Pourquoi les pros choisissent de travailler en MAM ?

Les Maisons d’Assistants Maternels (MAM) sont actuellement en plein essor. Ces formules d’accueil semblent répondre et à une attente des parents et à une profonde aspiration des professionnels. Qui sont les pros venant soit de l’accueil individuel soit de l’accueil collectif qui se lancent dans ce type d’aventure et quelles sont leurs motivations ? Pierre Moisset , sociologue le a interrogés.

 
L’enquête déjà ancienne (2015) du Credoc, établit que « deux tiers des assistants maternels interrogés lors de l’enquête avaient déjà une expérience dans le métier exercé à domicile ». Même si on peut supposer que cette expérience préalable n’est pas forcément très conséquente, l’engagement dans un projet de MAM semble donc être plutôt porté par des professionnels ayant déjà connu un autre exercice du métier de l’accueil de jeune enfant.
Cela peut être dû au fait que les MAM sont un dispositif récent, un dispositif encore peu connu ou peu visible pour les professionnels actuellement en train de se former et qui, donc, n’est pas porté par de « jeunes » professionnels sans autre expérience.
Cela peut être, également, dû au fait qu’il y a quelque chose dans l’expérience du métier d’accueil des jeunes enfants qui donne envie aux professionnels de se diriger vers cette formule d’accueil.

Mais cette question de la motivation à travailler en MAM se pose également pour les professionnels de l’accueil collectif. On constate, en effet et sans que le phénomène puisse être clairement mesuré pour l’instant, que nombre de MAM sont fondées par des professionnels venant d’EAJE et disposant de formation d’auxiliaire de puériculture ou d’EJE. Et ces professionnels, qui n’ont pas à craindre l’isolement ou la confusion des espaces privés et professionnels, quelles sont leurs motivations pour travailler en MAM ?

Pour les assistantes maternelles : sortir de chez soi et de l’isolement
Pour les assistants maternels, les motivations à créer une MAM correspondent assez bien à ce qui est à l’origine de la création de cette formule d’accueil : sortir de l’isolement de la maison et distinguer l’activité professionnelle de l’activité familiale. Cette professionnelle condense, dans ses propos, l’ensemble de ces motivations : « Ce qui m’a motivé à travailler en MAM : tout. Les enfants avaient grandi, je voulais changer en restant dans le domaine de la petite enfance. Je voulais être chez moi ; mes enfants n’ont pas eu leur chambre à eux à la maison avant la MAM. J’avais envie d’avoir des heures fixes de récupérer ma maison à moi et d’aller vraiment au travail. »
Une autre professionnelle nous a évoqué le fait que ses « enfants étaient éduqués » comme motivation à s’engager en MAM, c’est à dire que ce qui la motivait à travailler à la maison n’avait plus lieu d’être et que, donc, elle souhaitait distinguer son lieu d’activité de son lieu de vie quotidienne. En effet, cela est connu mais reste un phénomène significatif : nombre de femmes se sont engagées dans le métier d’assistant maternel pour concilier activité professionnelle et « carrière maternelle ». L’étude réalisée par le réseau Devenir d’Enfance auprès de près de 2000 assistants maternels établit ainsi que 35% environ des assistants répondants disent s’être engagés dans ce métier uniquement pour pouvoir s’occuper de leurs propres enfants (16%) soit pour s’occuper de leurs propres enfants en association avec d’autres motivations (travailler auprès d’enfants, travailler chez soi – pour 19% des répondants).

Ces assistants maternels venus au métier pour des raisons essentiellement familiales cherchent une « issue » professionnelle lorsque leurs enfants grandissent. Soit reprendre une autre activité professionnelle (mais cela peut être difficile) soit poursuivre – par goût et opportunité – une activité professionnelle dans l’accueil de la petite enfance. Et là, l’accueil en MAM représente une réelle opportunité. Une réelle opportunité également parce que la MAM représente une sorte de « conversion » professionnelle pour les assistants maternels qui s’y engagent en venant d’une pratique domestique. En effet, le travail en MAM a un effet de « professionnalisation » ou de renforcement de l’identité professionnelle.
Premièrement en distinguant l’espace professionnel de l’espace domestique et en permettant ainsi d’aller travailler et de revenir du travail.
Deuxièmement, en permettant aux assistants maternels de travailler en équipe. Or le travail d’équipe permet de se sentir plus fort ou plus professionnel face aux parents mais aussi, plus globalement, face à la société.

Les assistants maternels qui se lancent dans l’aventure de la MAM se connaissent déjà et s’apprécient professionnellement et personnellement. Ce qui leur permet de « faire équipe » plus facilement une fois la MAM montée : « On est toutes les trois agréées, on habite dans la même impasse on s’est connu comme ça. Régulièrement quand on emmenait nos enfants à l’école on se croisait et quand on s’est mieux connu et on a vu qu’on avait les mêmes bases. »

Assistantes maternelles : pas si facile de rompre avec l'aspect familial de l'accueil
Mais si le travail en MAM représente pour les assistants maternels cette possibilité de reconversion d’une carrière familiale /professionnelle et de « conversion » de l’identité professionnelle, cela ne veut pas dire que les choses vont être si simples et que l’installation en MAM des assistants maternels sera une simple « professionnalisation » sans ambiguïté.
Nous avons ainsi rencontré, en préparant ce dossier, des situations plus troubles et épineuses pour les assistants maternels eux-mêmes. Des situations qui mettent en scène la difficulté pour ces professionnels, même en montant une MAM, de distinguer la part domestique/familiale et la part professionnelle. Ainsi, des assistantes maternelles s’étaient mis d’accord pour monter leur MAM dans un local appartenant à l’une d’entre elles et en cours de rénovation par le conjoint de celle-ci. Cette expérience a tourné court : « ça c’est passé très mal. On a ouvert en septembre et fermé en février. Parce que celle qui était propriétaire de la maison pensait puisqu’elle était la propriétaire qu’elle était aussi la cheffe. Et il y avait aussi sa façon de travailler avec laquelle ma collègue et moi, nous n’étions pas d’accord. Malgré toutes nos réunions pédagogiques elle disait oui sur le papier mais sur le réel ce n’était pas du tout ça. »
 Une autre professionnelle rencontrée évoque comment elle s’est engagée dans un projet de MAM tout en employant une de ses propres collègues pour y garder ses enfants. Dans un premier temps, cette professionnelle a donc tenté de concilier, à la MAM comme elle le faisait chez elle, une activité professionnelle et son rôle de mère. Mais, même si cette situation n’a pas mis à mal le projet de la MAM, cela a été très inconfortable et pour elle, et pour sa collègue : « Ce qui a été compliqué dans ma situation c’est que l’enfant il est avec sa maman, or s dans la MAM on met en place des règles, mais on fait des passe -droits avec son enfant. Et cela créer des problèmes avec les collègues. Du coup j’ai finalement mis l’aînée de deux ans en crèche ! Mais pour ma deuxième je l’ai gardée trois ans, c’était ma dernière, je me suis dit je te garde jusqu’au bout mais c’est devenu très compliqué parce qu’elle n’a pas coupé le cordon. » On le voit, malgré les difficultés rencontrées avec sa première fille pour concilier au sein de la MAM sa proximité maternelle dans un cadre professionnel collectif, cette assistante a tout de même tenu à répéter l’expérience pour sa deuxième fille. Ce qui signifie bien que, malgré son engagement fort dans un projet de MAM, il lui était difficile de distinguer les dimensions maternelle et professionnelle. Enfin, nous avons rencontré une situation ou une assistante maternelle a fait venir sa propre mère  pour travailler au sein de « sa » MAM.

Pour les professionnels de l’accueil collectif : échapper au travail à la chaîne
Si l’on comprend assez rapidement et intuitivement pourquoi des assistants maternels souhaitent travailler en MAM (rupture de l’isolement, recherche de professionnalisation), on peut se demander pourquoi des professionnels de l’accueil collectif sont tentés par la même aventure. On l’a vu, même si l’on n’a pas d’idée précise de la proportion de MAM qui sont créées par des professionnels du collectif, cette proportion semble significative ; signe que les MAM représentent également pour ces professionnels une voie attractive. Pourquoi ? A travers nos rencontres, la réponse à cette question est claire et sans équivoque : pour échapper à la pression, au travail à la chaîne en EAJE : « Je travaillais en crèche depuis 11 ans. C’est un peu tout qui m’a motivé, le fait qu’on ait beaucoup d’enfants, qu’on soit dans le remplissage, qu’on soit dans le faire sans penser aux enfants. J’avais un groupe de 8 enfants et ce n’est pas un travail… Avec un groupe comme ça, monter une activité même peinture, ce n’est  pas gérable. Ça devenait un peu du travail à la chaîne et je ne m’y retrouvais plus du tout. J’avais envie de retrouver quelque chose de plus posé et plus serein pour les enfants et pour moi. »

Nous avons rencontré des auxiliaires de puériculture et des titulaires CAP petite enfance qui -parfois- faisaient équipe pour monter des MAM. Nous n’avons pas eu l’occasion de rencontrer des EJE travaillant au sein de MEJE (Maison d’EJE comme certains de ces professionnels se plaisent à appeler leur structure). Aussi, nous avons surtout entendu les motivations propres aux auxiliaires de puériculture. Des motivations en rapport avec le fort malaise qu’elles ressentent en EAJE. En effet, toujours pour faire référence à l’étude Devenir d’Enfance, parmi l’ensemble des professionnels d’EAJE, ce sont les auxiliaires qui présentent les niveaux de stress et de désenchantement au travail les plus élevés. Si les responsables de structures ressentent surtout un stress face aux parents et les EJE un stress dans l’organisation de leur travail, les auxiliaires se sentent particulièrement mal dans leur travail auprès des enfants. Et ce stress est particulièrement fort lorsque ces professionnelles travaillent dans des EAJE de grande taille (au-dessus de 40 berceaux). Des établissements où elles ont le sentiment, justement, de faire un travail sous pression, à la chaîne, un travail sans qualité particulière : « Pour ma part je ne souhaitais plus avoir des bébés à la chaîne. Je souhaitais pouvoir suivre les enfants et ne plus faire pour faire. J’en avais ras le bol du travail à la chaîne et quand je rentrais chez moi je n’avais pas l’impression de faire du bon travail. »

Pour ces professionnelles, le travail en MAM représente une possibilité de prendre du temps avec les enfants, d’avoir de plus petits groupes, une plus grande liberté pour organiser des sorties et des activités.
Une occasion également de découvrir une plus grande souplesse dans les activités avec les enfants : « Avant je n’aimais pas travailler avec les grands. Ici (en MAM) j’ai pu redécouvrir ce qu’on peut faire avec les enfants. Tout ce qu’on peut faire avec les enfants. Déjà rien que le fait qu’une activité puisse correspondre tant aux bébés qu’aux grands. C’était une découverte qu’une activité peut avoir plusieurs façons d’être découverte. Par exemple la manipulation de graines, pour un bébé il ne va pas les manipuler du tout comme un grand mais ça tout autant de valeur. »
Par rapport à ces motivations, si les professionnels de l’accueil collectif trouvent effectivement en MAM un cadre d’activité plus à leur mesure et sans la pression qu’elles ont pu ressentir en EAJE, toute la souplesse n’est pas forcément au rendez-vous. Les contraintes restent fortes, notamment pour les sorties avec les enfants : « Après sur les sorties non on n’en fait pas davantage depuis qu’on est en MAM. Maintenant ça coince parce qu’on a quatre enfants chacune et qu’on n’a pas les mêmes rythmes. Là où est implantée la MAM on est super bien mais pour aller à la bibliothèque ou au marché, il faut prendre le bus et cela devient compliqué. C’est trop de stress, trop de risques. En revanche, on fait plus souvent des ballades et c’est déjà génial. Mais je ne regrette pas mon choix de MAM. »      On l’a vu, les assistants maternels qui se lancent en MAM le font sur la base de liens de connaissance antérieurs. Pour les professionnels d’EAJE, on trouve sensiblement la même chose. Dans nos différents entretiens, le projet naît souvent entre deux professionnels travaillant dans un même établissement et qui ont des rapports très proches (ce peut être également deux sœurs, professionnelles de la petite enfance toutes les deux) et le projet est, ensuite, étendu à une troisième ou une quatrième professionnelle. L’interconnaissance et un lien de confiance réciproque sont donc fortement présents au lancement d’un projet de MAM.

Monter une MAM entre professionnels : une grande incertitude
En fait, cette nécessité de la confiance et de l’entente à la base de la création d’une MAM, aspect que l’on retrouve tant pour les assistants maternels que pour les professionnels d’EAJE, nous dit quelque chose de précis sur ces structures d’accueil. En effet, cette confiance et cette entente sont d’autant plus importantes que les MAM ne sont pas « tenues » par des projets d’établissements, des normes réglementaires, des rapports statutaires comme en EAJE. Les professionnels sont libres de les monter avec une grande latitude pour organiser leurs rapports réciproques au sein de la MAM, pour se mettre d’accord sur leurs pratiques, sur leur projet. Mais cette grande liberté représente également une grande incertitude. D’où le fait que le projet de MAM semble souvent naître entre deux ou trois professionnels qui se connaissent particulièrement bien. D’où le fait également que nombre de projets semblent échouer quand une troisième ou quatrième personne se rajoute à ce premier noyau sans être pleinement d’accord avec le projet ou sans avoir mesurer toutes les implications de travailler ensemble. Face à cette incertitude, on peut voir toutes les exigences (très différentes en fonction des départements) de la PMI sur le projet pédagogique de la MAM, une éventuelle étude de marché préalable, un règlement intérieur etc… comme autant de « garde -fous » qui permettent aux professionnels d’être sûrs de leur projet ensemble. 

Cette importance de l’interconnaissance, de la proximité entre professionnels pour travailler en MAM se traduit également dans la façon qu’ont certains professionnels déjà organisés en MAM de recruter de nouveaux collègues. Dans nos entretiens, ces professionnels passent soit par du bouche à oreille, soit par des réseaux sociaux qui ne sont pas « spécifiquement » professionnels comme Facebook® ou bien « Le Bon Coin » : « On a passé nos annonces sur Facebook® surtout et on connaissait les filles des structures d’où on venait. On s’était dit, quelqu’un qui a travaillé en crèche, c’est mieux mais c’était surtout au feeling. Et puis voir si dans l’échange ça collait. L’important c’est que l’on trouve quelqu’un d’adaptable qui n’est pas peur de  faire des heures. Quelqu’un qui sait qu’on peut avoir un enfant qui part en cours d’année. Quelqu’un qui n’ait pas peur de travailler en dehors des horaires, parce qu’on a plein de choses à gérer en dehors des enfants. On a cherché aussi quelqu’un qui avait des capacités qu’on avait moins. On n’est pas très à l’aise avec l’administratif, pourquoi pas quelqu’un qui serait comptable qui pourrait nous apporter tout ça. Après on a vraiment fait au feeling. »

Les MAM ou l’ivresse de la liberté
Le succès des MAM aujourd’hui s’explique donc aisément – quand on écoute les professionnels – par les possibilités que cette formule d’accueil offre tant aux professionnels de l’accueil collectif que de l’accueil individuel. Les MAM viennent, en effet, répondre à des changements profonds et des tensions fortes dans les deux grandes filières qui structurent l’accueil du jeune enfant dans notre pays.

Du côté des assistants maternels, les MAM viennent permettre de sortir de l’isolement, de se « professionnaliser » en sortant l’activité professionnelle de la maison, en créant un lieu d’exercice professionnel et une plus grande visibilité aux yeux des parents et de la société (ne serait-ce qu’aux yeux des autorités municipales). Elles permettent ainsi à ces femmes de distinguer enfin ce que leur statut confond : c’est à dire leur dimension familiale/domestique et leur dimension professionnelle. Cette confusion a été à la base de l’essor et du développement rapide ces trente dernières années de la profession d’assistant maternel. Mais, si jusqu’ici il s’est trouvé de nombreuses femmes pour accepter ce statut qui leur permettait de concilier activité professionnelle et familiale, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les femmes qui s’engagent dans le métier d’assistant maternel, même si elles restent prises dans la tentation de concilier leur dimension familiale et professionnelle (on l’a vu), acceptent de moins en moins que leur dimension professionnelle reste, pour autant, cachée dans leur domicile et confondue avec leur vie familiale. C’est peut être ce qui explique que, ces dernières années, les demandes de nouveaux agréments sont en baisse. Le métier d’assistant maternel attire moins qu’avant et ce, peut être, parce que la confusion sur laquelle il repose convient de moins en moins aux femmes. D’où l’opportunité que représentent les MAM.

Du côté des professionnels de l’accueil collectif, les MAM permettent de sortir de la pression institutionnelle et gestionnaire des EAJE. D’une part, la hiérarchie sanitaire qui structure les EAJE contribue à la robustesse de ces structures, à leur légitimité sociale forte, mais cette hiérarchie est également oppressante. Elle ne permet pas aux professionnels de terrain d’exprimer tout ce qu’ils souhaiteraient développer et expérimenter avec les enfants. D’autre part, la PSU a permis d’optimiser les places d’accueil en collectif, mais cela c’est probablement fait au prix d’une forte intensification de l’activité (une proportion significative des créations de place en accueil collectif cette dernière décennie n’est pas liée à la création de places physiques mais à l’optimisation de créneaux d’accueil qui existaient déjà mais n’étaient pas utilisés auparavant). Aussi, une part significative des professionnels de l’accueil collectif sont en recherche de contextes de travail plus libres, plus ouverts et moins pressurés. D’où, encore une fois, l’opportunité que représentent les MAM.
Mais les MAM offrent cette ouverture, cette opportunité  c’est au au prix d’une grande liberté et, donc, d’une grande incertitude. Ce qui expose les professionnels à de nombreuses déconvenues dans leur recherche d’ajustement et de coordination pour travailler dans une équipe sans hiérarchie. Ce qui explique également l’importance de l’interconnaissance et de la confiance pour monter une MAM ensemble. Ce qui amène à plaider pour un accompagnement renforcé de ces structures. Un accompagnement et non pas un encadrement. Un accompagnement qui respecte la liberté que les professionnels trouvent dans cette formule d’accueil.


 
Article rédigé par : Pierre Moisset
Publié le 15 octobre 2019
Mis à jour le 13 novembre 2019