Plan crèches 2018-2021 : les infos clés à retenir du premier bilan de la CNAF 

C'est une note interne qui aurait du rester bien au chaud au sein de la commission d'action sociale de la Cnaf. Et pourtant, le « bilan du soutien à l'investissement pour la création des places d'accueil du jeune enfant par le Plan Crèches » a fuité fin février. Quels sont les résultats obtenus en termes d'investissement dans le cadre des Plans Crèches et Rebond. Quelques éléments de décryptage.
Créations de places en accueil collectif : des objectifs « dits » atteints
Pas de doute : à lire la note de la Cnaf, les Caf peuvent se féliciter du travail accompli en matière d'investissement pour la création de places d'accueil collectif, au titre du Plan crèches. En attestent les chiffres de la période 2018-2021 : 30 773 nouvelles places ont fait l’objet d’une décision de financement en investissement, dont 24 104 en crèche PSU. Objectif atteint donc et même dépassé sur la création de places collectives, puisque que la Convention d'objectifs de gestion (Cog) 2018-2022 en avait prévu 29 771 pour l'année 2021, et objectif quasi-atteint pour les places PSU, à hauteur de 92 % tout de même.

Jusqu'ici tout va donc (très) bien, si ce n'est une précision que la Caf apporte elle-même dans sa note : « un certain nombre de projets financés ne se réaliseront toutefois pas à terme. L’analyse de la concrétisation des décisions passées montre que 9 % des places financées au titre d’un Plan crèches ne se concrétisent pas après 6 années », lit-on dans ce document. Les chiffres annoncés concernent donc bien des places décidées et non des places effectivement créées... et il y a là une petite marge non négligeable (potentiellement quelque 3000 places tout de même), qui pourrait induire que ledit objectif n'est pas tout à fait atteint.

Que penser de cette subtilité ? Pour Philippe Dupuy, directeur de l'Acepp, c'est là une précaution d'usage : « Il y a toujours des projets engagés côté investissement par les CAF qui n'aboutissent pas pour différentes raisons : les porteurs de projet n'ayant pas trouvé les cofinancements nécessaires, des chantiers interrompus, des priorités politiques qui changent... », explique-t-il. Mais en cette fin de Cog, ladite précaution prend à ses yeux une toute autre envergure : « Avec le Plan Rebond notamment, les CAF ont été mises sous pression pour atteindre leurs objectifs et signer un maximum de projets avant la fin du dernier trimestre de 2022 », rappelle-t-il en s'avouant dubitatif sur la viabilité de certains d'entre eux... D'où la nécessité de prendre des pincettes et de ne pas triompher trop tôt !

Un investissement qui a favorisé une meilleure couverture territoriale
Du côté de la couverture territoriale, le Plan crèches semble avoir, là encore porté ses fruits, à savoir apporter des aides à l'investissement aux territoires dont la couverture est en-dessous de la moyenne nationale. La note de la Cnaf en atteste : « Entre 2018 et 2021, 59 % des places nouvelles financées au titre du Plan crèches sont implantées sur des territoires moins couverts en modes d’accueil du jeune enfant que la moyenne nationale (égale à 58 %), ce qui témoigne de la contribution du Plan crèches à la dynamique de rééquilibrage territorial inscrite dans la Cog ». À ce titre, mention spéciale au Plan Rebond qui a permis, grâce à des majorations de barèmes (ici la majoration « rattrapage territorial »), de doubler le nombre de places créées dans lesdits territoires entre 2020 et 2021.
Un bon point donc, mais on reste loin d'inverser la vapeur sur les inégalités territoriales de l'offre. Ainsi, « en moyenne, les places nouvelles financées en Eaje Psu s’implantent tendanciellement de plus en plus dans des territoires relativement bien dotés en modes d’accueil, en particulier s’agissant des projets portés par les collectivités locales et le secteur privé marchand, » souligne la note. Et certes, ces zones mieux couvertes sont aussi les zones où la demande des familles reste la plus forte, mais la CNAF le constate elle-même : « les incitations financières en faveur des territoires encore peu couverts doivent être améliorées ».

Des places surtout créées dans des communes les plus riches
Des améliorations sont donc à prévoir, d'autant plus que les places d'accueil ouvertes le sont encore très majoritairement dans les communes les plus riches, « à fort potentiel financier ». Plus précisément, « 80% des places en Eaje Psu restent créées dans des territoires dont les collectivités territoriales disposent de potentiels financiers par habitant égaux ou supérieurs à la moyenne nationale », lit-on dans la note de la CNAF. Normal pourrait-on dire, car le financement des CAF ne couvre qu'une partie du coût de la création de place. Résultat : dans les collectivités à faible potentiel financier, l'investissement complémentaire pour ces créations peut être lourd à porter et pas nécessairement prioritaire.

Et pour Philippe Dupuy, ce n'est là que la partie immergée de l'iceberg : « On ne parle ici que de l'investissement, mais ces collectivités moins riches doivent aussi ensuite supporter une partie des frais de fonctionnement, ce qui engage un financement public au long cours, chaque année. Sans compter que la pénurie de professionnels envoie un message négatif aux acteurs concernés. Comment les convaincre qu'il faut investir et développer des projets d'accueil, quand derrière, il n'y a pas de professionnels pour remplir des structures flambant neuves ? », explique-t-il. Face à des perspectives de financement à plus long terme difficiles, « il est important que la Cnaf arrête de saucissonner d'un côté l'investissement et de l'autre le fonctionnement, pour rassurer les investisseurs et soutenir le système à long terme », préconise-t-il. En pleine négociations pour la prochaine Cog, le message est lancé !

Un plan qui a participé, à son échelle, à meilleure couverture des zones prioritaires
Quid, dans ce contexte, des territoires les plus défavorisés ? Dans sa note, la Cnaf fait là encore un état des lieux positif :
  • Entre 2019 et 2021, 4 954 places nouvelles (20 % du total des créations) ont vu le jour sur des territoires dont le potentiel financier par habitant est inférieur à la moyenne nationale, donc dans les communes moins aisées.
  • Le Plan crèches s'est inscrit dans la lignée de la COG 2018-2022 et de son objectif sur la création d'un nombre significatif de places d’accueil en zone prioritaire. Plus particulièrement, « 19% des places nouvelles que les Caf ont décidé de financer se situent en quartier politique de la Ville ou en zone de revitalisation rurale. »
Une évolution rendue possible notamment par des majorations de taux de financement divers (majoration potentiel financier, majorations spécifiques pour les Eaje implantés dans des quartiers prioritaires au titre de la politique de la ville / Qpv, en zone de revitalisation rurale / ZRR ou portant des projets d’accueil à dimension d’insertion professionnelle).

Un bon début, mais peut mieux faire ? C'est en tout cas l'avis de Philippe Dupuy, qui là encore, engage à prendre un peu de hauteur et à se détacher du simple investissement : « Dans ces zones prioritaires, les frais de fonctionnement sont souvent beaucoup plus importants, notamment dans les QPV, en raison de l'accompagnement plus important de familles », rappelle-t-il. Et de préciser : «  oui, il faut soutenir ces projets, mais il faut aujourd'hui et là encore faire un effort supplémentaire de sécurisation de ces financements à long terme ».

Des places Psu privilégiées à l'investissement
Autre point intéressant mis en avant par la Cnaf dans son bilan : le financement des Caf au titre du Plan crèches a augmenté entre 2018 et 2021, au global et par place nouvelle financée. Ainsi, « Les Caf ont consacré 472 M€ au financement des places nouvelles au titre du Plan crèches entre 2018 et 2021. En 2021, les Caf ont décidé des financements au titre du Plan crèches à hauteur de 210 M€, dont 175M€ au bénéfice de places en Eaje Psu. » Plus particulièrement grâce au Plan Rebond, les montants à l'investissement prévus pour financer lesdites places ont augmenté de 30 %, passant d'une moyenne de 15000 euros entre 2019 et 2021 à 19000 euros en 2021.

Reste une précision de taille : le taux de financement, à savoir la part du coût total d’un projet qui fait l’objet d’un financement des Caf varie fortement selon le type d'établissement. Ainsi, « Le taux de financement des projets Psu a augmenté grâce au Plan rebond de la petite enfance en 2021 et a été porté à 39 %. À l’inverse, par rapport à la période antérieure, le Plan crèches s’est traduit par une baisse du taux de financement des micro-crèches Paje : 52% en moyenne entre 2016 et 2018, 43,6% en moyenne depuis 2019. »

Là encore peu de surprise : le soutien à la création de places Psu était clairement affiché dans le cadre de la Cog (avec des critères d’éligibilité accrus et des montants de financement moins élevés que pour les places Paje) au point où les entreprises de crèches avaient à l'époque contesté la signature de la convention, la jugeant inéquitable.

Accueil individuel : les MAM ont le vent en poupe !
Et l’accueil individuel dans tout cela ? Depuis 2021, le Plan crèches permet de financer des projets de Mam dans les mêmes conditions que les microcrèches Paje, à savoir, pour les projets en territoire sous-couvert, à faible potentiel financier ou via un appel à projet. Et clairement, c’est là une piste d’avenir pour la Cnaf qui rappelle dans sa note que « dans un secteur où les effectifs d’assistants maternels exerçant à domicile sont en baisse constante (...), conduisant à faire reculer le taux de couverture partout sur le territoire, le dynamisme des Mam mérite une attention particulière. » C’est chose faite. En 2021, 77 projets de Mam, soit 559 places nouvelles, ont été financés par les Caf dans le cadre du plan. Investissement global : 8,3 M €. Une bonne chose certes, mais peut nettement mieux faire ! « Les conditions d’éligibilité aux financements par le Plan crèches sont très exigeantes et peu adaptées aux assistantes maternelles qui sont des porteurs de projet fragiles », souligne Sandra Onyzsko, porte-parole de l’UFNAFAAM, tout en rappelant, entre autres exemples, que les appels à projets sont rarement ouverts à l’accueil individuel. Et de prêcher pour sa paroisse : « à l’heure où le HCFEA veut porter l’accueil individuel car il coûte moins cher et qu’il permet une meilleure couverture territoriale, il serait bon de mettre en place des conditions de subventions moins contraignantes pour l’ouverture de Mam, dans le cadre du Plan crèches ou autre, pour favoriser la création des 100 000 places préconisées ».

Philippe Dupuy, pour sa part, met en garde face aux risques d’emballement et appelle à déployer des garde-fous : « Il y a des écarts importants entre les exigences de l’accueil collectif et de l’accueil individuel. Les Mam sont pour l’heure un modèle fragile relevant de l’accueil individuel et ont une durée de vie courte. Dès lors, il faudrait mettre en place des systèmes de sécurité pour garantir que l’investissement public ne soit pas perdu. Si la Mam ferme au bout de deux ou trois ans, qu’adviendra-t-il de l’investissement initial dans les locaux par exemple ? », s’interroge-t-il

Des RPE moins soutenus
Toujours selon le bilan de la Cnaf, entre 2018 et 2021, 108 Relais assistants maternels (Ram) ou Relais petite enfance (Rpe) ont fait l’objet d’une décision de financement au titre du Plan crèches. C’est nettement moins que dans les deux Cog précédentes (330 et 341 Ram financés alors) et n’augure visiblement pas grand chose de bon pour les relais. D’autant plus que la Cnaf semble, sur ce point, pleine de contradictions. En effet, si d’un côté, elle explique la baisse de ces subsides à l’investissement par « une couverture territoriale arrivée en moyenne à maturité » et à la révision des critères de cofinancement au titre du Plan crèches, en date de 2019, elle estime aujourd’hui « tout aussi pertinent de revoir ces plafonds à la hausse, afin de contribuer à l’essaimage des projets de Rpe sur le territoire ».

Alors faut-il y voir un rétropédalage ? Pas tout à fait, mais un rappel s’impose. D’abord, «  on ne peut pas vraiment parler de maturité. Certes, les objectifs en termes de ratio ETP / assistantes maternelles sont intéressants, mais ils ne tiennent pas compte des territoires ruraux qui sont encore largement sous-dotés en Rpe », explique Philippe Dupuy. Ensuite, « les investissements des Caf en matière de Rpe représentent des petitessommes car ce ne sont pas des dispositifs coûteux à déployer. Par contre, leur fonctionnement peut vite être très onéreux, notamment quand on est dans une démarche ‘d’aller vers’, qu’il faut prévoir de l’itinérance. Et cela peut représenter un reste à charge important pour les collectivités », continue-t-il. Une question se pose donc enfin : « comment va-t-on s’emparer dans les mois à venir de cette question dans le cadre de la nouvelle Cog et du SPPE, à l’heure où l’on parle de remanier les missions des Rpe ? », conclut Philippe Dupuy. Un point de vue que partage Sandra Onyzsko. « C’est paradoxal : on veut faire des Rpe un levier pour le déploiement du SPPE sur tout le territoire, on veut leur donner des missions supplémentaires et pourtant on en subventionne moins et certaines zones ne sont toujours pas couvertes ». Un peu plus de cohérence semble nécessaire…

Le coût d'une place d'accueil en crèche PSU en quelques chiffres clés !
Selon la nature du projet et son contenu, les coûts varient évidemment. A titre indicatif pour 2021 et selon la CNAF :

  • Une place nouvelle au sein d’un nouvel Eaje Psu s’élève à 31 745 € pour le porteur de projet, un coût en baisse de 6,5 % 2016 et 2021
  • L'augmentation de la capacité d’accueil ou un projet de transplantation revient à 28 705€ par place.
  • Le coût d'un projet global (comprenant le foncier, le gros œuvre, l’aménagement intérieur, l’équipement, les honoraires) est chiffré à 56 715€ par place nouvelle.

Article rédigé par : V.D
Publié le 14 mars 2023
Mis à jour le 28 mars 2023