Lettre ouverte à Aurore Bergé : "Ignorer l’environnement dans lequel nous accueillons nos enfants est une forme de maltraitance !"

A l'occasion de la nomination d'Aurore Bergé au ministère des Solidarités, de l'Autonomie et des personnes handicapées, Claire Grolleau, Présidente de Label Vie, lui adresse une lettre ouverte. En substance : il est temps d'agir et d'arrêter (enfin) de mettre nos enfants en danger dans des environnements d'accueil toxiques !


Madame la Ministre,
Voilà quelques semaines déjà que les annonces pour le secteur de la petite enfance se multiplient. Le premier juin dernier,  Madame Borne annonçait, lors de son déplacement à Angers, les contours du service public de la petite enfance (SPPE). Un mois plus tard, c'est votre prédécesseur au ministère des Solidarités, de l'Autonomie et des Personnes handicapées qui dévoilait les grands axes de son plan d'urgence pour la qualité d'accueil. À la clé : une volonté de faire évoluer, visiblement et en profondeur le secteur de la petite enfance. A cette occasion, vos pairs ont abordé les questions de la revalorisation des salaires, de l’encadrement, de la création de places, de la prévention des maltraitances… Mais rien n’a été dit sur l’environnement. Aucune mesure, aucune piste concrète. Certes, il y a l'espoir, peut-être, que les déclinaisons annoncées de la Charte de la qualité d’accueil du jeune en référentiels de pratiques professionnelles et organisationnelles favorisent une mise en application concrète de ses points 6 (« le contact avec la nature est essentiel à mon développement ») et 8 (« J'ai besoin d'évoluer dans un environnement beau, sain et propice à mon éveil »). Mais malheureusement, cette perspective reste floue, notamment à l’heure où les uns partent et les autres se familiarisent avec des dossiers que l’on sait brûlants.  En attendant, offrir aux enfants un environnement d'accueil sain ne semble toujours pas prioritaire… Ou peut-être pourrez-vous, Madame la Ministre, mieux cerner la gravité de l’enjeu ?

Quand allons-nous enfin nous décider à agir ?
Combien de temps faudra-t-il encore rappeler qu'un accueil de qualité ne peut être garanti que si les enfants qui fréquentent nos structures évoluent dans un environnement de vie sain ? Label Vie ne cesse de le marteler et l'avait notamment rappelé dans son manifeste paru à l'occasion des élections présidentielles. C'était d'ailleurs la première de nos propositions pour créer un mouvement massif d’engagement dans la transition écologique pour les lieux d’accueil de la petite enfance : « Face aux dangers liés aux substances chimiques toxiques qui envahissent nos lieux de vie (pesticides, perturbateurs endocriniens...) et auxquels les plus jeunes sont encore plus sensibles et les professionnels exposés toute leur carrière, il faut agir ! » y affirmait-on. Agir en créant un cadre de vie sain pour les enfants et les professionnels : la proposition n’a jamais été autant d’actualité.

Doit-on vraiment encore rappeler à quel point nos enfants sont chaque jour au contact de substances toxiques ? Doit-on vraiment encore insister sur les effets potentiellement dramatiques que ces substances peuvent avoir sur leur santé ? Doit-on vraiment encore souligner la vulnérabilité du public dans nos structures d'accueil ? Il semble que oui, au regard de l'incapacité des pouvoirs publics à prendre acte de l'urgence de la situation ! Alors faisons ici ce rappel et continuons à le faire tant que nous ne serons pas entendus !

Plus d'une génération d'enfants exposée et nous restons les bras croisés !
Chaque jour, les enfants accueillis sont immergés dans un environnement imprégné de toxiques. Les bâtiments, mobilier, accessoires/linge (tapis, draps, matelas, etc.), jouets, matériel d’activités, produits de soins, produits d’entretien, alimentation, contenants alimentaires, tous contiennent des substances toxiques. Le bilan n'est guère plus encourageant à l'extérieur où les mêmes toxiques s'invitent sur les structures de motricité, les sols…. En 2012 déjà, Label Vie réalisait une étude pour recenser les produits d’entretien dans les crèches. Nous avions trouvé plus de 164 produits d’entretien différents qui au total contenaient 169 substances chimiques différentes (sur un échantillon de 157 crèches). Nous donnions déjà l'alarme et c'était il y a plus de 10 ans. C'est depuis, peu ou proue, toute une génération d'enfants qui a été exposée à ces substances sans que nos mises en garde ne soient réellement prises en compte...

Et pourtant les travaux scientifiques ne manquent plus aujourd'hui pour étayer la toxicité aiguë et chronique de ces substances. Irritants, allergisants, mutagènes, cancérogènes potentiels, reprotoxiques, ces produits atteignent les voies respiratoires et cutanées, touchent la fonction hormonale, via les perturbateurs endocriniens notamment. Les exemples se déclinent tels un inventaire de Prévert, dans l'indifférence générale ou presque : la pollution de l’air intérieure participe à la prévalence des bronchiolites, les cas d'asthmes et d'allergies explosent, les taux de cancers pédiatriques augmentent, les atteintes des organes qui détoxifient (foie, reins…) sont vérifiés.

Peut-on vraiment s'en étonner ? Non, car là encore, bon nombre de travaux l'ont rappelé : les 1000 premiers jours constituent une fenêtre de grande susceptibilité/sensibilité. D'abord parce que le métabolisme, le système immunitaire, les fonctions rénale et hépatique des enfants sont encore immatures. Ensuite, parce que les enfants inhalent plus d’air et ingèrent plus d’eau et d’aliments à poids identiques qu’un adulte. Enfin, parce que les tout petits ont des comportements naturellement  à risque. Ils mettent tout à la bouche, sont très souvent au sol, ce qui constituent d'autant plus d'expositions directes à ces toxiques.

Négliger l’environnement d’accueil, c’est mettre nos enfants en danger !
En d'autres mots, nous connaissons aujourd'hui les risques, nous savons à quoi nous exposons nos enfants, nous nous orientons potentiellement vers des répercussions sanitaires désastreuses à long terme... Mais, nous ne faisons rien, ou presque, en termes de politiques publiques et de prévention. L'environnement sain des enfants accueillis dans nos structures est l'un des facteurs majeurs de la qualité de l'accueil, si ce n'est le facteur essentiel, mais il reste l'éternelle cinquième roue du carrosse après d'autres priorités plus médiatiques ou plus en adéquation avec les agendas politiques. Il est évidemment essentiel de les adresser, mais pas au détriment de la santé de nos enfants. Madame la Ministre, il n’est plus possible de nous détourner, collectivement, des enjeux environnementaux qui se jouent sur  les lieux d’accueil de la petite enfance. Les négliger, c’est aujourd’hui mettre nos enfants en danger et accepter que nos enfants soient maltraités, au sens littéral du terme. Gageons que votre agenda saura les mettre à l’ordre du jour…
Article rédigé par : Claire Grolleau
Publié le 21 juillet 2023
Mis à jour le 21 juillet 2023