques. Les antipyrétiques, les antibiotiques, les anti-inflammatoires, les fluidifiants, les antitussifs, et autres médicaments sont largement dispensés chaque jour aux enfants des crèches, par des éducateurs de jeunes enfants et des accompagnants éducatifs qui ne sont pas des professionnels de la santé.

Alors merci aux parents de Rose, de non seulement pointer du doigt que leur fille a été discriminée de manière injuste parce qu’elle est malade, mais aussi de nous aider à avancer sur ce sujet des médicaments donnés à la crèche. Ce débat nous empoisonne la vie depuis très longtemps sans qu’il soit possible de le régler. Et il est le reflet de la résistance aux changements. Car le monde de la crèche est passé d’un modèle sanitaire historique, dans lequel les infirmiers, et surtout les puéricultrices et auxiliaires de puériculture étaient incontournables, à un modèle plus social et éducatif représenté par des accompagnants éducatifs et des éducateurs de jeunes enfants. Doit-on le regretter et lutter contre un changement sociétal inéluctable ? Ou doit-on s’adapter et donc modifier ces lois et leurs réglementations contradictoires ?  
Le 26 février prochain aura lieu le procès en appel voulu par les parents de Rose.

Souhaitons que le courage des parents de Rose nous fasse enfin dépasser cet archaïsme et aboutisse à une jurisprudence mettant en corrélation les lois avec la réalité du terrain et permette ainsi aux professionnels des crèches de travailler plus sereinement pour accueillir et éduquer TOUS les enfants sains et TOUTES les Rose ! Car oui, la crèche est aujourd’hui, avant tout, un lieu d’accueil et d’éducation des jeunes enfants. Elle ne peut donc pas être discriminante !

Merci aux parents de Rose de rendre public un débat caché et qui empoisonne les crèches depuis plus de quinze ans maintenant ! Et merci à tous ceux qui pourront leur apporter du soutien. Et aussi un grand bravo à la directrice d’une autre crèche de ce même territoire et département qui a accueilli, contre vents et marées, cette petite Rose et qui a soutenu ses parents. Elle n’a fait que son travail !
Mais en revanche, aucune louange pour le service de PMI qui a refusé de cosigner le nouveau PAI mis en place dans cette nouvelle crèche tant par le pédiatre de Rose, que la directrice éducatrice, l’infirmier de la crèche et le médecin référent.
Etait-ce un parti pris pour soutenir par défaut la décision d’exclusion de Rose ?

Toujours est-il que la pression administrative a été telle pour cette directrice de crèche, courageuse et engagée, qu’elle a dû quitter ses fonctions après cela…


 1. Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées
 2. Décret n° 2010-613 du 7 juin 2010 relatif aux établissements et services d'accueil des enfants de moins de six ans
 3. Développement du jeune enfant, modes d’accueil, formation des professionnels, Rapport du 9 mai 2016
 4. Circulaire n° 2018-002 du 21 novembre 2018 Mise en place des bonus « inclusion handicap » et « mixité sociale » dans le financement des établissements d’accueil du jeune enfant
5. Articles L4111-1 et L4311-1 du code de la santé publique confèrent au personnel médical (dont les infirmières), le droit d’administrer des médicaments. Tout autre professionnel s’expose donc à l’exercice illégal de la médecine, relevant du code pénal.
6. Circulaire du 4 juin 1999 relative à la distribution des médicaments précise la définition de l’aide aux actes de la vie courante.
7. Circulaire du 27 septembre 2011 autorise les assistantes maternelles à administrer un médicament (avec une ordonnance médicale et l’autorisation des parents)
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 02 janvier 2019
Mis à jour le 07 janvier 2019
Bonjour, Je vous remercie de faire un article sur le sujet de l'administration des médicaments en crèche (car il s'agit bien généralement d'administration et non d'aide puisque l'on prépare). Effectivement il y a un gros vide entre les lois et la réalité. Par contre dans le cas cité je trouve dommage de ne pas avoir le point de vue de la directrice "discriminante". En effet les PAI en cas d'épilepsie indiquent souvent l'administration de valium intrarectal, et ce geste est loin d'être simple pour qui ne l'a jamais fait et n'a pas de formation médicale. Peut être que cette professionnelle s'est retrouvée du jour au lendemain responsable d'un acte dont elle s'est sentie parfaitement incapable. J'aurais tendance en premier lieu à être solidaire avec la famille ET l'institution discriminante même si cela semble paradoxal, parce que j'ai le sentiment qu'elles sont toutes deux victimes d'un système qui ne veut pas voir ses propres lacunes. OUI à l'accueil inclusif, NON à l'accueil à tout prix, au risque de mettre en difficulté une équipe et donc au final compromettre l'accueil serein de l'enfant. Cordialement.