Dr Gilles Lazimi : « Le rôle des professionnels est de protéger les enfants »

Gilles Lazimi est médecin généraliste. Engagé depuis de nombreuses années dans la bienveillance éducative, il travaille au centre de santé de Romainville, est coordonnateur des campagnes de prévention contre les violences pour la Fondation de l’Enfance, membre actif de l’Observatoire des violences éducatives (0VE). Il nous explique ce que les professionnels de la petite enfance peuvent et doivent faire s’ils repèrent des cas de maltraitance chez les enfants qu’ils accueillent. Et plus généralement comment ils peuvent accompagner les parents dans la parentalité et à leur niveau prévenir ce que l’on appelle les violences éducatives ordinaires.
Les Pros de la Petite Enfance : Quel est le rôle des professionnels dans la prévention des violences faites aux enfants ?
Dr Gilles Lazimi : Le rôle des professionnels, c’est de s’assurer que les enfants qui leur sont confiés vont bien, qu’ils se développent physiquement et psychiquement de façon harmonieuse, qu’ils sont heureux, qu’ils inter-agissent avec leur entourage. Les professionnels sont formés, ils savent très bien repérer un dysfonctionnement.  
Un enfant qui va mal si on veut le voir, on le voit : il ne pas dort pas bien ou dort trop, il n’a pas ou peu d’interactions, il ne joue pas, il refuse de s’alimenter, il ne supporte  pas d’être touché, n’aime pas être seul, il pleure beaucoup, il évite le regard….Les assistants maternels et les professionnels exerçant en crèches ont un rôle formidable à jouer. S’ils sentent qu’un enfant va mal, il faut qu’ils en parlent. Ils peuvent en parler aux parents ( sauf si les parents sont maltraitants ) mais aussi  et surtout à la PMI. Il ne faut pas rester isolé quand on est face à des comportements qui inquiètent.

Quand des professionnels ont de réels doutes, qu’ils pensent qu’ils ont à faire à un cas de maltraitance, comment doivent-ils réagir et agir ?
Si il y a des traces de coups ou d’autres agressions, il faut contacter la PMI ou même directement la CRIP (cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes). Et s’il y a urgence et que c’est vital il faut s’adresser directement au Procureur de la république. Les professionnels ont pour obligation de protéger l’enfant. Un doute suffit. Le professionnel n’est pas là pour vérifier que c’est vrai. Il constate que quelque chose ne va pas. Ensuite il faut qu’il passe la main, mener l’enquête ce n’est pas son rôle.  Notre seul rôle c’est de protéger l’enfant !

Parfois un professionnel peut hésiter, car il n’est pas sûr et craint les éventuelles conséquences, s’il s’est trompé.
Le doute doit bénéficier à l’enfant. Un professionnel n’a jamais tort d’alerter. Si c’est faux tant mieux et si c’est vrai il aura sauvé un enfant. C’est très compliqué parce que face à ses doutes, un professionnel (comme n’ importe quel adulte) n’a pas envie de penser les violences , de telles choses (difficile de penser l’impensable, l’insoutenable), il trouve les parents charmants (les agresseurs le sont souvent) et se met facilement à leur place (s’ils étaient accusés à tort). Il craint les conséquences … Mais dans ce cas,  on ne pense pas à l’enfant car on s’identifie aux parents ! Voir les choses ainsi c’est s’empêcher de protéger l’enfant. C’est à la place de l’enfant qu’il faut se mettre.
Les professionnel pense aussi que, si finalement vérification faite, ses doutes ne sont pas confirmés, le parent portera plainte contre lui. Non la loi de décembre 2015 protège les professionnels qui font un signalement (en bonne et due forme bien sûr  avec  des informations et constats étayés). Ils ne peuvent pas être poursuivis.

Ce sont là des cas de maltraitance. Mais que dire de ce qu’on appelle « les violences éducatives ordinaires » ?
Selon les dernières études publiées, il semblerait que la moitié des parents frappent leurs enfants avant deux ans, et les trois quarts d’entre eux avant 5 ans.
En France, 85% des parents disent frapper leurs enfants. C’est comme ancré dans notre société. Cela fait partie de l’éducation. Cela commence tôt par une petite tape sur la main, puis une fessée, une gifle … et c’est considéré comme une méthode d’éducation !
Heureusement dans les crèches et les écoles, l’interdiction de frapper un enfant est appliquée.

Là,  cela devient compliqué pour les professionnels, car les séquelles de telles humiliations ou « coups » peuvent ne pas être immédiates et visibles ?
Oui cela laissera des traces cependant qui donneront des comportements violents à un moment ou à un autre et si ces violences sont répétées , cela aura des incidences sur le comportement et le développement  et les acquisitions de l’enfant. Pour pouvoir réagir le plus surement,  il faut être attentif à la relation parents- enfants,  c’est en effet plus facile si on est témoin. Si c’est le cas, les professionnels peuvent interpeller gentiment les parents et expliquer pourquoi crier sur un enfant ou le frapper est néfaste et va altérer son développement et compromettre son épanouissement. Il ne faut pas se poser en censeur et en juge mais faire sentir aux parents que l’on sait que c’est difficile d’élever un enfant et qu’on peut les aider.

En fait,  vous confirmez le rôle essentiel des professionnels de l’accueil, qu’il soit individuel ou collectif, dans l’accompagnement à la parentalité ?
Tout à fait. Ils ont un rôle de prévention de ces violences éducatives ordinaires que les parents pratiquent en toute bonne foi. Parce qu’ils pensent que c’est comme ça qu’on fait puisque c’est comme ça qu’eux mêmes ont été élevés. Ces parents-là pensent bien faire. Ils pensent que c’est ça poser des limites. Ils ne conçoivent pas que l’autorité peut s’exercer autrement. Que la bienveillance est autorité .Les professionnels de la petite enfance peuvent expliquer sans culpabiliser et leur montrer d’autres voies en s’appuyant sur tout ce que l’on connaît aujourd’hui du fonctionnement et de la fragilité du cerveau du jeune enfant.

 

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Article rédigé par : Catherine Lelièvre
Publié le 22 juin 2016
Mis à jour le 12 juin 2023