Ni trop près, ni trop loin . Par Monique Busquet

Psychomotricienne

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bébé dans la bras femme
Juste distance ou juste proximité ? C’est une question qui est fréquemment posée sur le terrain comme en formation  et qui s’accompagne souvent de tensions et de reproches entre collègues. Elle surgit lorsqu’un professionnel paraît aux yeux des autres trop collé à un enfant : « Tu les prends trop dans les bras ! », « Tu devrais le laisser pleurer 
Alors que pourrait être cette juste distance ? Qu’est-ce que le trop près, le trop loin ?  Y aurait-il un instrument de mesure ?  

Entre chaque enfant et chaque professionnel s’établit une relation unique et spécifique. Son intensité, sa « couleur », est constituée de ce qui appartient à cet enfant et sa famille et au professionnel : ses propres sentiments, émotions et savoir-faire. Chaque enfant touche et mobilise le professionnel dans son intimité et en résonance avec l’histoire de celui-ci. Alors quels seraient les risques pour l’enfant d’une distance « pas suffisamment juste » ?

De nombreuses raisons peuvent amener un adulte à être trop près, trop collé. Cet adulte peut être dans une certaine confusion entre les vrais besoins de cet enfant et ses propres besoins. Il peut aimer se sentir indispensable. Il peut trouver cet enfant « trop mignon ». Il peut aimer avoir un tout petit contre soi. Il peut aussi vouloir se consoler de ses propres tristesses ou manques grâce à cet enfant.  Il peut vouloir être sauveur et chercher à compenser ce qu’il pense que cet enfant n’aurait pas assez par ailleurs. Parfois, il perçoit cet enfant comme très vulnérable et ce qu’il vit comme trop difficile.
L’adulte risque alors de garder l’enfant sous sa dépendance. En croyant bien faire, il empêche l’enfant d’expérimenter ses propres capacités, de trouver ses ressources, de s’autonomiser progressivement. L’enfant peut alors être freiné dans son élan à chercher ses propres réponses, à se tourner vers les autres, adultes comme enfants, à trouver du plaisir à jouer, explorer et s’éloigner.
L’enfant ne peut être confiant ni avoir confiance en lui, s’il sent que l’adulte ne le pense pas capable et ne lui fait pas confiance.
Une figure d’attachement suffisamment solide et sécurisante permet au contraire à l’enfant de s’éloigner, de jouer, même en son absence.  Elle est néanmoins la personne à qui l’enfant exprime ses besoins et adresse ses pleurs en priorité, lorsqu’elle est présente.

Parfois le professionnel se montre au contraire comme indifférent, absent aux enfants ou à un enfant. Il lui porte peu d’attention, lui manifeste peu d’empathie. Cet adulte peut avoir intériorisé des principes éducatifs un peu stricts et des peurs.  Les comportements de cet enfant entrent en résonance avec son propre parcours de vie. Il peut alors se montrer fermé, voire rejetant :  « il faut bien que cet enfant s’habitue, qu’il s’y fasse ».
Chacun peut percevoir les risques de blessures pour cet enfant : ne pas être vu, regardé, ne pas se sentir suffisamment important aux yeux de l’adulte, ne pas avoir suffisamment de valeur, ne pas compter pour l’autre ; se sentir seul, à l’écart ;  ne pas savoir sur qui compter ;   ne plus  attendre d’aide des adultes, ne pas oser  demander ; être inquiet, angoissé, ne pas se sentir compris.
Or, l’inquiétude, le stress, l’insécurité entraînent soit du retrait et du silence, soit au contraire de l’agitation, de l’énervement. L’enfant et l’adulte entrent alors dans une spirale d’interactions.  Moins l’enfant sollicite, plus l’adulte reste loin, et moins l’enfant le sollicite. A l’inverse les comportements d’agitation et d’énervement de l’enfant amènent l’adulte à le mettre plus à distance. La distance crée encore plus de distance.

Alors que serait cette juste distance ?
Je dirais que c’est la capacité à ajuster et alterner la proximité et la distance avec l’enfant, à adapter ses réponses, selon ce qu’il manifeste.
- Pouvoir être suffisamment proche de l’enfant et se laisser suffisamment toucher, à la fois physiquement et psychiquement,
- Répondre aux besoins et émotions de l’enfant et non à ses propres besoins ou selon ses propres émotions du moment,
- Apporter suffisamment de sécurité à cet enfant tout en l’accompagnant et l’autorisant à s’éloigner,
- Faire confiance dans les capacités d’individuation et d’autonomisation de cet enfant.

Enfin, cette juste distance nécessite également de rester à sa juste place par rapport à la famille de cet enfant : ne pas vouloir remplacer, voire compenser ce qui est parfois perçu comme non satisfaisant !  Cette juste distance me paraît être en perpétuel mouvement, pour chacun de nous auprès des enfants, un équilibre particulièrement complexe et subtil !
 
Article rédigé par : Monique Busquet
Publié le 04 novembre 2019
Mis à jour le 04 novembre 2019