Définir ce qui est éducatif et ce qui est pédagogique en petite enfance

Si les adjectifs « éducatif » et « pédagogique » sont assez interchangeables tant qu’on parle de l’éducation des enfants et des apprentissages en général, ils prennent une signification particulière dès qu’on précise le contexte institutionnel dans lequel ils sont utilisés : crèche, école maternelle, accueil de loisirs ou autres structures. D’où la difficulté de dialoguer entre différents professionnels de l’enfance sur l’équilibre entre les aspects éducatif et pédagogique sans vérifier ce qu’on met derrière ces deux mots ordinaires. Le point de vue de Fabienne-Agnès Levine.

 
Du flou dans les définitions
Dans le langage courant, est appelé « éducatif » ce qui est relatif au fait d’élever des enfants et « pédagogique » ce qui concerne la manière d’apprendre. Ce qui fait dire à des professionnels des modes d’accueil ou des écoles maternelles : « Nous, on n’est pas là pour éduquer à la place des parents. » Ils n’ont pas complètement tort car il est vrai que le projet, à moyen et long terme, de rendre un enfant autonome, épanoui et intégré dans la société appartient au groupe familial. En même temps, comme l’illustre le célèbre proverbe africain : « Il faut tout un village pour élever un enfant. »,  les adultes qui interviennent régulièrement dans la vie d’un enfant sont responsables ensemble de la manière dont il grandit et de son devenir. Les personnels de crèche et tous ceux qui travaillent à l’école maternelle, y compris sur des temps périscolaires, contribuent aussi à l’éducation d’un jeune enfant : ils accompagnent les étapes de son développement psychoaffectif et psychomoteur, ils répondent à sa curiosité intellectuelle, ils favorisent son langage et son autonomie, ils lui permettent de s’exprimer et de s’épanouir.
Par ailleurs, du côté du « pédagogique », les moins de 3 ans ne font pas des progrès que dans leur mode d’accueil, tout comme les plus de 3 ans n’apprennent pas qu’en classe. Les parents, les grands-parents, les fratries contribuent aussi à des apprentissages commencés ou complétés à la crèche, à l’école et autour de l’école. Finalement, il est réducteur de dire que ce sont les parents qui éduquent et que seuls les professionnels font de la pédagogie. Pour revenir à l’emploi des deux adjectifs, autant « éducatif » peut s’utiliser dans un grand nombre de situations, autant « pédagogique » s’applique au fait de transmettre des connaissances dans un cadre structuré : une animation thématique, un domaine d’apprentissage, un atelier d’éveil…

Dans le secteur de l’animation, le pédagogique découle de l’éducatif
Les équipes d’animation emploient les deux qualificatifs surtout dans le cadre de l’élaboration de projet. Ils utilisent un modèle qui sert de référence depuis longtemps : le projet éducatif annonce les valeurs défendues par le gestionnaire ou l’équipe de direction et reste donc au niveau des intentions tandis que le projet pédagogique décrit l’organisation du quotidien et les activités prévues. Ce dernier inclut ou précède les projets d’animation et les projets d’activités, encore plus concrets, puisqu’ils décrivent ce qui va être proposé à ce groupe-là, dans ce lieu-là et à un moment défini.
La lecture d’un projet d’accueil périscolaire ou extrascolaire informe donc sur les valeurs dominantes (exemples : autonomie, coopération, sensibilisation à l’écologie, etc.) et sur un idéal d’éducation partagé par les membres de l’équipe. La finalité débouche sur des objectifs à atteindre, moins ambitieux mais plus réalistes, et enfin sur les modalités pratiques d’organisation (composition des groupes, gestion du temps, organisation des espaces et, si besoin, descriptif de chaque activité). Cette méthode de travail semble convenir à des animateurs et des animatrices qui sont réunis le temps d’un séjour car cela leur permet à chacun de mener un projet de A à Z tout en se référant à une orientation et une organisation prédéfinies.

À l’école, éducatif d’un côté et pédagogique de l’autre
Dans le milieu scolaire, les parents et l’ensemble des acteurs de l’école, ATSEM y compris, forment une communauté éducative. Les ATSEM exercent donc une fonction éducative, aux côtés des enseignants ou sous leur responsabilité, en particulier pour le passage aux toilettes et pendant la sieste. Mais ça se complique dans la mesure où l’« équipe éducative », dans le langage spécifique à l’Éducation nationale, désigne aussi le fait de réunir ponctuellement direction de l’école, enseignant, autres partenaires institutionnels et parents à propos d’un élève en difficulté. Et dans ce cas, l’ATSEM qui s’occupe de l’enfant au quotidien en est écartée ; dans le meilleur des cas, elle a été consultée avant la réunion.
Quant à l’équipe pédagogique, ne nous y trompons pas : elle est constituée par et seulement par les professeurs des écoles car il n’est pas question de confondre rôle pédagogique des enseignants et fonction d’aide pédagogique, mission identifiée et attribuée aux ATSEM. L’adjectif « pédagogique » signifie alors « ce qui est relatif aux apprentissages », définition que l’on retrouve dans les emplois du temps en classe de maternelle avec alternance entre des temps éducatifs (routines, hygiène, habillage, déplacements…) et des séquences pédagogiques (regroupements, ateliers en autonomie, travail en groupes, décloisonnement…) auxquelles participent aussi les ATSEM.

En crèche, quand éducatif et pédagogique s’entremêlent
Tout EAJE doit avoir un projet d’établissement dit « éducatif et social » à transmettre aux organismes de tutelle et consultable par les parents. Le projet social expose l’implantation géographique de l’établissement et les caractéristiques locales à prendre en compte. La partie principale du projet explique les options prises à propos de « l’accueil, le soin, le développement, l’éveil et le bien-être des enfants ». Bien que le terme « projet pédagogique » ne figure pas dans les textes officiels, il est souvent décliné à la suite du projet éducatif, selon le modèle issu de l’animation qui sépare le « Comment ? » du « Pourquoi ? ». Or, avec les moins de 3 ans, affirmer des convictions sur les finalités éducatives sans s’interroger en même temps sur les modalités organisationnelles et humaines est un exercice périlleux.
Quiconque travaille avec des bébés sait bien que l’anticipation d’une structure d’accueil idéale repose sur une accumulation de petits riens qui relèvent autant du regard porté sur les besoins de l’enfant que du savoir-faire : donner le biberon avec confort et calme, établir une relation individualisée pendant un change, être attentif à la posture adoptée par un bébé sur le tapis, ajuster son langage à l’âge de l’enfant, trouver la position de l’ « adulte phare » qui sécurise le groupe… Là apparaît la limite du modèle de l’animation quand il est transposé au fonctionnement d’une crèche : un idéal d’éducation d’un côté (projet éducatif), des moyens matériels et humains de l’autre (projet pédagogique). Dans le passage de l’un à l’autre, le risque est grand d’énoncer des valeurs éducatives abstraites (autonomie, respect, bienveillance…) et de ne pas en retrouver les applications effectives dans le fonctionnement pédagogique de la structure. Aussi, certaines équipes ont-elles opté pour une présentation du projet qui s’éloigne de la démarche d’animation et qui ne met pas non plus en opposition, comme à l’école, les deux registres. Les assistantes maternelles, en ayant à rédiger un projet d’accueil, échappent à cette problématique mais elles partagent avec les autres professionnels de la petite enfance un questionnement incontournable pour tous : trouver le bon rapport entre les préoccupations d’ordre éducatif (accompagner le développement) et celles d’ordre pédagogique (favoriser les apprentissages).


 
Article rédigé par : Fabienne-Agnès Levine
Publié le 06 janvier 2023
Mis à jour le 21 mars 2023