Viser les possibilités et non l’appartenance. Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

petite fille portrait
Quoi qu’en disent les adultes, l’enfant n’appartient à personne. S’il est bien l’enfant de ses parents, car issu de leur relation, le plus souvent d’amour, cela ne signifie pas qu’il soit à eux. Cette filiation reconnue, leur donne des devoirs et non un pouvoir sur lui. Les parents partagent les charges qui leur incombent, notamment celles concernant l’éducation de leur enfant, avec d’autres adultes, qu’ils soient de leur famille ou des professionnels dont c’est le métier. Or, cette idée d’appartenance se poursuit, même sur le plan professionnel.

A la crèche, la phrase parentale : « mon enfant » devient : « l’enfant de mon groupe ». Cet enfant peut aussi être celui de ma « section », de mon « unité » (on remarquera ici l’esprit guerrier du lexique) ou même disparaitre sous l’appellation  « mon adaptation » ou « ma familiarisation », devenant un objet d’attention ou un sujet de discussion, mais pas réellement une personne à prendre en considération pour elle-même. Il sera « rangé » chez les bébés, les moyens ou les grands. Peut-être aura-t-il la chance d’aller chez les petits-moyens ou les moyens-grands, ce qui lui offrira un peu plus de possibilités d’apprentissages !

Pourtant ces notions d’appartenance et de groupe ne le concernent pas, ou plus exactement, pas encore. Il faudra attendre qu’il ait grandi, qu’il sache parler et soit en capacité de comprendre cette notion. Son développement actuel de bébé le conduit pour le moment à avoir deux occupations principales. La première est d’entrer en relation et de reconnaitre les adultes qui s’occupent de lui, créant ainsi des liens d’attachement aptes à le sécuriser. La seconde est d’explorer son environnement, à la découverte de ses capacités corporelles, des caractéristiques des objets qui le composent, et des relations humaines à comprendre. Ces deux activités qui sont donc la sécurité et l’aventure, si elles paraissent antagonistes d’un premier abord, ne sont en fait que les deux faces d’une même pièce et sont nécessaires l’une à l’autre. C’est bien parce que l’enfant est suffisamment sécurisé qu’il peut se lancer dans l’exploration de son environnement. Il n’y a donc pas d’aventure sans sécurité, pas plus qu’il n’y en a dans un enfermement, même sécuritaire.   

Il devient alors évident que la réflexion des professionnels concernant l’organisation des crèches ne peut plus se faire dans le sens d’une appartenance à un groupe, mais bien dans celui des opportunités offertes à chaque enfant. A la crèche, plus les espaces d’exploration sont vastes et intéressants, plus il y a de découvertes à faire, plus il y a de possibilités de rencontres, meilleurs sont les apprentissages et donc le développement de l’enfant. Ce dernier n’est alors pas ou plus enfermé dans une section, un groupe ou une unité qui serait celle à laquelle il appartiendrait. Il est libre d’aller à l’aventure dans l’ensemble des espaces de la crèche, à partir d’un « port d’attache » qui le sécurise.

Pour les plus petits, les bébés qui ne se déplacent pas encore, ou ceux qui n’ont pas le goût du grand périple, le  palais des bébés  est le meilleur port qui soit. Il est un château, pour tous ces princes et princesses, qui requièrent l’attention la plus grande des adultes. Placé au centre d’une pièce et non à l’écart, il permet aux petits d’avoir la vue sur ce qui se passe autour d’eux, tout en étant sécurisés par la présence continuelle d’un adulte, sorte de sentinelle protectrice, et par sa disposition en podium qui oblige à s’arrêter devant la marche à franchir ou la pente gravir. Il est donc une fortification à la frontière franchissable sous certaines conditions. En effet, il n’est ni le lieu de la course, des sauts ou des cris, mais celui du calme, de la sérénité et des jeux assis. Les objets ludiques proposés sur le palais des bébés font appel à la sensorialité, permettant ainsi aux plus petits de les explorer au mieux. Lui-même cocon ou niche sensorielle, le palais des bébés est un univers ludique paisible où tous les enfants peuvent venir s’y ressourcer, un port accessible aussi à ceux qui, prenant la mer, souhaitent y faire une halte plus ou moins longue, avant de repartir.

Lorsque que les plus petits auront appris à se déplacer,  ils pourront sortir aisément du palais des bébés en vivant une première aventure motrice intéressante, celle de la dénivellation ou de la pente d’accès. En roulé-boulé, ou plus prudemment, en tâtant le terrain avec les mains ou les pieds, chacun trouvera sa formule, accompagné et assuré par un professionnel dont la présence est permanente. D’autres univers ludiques leurs seront alors accessibles pour débuter leur aventure de la crèche. Sur leur chemin, ils trouveront d’autres ports d’attache éventuels, ou reviendront au palais des bébés si ces derniers ne leur conviennent pas. C’est donc avec cette grande liberté de choix que les enfants découvrent une crèche ouverte et vaste, peuplée de possibilités de jeux, de rencontres et d’essais.

Dans cette organisation en Itinérance Ludique®, et avec ce palais des bébés comme base essentielle à cette pédagogie, en véritable aventurier, l’enfant n’est pas obligé de se conformer aux règles d’un groupe, mais à celles d’une crèche. Il peut suivre sa voie, son développement, ses apprentissages, à son rythme, tout en étant accompagné et soutenu par des professionnels très présents et disponibles, puisque cela a été prévu ainsi par l’organisation.  L’objectif éducatif est donc d’offrir à l’enfant l’ensemble des possibilités, avec ses limites, et non de l’inscrire dans une appartenance à un groupe, avec ses hiérarchies.  



 
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 03 septembre 2023
Mis à jour le 03 septembre 2023