Turn over dans les crèches : le « coup de gueule » d’une directrice

Avant de partir à la retraite, Rosa Molinero, était la fondatrice-gestionnaire-directrice de la crèche associative  les « Anges de la terre » au Perreux-sur-Marne. Elle poussait alors déjà un cri d’alarme sur la plaie que constitue aujourd'hui encore le turn over dans les crèches. Dans ce "coup de gueule", elle s’interroge : qui sont les responsables ? Les gestionnaires, les directeurs d’établissements… Peut-être. Mais si les professionnels de terrain y étaient aussi pour quelque chose, eux, qui ne pensent pas assez selon à leur relation aux enfants ? Un point de vue « non politiquement correct » qu’elle assume totalement.
Turn over et absentéisme : de plus en plus fréquents
Imaginez travailler dans un service avec une dizaine de collègues, où l’un d’entre eux change au moins tous les trois à six mois. Comment avancerait le service ? Où en seraient les objectifs ?  Seriez-vous en confiance avec les autres ? Auriez-vous envie de vous investir dans les relations, dans la formation des nouveaux ? Dans votre travail ? Et imaginez que le manager change lui aussi tous les ans ou tous les deux ans ?
Nombreux refuseraient ce poste. Les gestionnaires s’attaqueraient au problème, ne serait-ce que pour accroître leur rentabilité.
Et pourtant certains EAJE fonctionnent ainsi ! Par conséquent, ils offrent ce genre d’accueil aux enfants malgré de beaux locaux, du super matériel…
Sans parler du taux d’absentéisme pour maladie des équipes qui vient aggraver la situation. Prenons conscience que ces structures sont de plus en plus nombreuses, surtout dans les grandes agglomérations.

Quelles conséquences pour les enfants ?
Et là j’ai envie de crier STOP ! au nom du respect des enfants. Comment ces enfants peuvent-ils s’attacher réellement aux adultes ? Comment peut-il se créer des liens de confiance ? Même s’ils évoluent dans un lieu où le taux d’encadrement est largement respecté, la sécurité affective et psychologique dont on parle tant se trouve là effondrée. L’enfant n’a pas la permanence du lien d’attachement, nécessaire à toute construction de cette sécurité intérieure. Il n’en manifeste pas le manque car il s’adapte à ce qui lui est proposé. Je parle là de ce qu’il ressent au fond de lui, de ce qu’il va retenir inconsciemment, et qui sera fondateur de ses relations futures.

A l’école lorsqu’un enseignant part en cours d’année et est remplacé, les parents sont inquiets, les autres enseignants s’en plaignent. Les associations montent quelquefois au créneau pour demander des explications à l’Education Nationale. Celle-ci d’ailleurs a conçu tout son système pour que cela ne se produise pas. Tout le monde, parents, enseignants, rectorat, instances privées … sont d’accord là pour penser aux enfants, leur reconnaître ce besoin de stabilité.
Pourquoi n’est-ce pas un critère pour les jeunes enfants ? Croit-on encore que peut importe, le câliner, le nourrir, jouer, suffisent ? Que l’attachement est l’affaire des familles ? Les professionnels de la petite enfance savent bien que non ! Mais comment le comment le mettent-ils en pratique ?
C’est un réel problème aujourd’hui qui remet en cause la qualité d’accueil de certains établissements à mes yeux . Quand va-t-on le réaliser et l’ajouter aux critères essentiels de qualité ?  Reconnaissons à l’enfant le droit de construire son attachement.

Qui est responsable de cette situation ?
Socialement le discours condamne souvent la direction, lui reprochant de ne pas savoir manager, motiver ou de se montrer, non exemplaire. Je déplore aussi là le turn over des directrices laissant les équipes dans l’instabilité, le manque d’objectifs et de repères.
Un autre discours accuse les gestionnaires  qui offriraient de mauvaises conditions de travail surchargeant les groupes d’enfants, tout en proposant de faibles salaires.
Mais qui accuse aussi d’autres gestionnaires qui offrent plus davantage, et qui vont « chasser » des professionnelles chez les concurrents. Bien sûr que je suis pour de bonnes conditions de travail, motivantes où les professionnels puissent s’investir, être considérés. Mais cela ne se résume pas à la quantité d’avantages obtenus. La concurrence honnête peut être un facteur stimulant, je prône là la considération du niveau d’engagement du salarié sur un suivi d’enfant.

Certes tout cela existe, à différents niveaux. Mais que penser d’un parent me racontant que son fils dans sa structure a connu 10 professionnelles en 3 ans en ajoutant : « heureusement il en restait une depuis les bébés ; enfin c’est normal avec leur salaire, et puis elles changent pour un mieux », et encore « elles sont jeunes, elles ont besoin de tourner, de faire des expériences… »  Je l’entends souvent. Mais je n’arrive pas à le cautionner dans notre métier.

Les professionnels de terrain ont aussi leur responsabilité
Je suis atterrée de voir des structures où les enfants connaissent plus de 10 professionnelles "référentes" durant leurs trois ans de crèche, je parle de celles qui sont leur repère, qui les soignent, les changent. Ils en connaissent bien plus avec les relais qui viennent juste donner un coup de main. Une prise de conscience est nécessaire.

Aux professionnels de terrain, je veux leur dire : réfléchissez avant de prendre un poste. Demandez-vous si vous êtes prêts à suivre ces enfants au moins pour deux ans, voire plus ? Êtes-vous prêts à travailler avec cette équipe, cette direction ? Demandez à faire un jour d’observation, vérifiez que ce lieu vous plaise avant de prendre le poste
Faire des essais est chose utile, avoir de l’expérience est nécessaire, mais non au détriment des enfants. Ne les trompez pas, ne vous investissez pas dans la relation pour les lâcher six mois après pour un poste plus près de chez vous ou mieux payé. Respectez-les. Ils sont importants et vous êtes importants pour eux. Un poste mieux payé, vous l’aurez à la fin de l’accompagnement d’un groupe. Une question de mois pour vous. Une question d’empreinte pour lui.

L’enfant est confié à une structure qui en est responsable, mais c’est l’engagement de chaque individu qui en fait sa qualité. Chaque enfant se nourrit et s’appuie sur la qualité de la relation dans sa durée dans la permanence
Article rédigé par : Rosa Molinero, directrice de crèche
Publié le 21 septembre 2018
Mis à jour le 21 septembre 2022

5 commentaires sur cet article

Il est bien dommage que cet article ne parle pas des professionnels qui ont une conscience pro, qui reste malgré un immense turnover et ce depuis des années! Je fais actuellement un travail sur les conséquences du turnover sur les employés fidélisés. Qui, malgré tous ces turnover restent et s’accroche mais chose étonnante, je ne trouve aucun article ni aucune théorie (que je cherche depuis plusieurs mois afin de l’incorporer et d’étayer mon écrit) sur les conséquences du turnover sur ces employés fidèle. Est-ce que quelqu’un pourrait m’aider svp? Car en effet c’est un sujet intéressant. Lancer la patate chaude aux directeurs/trices et aux employés qui quittent le navire est plus facile que de se préoccupé des employés qui restent et de faire en sorte de fidéliser ceux qui partent sans parler à chaque fois de budget!! Nous sommes dans l’humain! Parler du turnover = direction/démission d’employer. Est-ce la seule chose dont nous pouvons parler?! Est il possible de prendre soin et développer un peu plus le sujet du turnover sur les employés diplômés fidèles??!!! Et de trouver des SOLUTIONS au lieu de faire du ping-pong pour savoir à qui est la faute?! Je vous remercie déjà d’avance pour votre soutiens. Je précise qu’il me faut de la théorie ou des articles pro et fiable pour mon examen. Mille merci de votre aide
Il est tout aussi regretable de ne rien lire sur ces grandes agglomerations qui recrutent des pros « volantes, relais, roulantes » ..... et tout autre noms d’oiseaux !! Ces pros sont obligées d’accepter de voyager de crèche en crèche si elles veulent un contrat dans cette ville. On ne peut pas tous faire 30bornes allé-retour par jour pour gagner 1300€.... la réalité c’est aussi ça :-(
Il est tout aussi regretable de ne rien lire sur ces grandes agglomerations qui recrutent des pros « volantes, relais, roulantes » ..... et tout autre noms d’oiseaux !! Ces pros sont obligées d’accepter de voyager de crèche en crèche si elles veulent un contrat dans cette ville. On ne peut pas tous faire 30bornes allé-retour par jour pour gagner 1300€.... la réalité c’est aussi ça :-(
Quelles qu'en soient les raisons - multiples à mon sens - les conséquences de ce turn-over sont en effet désastreuses pour les enfants, les "collègues qui restent", les directions. Je me permets également d'avancer l'hypothèse, s'agissant des établissements municipaux ou départementaux, de l'effet pervers du statut de la FPT, qui favorise tout autant la précarité que la... mobilité. Pourquoi donc, en l'espèce, demander à une AP ou à une EJE de passer un concours alors qu'elles détiennent le diplôme qui leur permet de travailler? En attendant leur - éventuelle - réussite, c'est le CDD qui leur est proposé (imposé). Quelle source de motivation! Et puis il faudrait évoquer aussi la disparité des propositions salariales en fonction des territoires; une autre injustice. Bien à vous.
Portrait de Utopie
le 27/02/2019 à 22h49

Je comprends le coup de gueule mais il serait intéressant d’analyser vraiment les causes de ce turn over car je pense que nous avons tous conscience de ses conséquences négatives. En effet, il arrive parfois que le turn over soit lié à une souffrance institutionnelle, les gens s’en vont pour se protéger parce que les moyens ne sont pas donnés pour réaliser le travail demandé (respect de l’individualite de l’enfant, de son rythme, de la continuité dans son quotidien...). Par ailleurs, la mobilité n’est pas toujours le choix du professionnel (remplacement, nécessité de continuité de service...). Certains professionnels ont des cdd depuis des années, certains commencent avec des cdd de 1 mois, 2 mois, il est compréhensible qu’ils cherchent ailleurs pour plus de stabilité (et de reconnaissance) professionnelles. De mon point de vue, c’est le système qui a un problème, devant les logiques de rentabilité administrative s’oppose celle de la qualité de l’accueil des enfants et des familles et le bien être de ceux qui en prennent soin (nous sommes bien loin de l’application de la Charte Nationale d’Accueil du Jeune Enfant).