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Frédérique Leprince : « ce n’est pas la PSU qui est à l’origine des dérives des crèches privées »
Frédérique Leprince est citée dans le livre de Victor Castanet à propos de la PSU. Si elle ne renie pas les propos rapportés conformes à ceux tenus, elle a souhaité ici en redonner le contexte. L’occasion donc de revenir avec celle qui, lorsqu’elle était directrice adjointe de la Cnaf, a même trouvé le nom de Prestation de Service Unique, sur la naissance de ce système de financement des EAJE et cette fameuse tarification à l’heure tant décriée et au cœur des débats sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants et des conditions de travail des professionnels auprès des jeunes enfants. Frédérique Leprince est aujourd’hui membre du Conseil de la famille du HCFEA.
Les Pros de la Petite Enfance : Pourquoi et dans quel esprit, la prestation de service unique, dite PSU, a-t-elle été créée ?
Fédérique Leprince : Il est difficile de répondre en deux mots. Disons que la prestation de service unique, la PSU, répondait principalement à 3 grands objectifs :
Le premier était de soutenir le développement du multi-accueil reconnu officiellement en 2000 en finançant mieux l’accueil à temps partiel ou occasionnel. L’ancien système de financement des crèches d’une part et des halte garderies d’autre part n’était plus adapté à la fluctuation et à la diversité des besoins des parents (travail à temps plein, à temps partiel, chômage, formation…). La « prestation de service », autrement dit la subvention versée par les Caisses d’allocations familiales était quatre fois moindre si l’enfant était accueilli moins de 10 jours par mois ou moins de 20 heures par semaine. La PSU a donc unifié les deux prestations de service « par le haut » en quadruplant le montant de la prestation pour les halte garderies et en l’alignant sur celle des crèches. Il a été décidé d’opter pour un calcul à l’heure qui était majoritaire dans les halte garderies et de l’appliquer à l’ensemble des établissements d’accueil.
Le deuxième objectif était d’améliorer le taux d’occupation des crèches qui était très faible ; il tournait autour de 50%. Ce faible taux d’occupation était d’autant moins acceptable que de nombreux parents qui l’auraient souhaité n’avaient pas accès aux établissements d’accueil du jeune enfant faute de places.
Le troisième objectif et non le moindre était de favoriser l’accueil de tous les parents, notamment les moins aisés. Avant la PSU, le barème national était inégalement appliqué et, pour réduire leurs charges, les gestionnaires avaient, dans les faits, intérêt à accueillir plutôt des parents qui pouvaient payer un tarif élevé. Avec la réforme, l’application du barème est devenue obligatoire et le calcul de la prestation de service a fait que plus l’apport des parents était faible, plus l’apport de la Caf était élevé. Il était donc neutre pour le gestionnaire d’accueillir des familles aisées ou non. Si j’y ai contribué, nous étions toute une équipe pour la porter : entre autres, Liliane Périer, Tahar Belmounes, Annick Morel et Nicole Prudhomme respectivement directrice et présidente de la Caisse nationale des allocations familiales.
Selon vous donc, c’était plutôt pour mieux répondre aux besoins des parents, de tous les parents et non pour faire des économies ?
Cette réforme n’avait pas pour but de faire des économies et elle a été assez coûteuse. En effet, la subvention versée par les Caf (la prestation de service) pour l’accueil occasionnel a été multipliée par quatre pour l’aligner sur celle de l’accueil à temps plein.
Par ailleurs, le fait, pour les Caf, de compenser la plus faible participation financière des familles les moins aisées a eu aussi un coût qui s’est accru au fur et à mesure de l’augmentation de l’accueil de leurs enfants en multi-accueil.
La PSU a-t-elle joué un rôle dans le déploiement du privé lucratif dans le secteur des crèches et comment a-t-elle pu favoriser des dérives ?
Dans son livre récent « Les ogres », Victor Castanet ne critique que la PSU et établit un lien direct entre ce mode de financement et les dérives qu’il observe de la part de certains gestionnaires privés à but lucratif. Or, lors de mon interview, ce que j’avais souhaité démontrer c’est que ce n’est pas le mode de financement qui est à l’origine des dérives qu’il dénonce.
Le secteur privé à but lucratif gère à peu près autant de places de crèches financées par la PSU que de places en micro-crèches indirectement financées par le Cmg-structure, appelées aussi micro-crèches Paje . Les trois quarts des micro-crèches sont gérées par le secteur privé à but lucratif et plus de 80% des 80 000 places de micro-crèches sont financées par le Cmg Les micro-crèches ne sont tenues de respecter aucune tarification nationale ; leur tarif devant juste être inférieur à 10 € par heure. Elles bénéficient de conditions très dérogatoires et peu contraignantes en termes d’encadrement des enfants et il ne faut donc pas s’étonner qu’un grand nombre de problèmes dénoncés ces dernières années surviennent précisément dans ces micro-crèches qui ne sont pas financées par la PSU.
Cela n’exclut pas non plus que des problèmes surviennent dans des crèches de plus de 12 places financées par la PSU.
Une autre précision mérite aussi d’être apportée pour ne pas tout confondre. Ce n’est pas la PSU qui a favorisé l’essor des crèches privées non associatives. Après le crédit d’impôt famille (CIFAM) mis en place en 2004 pour aider les entreprises à financer des places de crèches pour leurs salariés, la directive Bolkenstein, appelée aussi Directive services, est adoptée par le Parlement européen 2006. L’Etat français fait alors le choix d’inclure le champ de la petite enfance dans le champ de cette directive, mettant les collectivités locales et les associations en concurrence avec les prestataires privés. C’est alors que les délégations de service public prennent leur essor et que le secteur privé à but lucratif gère de plus en plus de places.
Toutes ces réformes se sont succédé pour favoriser le développement du secteur à but lucratif mais n’ont rien à voir avec la création de la PSU en 2002.
La PSU et ses réformes successives est un système si complexe que des gestionnaires indélicats peuvent s’engouffrer dans ses failles…
Tout d’abord, ce n’est pas parce que le système est complexe que certains peuvent s’engouffrer dans les failles. La maltraitance et l’utilisation critiquable des fonds de la Cnaf et des aides fiscales (qui sont très simples) sont détectées aussi bien dans des établissements financés par la Paje que dans ceux financés par la PSU. Aucun système de financement ne peut garantir que certains ne joueront pas avec les normes d’encadrement ou ne feront pas des économies sur le dos de l’accueil des enfants pour baisser leurs coûts. La question est celle de la course aux gains de certains acteurs. Maintenant, il est certain que le système de financement de l’accueil de la petite enfance est complexe et s’est complexifié au fil du temps.
Premièrement, pour l’accueil collectif, il y a deux modes de financement, la PSU et le CMG structure, et d’autre part les aides fiscales.
En second lieu, concernant la PSU, elle s’est complexifiée au fur et à mesure de son histoire. Il n’est donc pas facile pour un gestionnaire de se repérer dans les différents bonus, les seuils dus au taux de facturation, etc. Ce manque de lisibilité peut freiner certains projets.
Peu après la mise en place de la PSU, nous étions un certain nombre à penser qu’il aurait fallu proposer de choisir entre un système à l’heure pour les accueils à temps réduit et un système de forfaits à la demi-journée et à la journée. Mais la mise en place de la PSU avait généré un coût important et il était difficile d’envisager une nouvelle réforme qui aurait fait des perdants parmi les parents, aurait eu un coût supplémentaire, le tout sans générer de nouvelles places. L’option a donc été prise de créer des bonus qui sont, de fait des forfaits. Ces bonus ont eu des effets positifs mais ont complexifié le système.
Maintenant, il n’y a rien de plus compliqué que de simplifier un système complexe sans faire de perdants ni générer un surcroit de dépenses publiques plus ou moins important. Même s’il est toujours difficile de défaire ce que l’on a fait, il semble être temps aujourd’hui de rebattre les cartes et de modifier drastiquement le système de financement, quitte à accepter parfois que les Caisses d’allocations familiales soient le seul financeur avec les parents. Mais il ne faudrait pas que le remède soit pire que le mal et que cela suscite de l’attentisme de la part des élus locaux qui risquent de se plaindre du manque de lisibilité.
Quel système de financement faudrait-il choisir ?
Aucun système de financement n’est parfait. Si l’on change de système, il y aura des perdants et des gagnants. Les gagnants ne diront rien et on n’entendra que les perdants.
Le calcul strict à l’heure a certains effets pervers, dénoncés de plus en plus fréquemment et fortement par les professionnels. Il pèse sur les relations entre parents et professionnels et est mal vécu par ces derniers. Les parents ne comprennent pas pourquoi il leur est reproché de garder leur enfant lorsqu’ils le souhaitent alors même qu’ils ont payé la journée. Les directeurs et directrices se plaignent de la surcharge de travail administratif. Mais ce système vise à diminuer le coût qui pèse sur les parents en ne les faisant pas payer pour un service qui ne leur est pas rendu.
Un financement à la fonction pourrait se concevoir pour autant qu’un contrôle très serré soit réalisé et que la multiplication des objectifs à atteindre ne conduise pas à une diminution de la subvention pour un nombre croissant de gestionnaires.
Un financement essentiellement basé sur des forfaits à la demi-journée (avec ou sans repas) ou à la journée pourrait constituer une piste à approfondir. Cette solution pourrait être expérimentée dans des villes avec des contextes socio-économiques diversifiés et avec différents gestionnaires qui appliquent aujourd’hui la PSU. Cela permettrait d’évaluer le cout d’une généralisation de la réforme pour certains parents et pour le budget de la Cnaf et d’en tirer les conséquences.
Quel que soit le mode de financement, je suis persuadée qu’il faut aussi continuer à veiller, malgré tout, à un bon taux d’occupation des crèches. Si celui-ci diminue, ce seront autant d’enfants qui ne bénéficieront pas d’un accueil en crèche et autant de parents qui ne bénéficieront pas du mode d’accueil qu’ils auraient souhaité. Mais cela doit se faire dans la limite du raisonnable car les professionnelles de la petite enfance exercent un métier souvent épuisant et cela doit être pris en compte pour préserver la qualité de la vie au travail et la qualité de l’accueil des jeunes enfants.
Mais quelle que soit la réforme des modes de financement, cela ne règlera pas la question des comportements déviants qui ont été observés et ont déjà fait l’objet de contrôles, de rapports officiels et de livres.
Quel serait selon vous le risque d’une généralisation du financement par la Paje que certains préconisent ?
Les risques d’une généralisation du financement par la Paje sont multiples quant à la qualité du service rendu. Le premier risque est l’éviction des parents les moins aisés. Actuellement, pour un ménage gagnant un SMIC, le coût d’une micro-crèche Paje est de près du tiers de ses revenus après crédit d’impôt, contre 12% pour un ménage gagnant 5 Smic. Et on peut observer aujourd’hui que les micro-crèches Paje se situent majoritairement dans les villes où le niveau de vie est plus élevé que la moyenne. Le problème est aussi qu’il n’y a pas de contrat entre le gestionnaire et la Caf et les parents étant seuls face aux gestionnaires, on court le risque d’une dérégulation massive du secteur.
Bien entendu, la Paje pourrait être versée à la structure en tiers payant comme c’est déjà le cas avec les assistantes maternelles. Cela s’apparenterait de fait, plus ou moins, à un financement global à la fonction. Mais, pour préserver la qualité de la gestion et de l’accueil, il faudrait alors un contrat d’objectif avec chaque structure et des contrôles renforcés, ce qui demanderait des ressources humaines importantes. Le cas échéant, des dérives seraient à craindre, peut-être encore plus importantes que celles que l’on peut observer aujourd’hui.
Tout cela pour dire qu’à mon avis, sans nier les problèmes posés par la PSU, elle constitue un coupable facile, notamment pour certains journalistes et pour ceux qui s’en servent pour masquer leurs propres turpitudes. « Il ne faudrait pas jeter le bébé », ni la PSU, « avec l’eau du bain ».
Propos recueillis par Catherine Lelièvre
PUBLIÉ LE 24 septembre 2024
MIS À JOUR LE 30 septembre 2024