Il a mordu aujourd’hui ! Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure.

jeunes enfants se mordant
Je me suis souvent posé cette question : pourquoi dit-on à un parent que son enfant a mordu ? Quel intérêt, quelle nécessité, pour les uns et les autres ?
La réponse des professionnels de crèches tourne souvent autour de l’idée que nous ne devons rien cacher aux parents sur ce que fait ou vit leur enfant à la crèche. Pour la majorité d’entre eux, les fameuses « transmissions » servent à révéler l’ensemble du déroulement de la journée, c’est-à-dire non seulement les soins, les jeux, mais aussi les anecdotes et les particularités dans lesquelles entrent les fameux actes de morsures. Alors même que les professionnels admettent largement que la morsure fait partie du développement classique de nombre de jeunes enfants, ils pensent que cela représente un fait marquant de la journée de l’enfant qu’ils se doivent de signaler aux parents.

Mais ne passe-t-on pas le plus souvent sous silence d’autres faits tout autant liés au développement de l’enfant ? Par exemple qu’il jette sa semoule du déjeuner par terre ou qu’il repousse violemment un autre enfant ou lui prend des mains un objet. Dit-on chaque fois qu’un enfant se couche sur un autre, lui lance un jouet à la figure, le frappe avec un livre ? Non évidemment, car tout ne peut pas être dit. Pas parce que l’enfant doit garder un jardin secret. Lui, il pense que ce qu’il vit est forcément déjà connu de ses parents, tant il ne se figure pas encore que les autres peuvent avoir des pensées différentes des siennes. Il n’a pas encore la théorie de l’esprit. Mais parce que cela est tout simplement impossible et sans intérêt. Alors pourquoi parler de la morsure ?

L’enfant qui mord nous dérange. Nous nous sentons à la fois coupables de n’avoir pas pu empêcher cette morsure et démunis sur la réaction la plus appropriée : le disputer ? Lui donner autre chose à mordre ? Le consoler ? Ne sachant pas toujours comment réagir au mieux et face à la douleur de l’enfant mordu et à la réaction possible de ses parents le soir, nous dramatisons l’évènement. De ce fait cela nous semble grave, au point de devoir les en informer. Lesquels sont tout autant démunis et peuvent se sentir coupables d’avoir engendré un petit « monstre » ou de ne pas être à la hauteur au niveau éducatif : sont-ils trop laxistes au point que leur enfant soit déjà asocial ou délinquant ? Mais que doivent-ils faire au juste ? Pourquoi leur dit-on que leur enfant a mordu ? A cette annonce certains parents vont renchérir sur le « délit » et disputer un enfant qui ne sait plus de quoi il s’agit (rappelons ici que le jeune enfant vit dans l’ici et maintenant et qu’il ne fera pas le lien entre la dispute et un événement survenu plusieurs heures auparavant). Il voit ses parents fâchés contre lui alors qu’il les attendait avec une grande impatience affective ! L’honneur parental est sauf : ils sont éducateurs de leur enfant tout de même ! L’enfant ne comprend pas et il est blessé.

Lorsque les morsures perdurent, tout le monde s’inquiète. Ne faut-il pas consulter un spécialiste ? Cet enfant a-t-il un problème psychologique ou de développement ? Et de nouveau les parents sont dans l’angoisse et ses corollaires, le déni et/ou la consultation.

Si l’enfant mord à la crèche, cela doit se régler à la crèche ! Du coup il nous faut savoir ce qui se passe pour cet enfant. A quels moments mord-il ? Dans quelles situations ? Quels enfants ? Où se trouvent les professionnels à ce moment-là ? Quels sont les jeux proposés ? En quelle quantité ? Etc. Avant tout il nous faut observer les faits à la manière d’Anne-Marie Fontaine, c’est-à-dire en se posant une question du point de vue de l’enfant ou de ce qu’il vit et en cherchant à y répondre grâce à une grille d’observation. C’est à partir des résultats de cette observation que nous pouvons trouver des solutions pédagogiques efficaces (plus d’objets identiques, un professionnel plus disponible à certains moments de la journée, des transitions plus fluides, etc.)  pour éviter à cet enfant de mordre à nouveau, d’en être malheureux et d’en rendre d’autres malheureux aussi. Là est notre responsabilité professionnelle.

Alors si nous voulons dire quelque chose aux parents, nous devons parler de notre travail. De ce que nous faisons, avons fait, ferons pour leur enfant. Nous devons leur dire qu’il se développe normalement et apprend comment se comporter avec les autres. Ce n’est pas une chose facile que de comprendre les êtres humains quand on en est si petit, sans beaucoup d’expérience encore. Alors parfois il va au plus vite, il montre les dents, à défaut de savoir faire autrement. L’intention n’est alors certainement pas de faire mal mais d’obtenir ce qu’il veut. Leur enfant n’a pas encore toutes les clefs. Mais nous allons l’aider à les trouver et quand ce sera chose faite, tout le monde sera content et fier. Ceci est notre travail, un travail passionnant, n’est-ce pas ? Et, au final, c’est ça être professionnel de la petite enfance en crèche.

Pour aller plus loin, suivre notre formation en ligne Tout-petits qui tapent, poussent, mordent ou griffent : comment réagir à l’agressivité ?
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 07 mars 2018
Mis à jour le 07 mars 2018