Témoignage d’Annabelle.S, éducatrice : « nous n’avons pas de temps pour penser, réfléchir »

Annabelle S, 50 ans, éducatrice spécialisée, entrée en petite enfance il y a 15 ans, a été référente technique en micro-crèches et occupe aujourd’hui un poste en structure d’accueil. En gardant l’anonymat, elle a souhaité  aujourd’hui faire part de ses difficultés, doutes  et envies ( partagés par nombre de collègues souligne-t-elle). Elle revendique d’avoir du temps pour pouvoir penser et (re)donner du sens à son travail car sans sens, c’est la porte ouverte aux dérives et dysfonctionnements. Voici son témoignage.
Aujourd’hui je me réveille et j’ai le dos bloqué. J’en ai plein le dos comme on dit. Je n’irai pas travailler. Je n’en peux plus.
Pourtant je travaille dans un très beau lieu. Le budget est confortable et me permet d’acheter du beau matériel, intéressant pour les enfants. Alors je culpabiliserai presque d’être insatisfaite au travail. Et pourtant !

Le temps c’est du temps …et de l’argent !
Voilà que ça recommence. Ce n’est pas la première fois. Il parait que je réfléchis trop ! Certains lieux sont de jolis petits écrins vides. Et pourtant, ils ont des projets si volumineux ! La PMI les a validés. Tous y est. Rien à redire. Et ils sont là, sur l’étagère, à prendre la poussière. Si on essaye de les en extirper, alors c’est le branle-bas de combat. « C’est trop compliqué » ;  « Les équipes n’ont pas accès à ça, elles ne vont rien comprendre » ;  « Les livres et la pratique ça n’a rien à voir ! ». Et j’en passe ! Et puis il faut organiser ce temps de réflexion professionnelle. Il manque toujours du monde. On ne peut pas fermer la structure. Comment feraient les parents ? Et les gestionnaires s’en frottent les mains. Pas question de perdre une journée, ni même quelques heures.

Eloge de la réflexion
Ces derniers jours on a porté (enfin) à la lumière le secteur de la petite enfance. Il a fallu un drame pour ça. Et pourtant, ce n’est pas faute d’avoir voulu se faire entendre. Alors on parle de nos conditions de travail. De ce qui nous manque pour le faire correctement. De ce qui fait qu’on se retrouve dans de telles situations.
Et moi je veux dire que la taille des locaux est importante, que le nombre d’encadrants est important, que les contenus de formation sont importants, mais que si nous n’avons pas de temps pour réfléchir et penser, tout ceci ne servira à rien. C’est un outil de travail inestimable dont nous ne saurions nous passer. Dont les enfants et leur famille ne sauraient se passer. Mais c’est un outil de travail qui pourrait presque passer inaperçu. Alors parfois ; il est réduit. Il passe après tout un tas d’autres choses… On est dans le faire, l’organisation. On oublie les enfants, leur famille, leurs besoins…

Penser c’est peut-être dérangeant ?
Mais il est certain que si nous avons du temps, du temps de parole libre et libérée, nous allons questionner, interroger le sens de notre travail, nos pratiques et peut-être celles des gestionnaires. Ont-ils raison d’avoir peur ? L’accompagnement du jeune enfant et sa famille est un travail délicat et complexe. Il nécessite une solide formation pour y avoir accès et du temps pour élaborer la pratique avec son équipe.
Mais voilà qu’on m’exhorte à nouveau au silence. Et je vois les enfants qui pâtissent de ce vide… Ce vide dans la tête des professionnels qui les accompagnent…
Il est urgent de faire quelque chose.


 
Article rédigé par : Annabelle S
Publié le 04 septembre 2022
Mis à jour le 16 septembre 2022