Diriger un EAJE, ça ne s’improvise pas !
Un équilibriste, voilà qui est le valeureux directeur d’EAJE. Tour à tour affublé d’une dénomination de manager, de responsable, de leader, de chef…, un poste qui donne le tournis et qui s’habite depuis toujours de manière empirique. Mais comment l’investir ?

Bien évidemment la modernité a fait évoluer le poste au fil des années, les logiciels ont pris le relais des cahiers où les présences étaient consignées, les facturiers ont laissé place à des écrans de pointage, l’occupation est passée en tête de liste des priorités, les éducateurs de jeunes enfants ont assiégé les bureaux de direction, l’offre de places s’est décuplée et les gestionnaires se sont diversifiés, la réglementation a été révisée … En fait ce qu’il faut retenir : aujourd’hui, aucune formation n’est obligatoire pour occuper ce fameux poste.

Avoir le sens de l’enfance ne suffit pas !
La question du rôle, jouer un rôle, prend ici tout son sens, et cela n’est pas forcément donné à tous, on peut être un redoutable praticien de terrain et ne jamais devenir un bon directeur. En effet avoir le sens de l’enfance est certes indispensable pour être à la tête d’un établissement mais ce n’est pas suffisant, il faut également si j’ose dire avoir le sens de la direction.
Commençons par nous intéresser tout simplement à la définition du dictionnaire, selon le Larousse un directeur est « une personne chargée de diriger d’administrer, de coordonner les opérations et de les conduire pour atteindre l’objectif visé ». Un directeur est donc à la tête d’un groupe, son équipe, et doit assumer le bon fonctionnement de leurs actions collectives, en déterminer la concrétisation, et surtout décider pour l’ensemble.
La prise de décision n’est pas toujours le fort des individus, même si chaque jour, sans nous en rendre forcément compte nous sommes amenés à prendre plusieurs décisions. Décider n’est pas si anodin car il s’agit d’assumer sa liberté et quelques préalables sont indispensables.
Se préparer au poste, oui mais comment ?
On ne parle jamais aux directeurs d’EAJE de la question de la préparation au poste et du temps nécessaire à lui accorder. C’est pourtant un moment fort dans son expérience professionnelle, qui va vous demander de créer un nouveau personnage et de rentrer sans sa peau, que vous allez interpréter évidemment en fonction de votre personnalité et de votre vécu.
En tant que nouveau directeur vous allez être amené à vivre des aventures fortes et vous allez passer par des hauts et des bas, vous allez connaître des réussites, des échecs qui seront l’occasion d’évoluer et de vous réinventer. Mais revenons-en à la préparation, il est important de bien savoir où vous allez mettre les pieds, pour commencer à construire scrupuleusement cette nouvelle fonction.
Le point de départ c’est donc vous !
Pour rester dans la métaphore du rôle et du personnage vous allez donc commencer à penser et écrire votre arc narratif, en quelque sorte un nouveau chapitre de votre vie professionnelle. Pour cela, vous allez devoir analyser vos motivations, vos aspirations, construire votre vision, cela va vous permettre de donner sens et envie, à vous et à votre équipe.
Vous allez donc devoir prendre du recul et définir les valeurs qui seront portées et acceptées par tous, définir les engagements attendus, car c’est ce qui vous permettra d’être convaincant auprès de votre équipe. Objectif : la faire adhérer à votre vision. Il s’agit ici d’une forme d’intelligence pratique à développer pour réussir à réfléchir le système pédagogique de l’EAJE c’est à dire l’ensemble des postures (savoir- être) et des pratiques (savoir-faire) professionnelles. C’est ce système pédagogique qui va donner le sens et poser le cadre des interventions des adultes auprès des enfants.
Jouer les explorateurs
Pour cela il vous faudra jouer les explorateurs, comprendre les différentes interactions, connaître les enjeux, un véritable travail de compréhension systémique, qui ne va pas de soi. Le point de départ devrait systématiquement être fondé sur la manière dont l’enfant se développe et sur ce dont il a besoin dans cet environnement collectif pour s’épanouir malgré son immaturité cérébrale et sa dépendance.
Cette exploration est digne de la spéléologie tant aujourd’hui encore les lieux qui accueillent les enfants ne sont pas au diapason sur le monde de leur point de vue. Je parlais un peu plus haut des aventures fortes à vivre attenantes au poste
La question de la posture
Cette préparation va également concerner votre posture, votre expression corporelle, votre gestion du stress et des émotions, la question de l’affect… L’essentiel du travail consiste à partir de représentations personnelles pour aboutir à des représentations professionnelles. Il s’agit de la posture que vous allez prendre pour « professionnaliser » vos relations et vos actions au maximum. Avec cette position de directeur, il vous faut adopter une conduite stratégique pour ne pas vous exposer en tant que personne mais en tant qu’acteur d’une institution.
Les enjeux émotionnels quand on travaille auprès du jeune enfant sont nombreux et variés, inattendus et touchent à l’histoire de chacun. Il ne faut pas perdre de vue que c’est l’action professionnelle qui est en question et non pas l’être lui-même. Bref vous l’aurez compris, l’improvisation n’est pas votre alliée et même si cela ne vous est demandé nulle part, ce premier travail immersif sur vous-même est un réel préalable à la prise de poste.
Un directeur d’EAJE est responsable : ce que veut dire être responsable
Mais pour être directeur d’EAJE il faut être conscient de la responsabilité engagée. Un directeur est donc un responsable, c’est un poste qui expose et qui engage. En tant que directeur, il faut agir, choisir, décider, et donc s’engager pleinement. C’est avant tout un engagement vis-à-vis de soi-même mais également un engagement dans la relation humaine, ce qui donne évidemment matière à réflexion.
Être responsable d’un EAJE c’est donc se préoccuper et s’occuper de la dépendance. La responsabilité entraîne avec elle la liberté de choisir son projet, d’embarquer qui on veut avec soi, de déployer les choses à sa manière.
Selon la définition du Larousse être responsable est « une fonction qui donne des pouvoirs de décisions mais qui implique que l’on en rende compte » Exercer une responsabilité consiste à faire des choix parmi les différentes possibilités de réponses face aux situations. Être responsable est avant tout être tenu de répondre.
Le responsable doit donc avoir une liberté suffisante pour opérer ce choix parmi toute une série de réponses possibles. Un responsable doit être authentique : avoir une vision claire et savoir pourquoi il agit. Un responsable doit être fiable : on doit pouvoir compter sur lui. Il doit dire ce qu’il fait et faire ce qu’il dit. Cette responsabilité du directeur d’EAJE est guidée par une conscience altruiste assumée par tous, car les enfants accueillis au sein des EAJE sont des êtres dépendants, vulnérables qui ne peuvent subvenir seuls à leurs besoins.
Et il est évident pour tous ceux qui décident de prendre un poste de directeur de crèche qu’ils ont en leur âme et conscience une profonde envie d’assumer leurs décisions et leurs actes pour les enfants accueillis.
L’accueil de qualité souhaité pour l’enfant est donc véritablement le reflet du regard que porte la direction sur l’enfant, et les moyens environnementaux qui seront mis à sa disposition pour lui permettre de révéler son potentiel pleinement et dans des conditions favorables à son épanouissement.
Mais n’oublions pas que dans la petite enfance, on se forme majoritairement en modélisant ce que l’on voit, et si une chose est sûre, c’est que si les principes éducatifs des uns et des autres sont bien intentionnés, ils ne sont pas toujours en adéquation avec les besoins développementaux des enfants. C’est pour cette raison que le directeur d’EAJE doit aussi être un manager d’équipe.
Un guide et un chef d’équipe
L’équipe doit pouvoir s’appuyer sur le directeur d’EAJE pour lui fournir des outils fiables et conformes qui expliquent les pratiques et postures attendues tout au long des différents moments de la journée à la crèche.
Le manager doit donc organiser les actions quotidiennes à mener, doit prendre les décisions nécessaires, c’est ainsi que l’équipe pourra compter sur lui. Le manager doit avoir sincèrement envie que son équipe réussisse, en lui permettant de (re)trouver du sens au travail, sinon gare à l’appauvrissement de celui-ci et ce seront les enfants qui en pâtiront en première ligne.
C’est un véritable chef d’équipe qui va devoir fixer un cadre, embarquer son équipe dans une direction unique guidée par les besoins développementaux des enfants.
Le manager est responsable de son équipe. Le manager est au service des enfants quand il réussit à être au service de son équipe. Et pour cela il doit éprouver son autorité formelle, outiller, guider et évaluer le travail de son équipe, et ce n’est pas une mince affaire !
La qualité d’accueil et d’accompagnement des enfants par les professionnels d’une structure est bien souvent le reflet du regard que porte la direction sur l’accompagnement de son équipe, les moyens qui leur sont donnés, la place qui leur est faite. Fixer le cap, mobiliser son équipe, donner envie même dans les contextes les plus redoutables et surtout être inspirant .
Voilà à quel point il est important d’aimer son rôle de directeur, tout comme on peut s’éprendre d’un personnage de fiction. Posez vous des questions, prenez ce temps et soyez le plus proactif possible !
Définir ses attentes, un préalable
Alors, comment mener à bien ces missions si on n’a pas un peu d’aide ? Pour sûr, il faut s’emparer de la connaissance qui est un préalable, il n’y a pas d’autres possibilités que celle d ‘apprendre encore et toujours.
La dimension humaine du travail auprès des enfants doit se professionnaliser, le directeur d’EAJE a donc besoin pour cela de sources et de ressources professionnelles. Le directeur devra donc en quelque sorte mettre en place des « procédures », grossier mot utilisé volontairement, comme références obligatoires des relations, il doit avoir l’aptitude de voir le monde du point de vue de l’enfant.
En résumé, définir ses propres attentes en tant que directeur est un préalable incontournable. Il faut être précis sur vos attentes et les documenter afin qu’elles soient un socle de travail non négociable, connu de tous, et accessible aux nouvelles personnes qui intégreront votre équipe.
La responsabilité consiste donc à professionnaliser l’intervention. On assiste depuis toujours à une pluralité et confrontation de points de vue qui est certes nécessaire dans une dynamique de projet par exemple pour sa richesse, mais qui n’est plus envisageable pour les pratiques professionnelles.
La responsabilité consistera donc à mettre en place les conditions favorables au renouvellement des pratiques professionnelles à la lumière de la recherche. Il sera évidemment nécessaire d‘engager un débat sur les difficultés rencontrées, éprouvées mais vous devez être garant de la mise en place d’un regard distancié à partir du développement de l’enfant.
Il est important de mieux faire connaître les missions, d’éclairer l’équipe sur les conditions et les conséquences des actions et des décisions prises chaque jour.
Les outils qui cadrent l’activité sont donc incontournables, ils vont venir définir, repérer et clarifier l’ensemble des postures et des pratiques. Celles-ci ne pouvant plus avoir comme point de départ ou prendre appui sur une démarche consensuelle , bien trop aléatoire et potentiellement dommageable pour le jeune enfant.
L’enfant d’abord !
C’est votre analyse critique associée à votre responsabilité engagée qui va permettre à votre équipe de sortir enfin des points de vue, pour apprendre de la science. Être responsable signifie donc pouvoir agir en connaissance de cause et répondre de nos actes. Pour cela nos capacités bienveillantes à l’égard de ceux que nous accueillons doivent impérativement être réinterrogées. Il est primordial de se rappeler qu’être un professionnel de l’accueil de la petite enfance c’est donc agir selon ses missions et non selon ses points de vue personnels, c’est une personne qui travaille auprès des enfants des autres et qui a des connaissances relatives au développement de l’enfant.
C’est s’engager à ce que chaque enfant grandisse dans les meilleures conditions. Pour cela le responsable doit être clair sur la fonction de protection de l’adulte en mettant en évidence d’une part tout ce qui est interdit et en accompagnant la compréhension de l’attendu.
Avoir ensemble le souci de bien faire et engager votre responsabilité dans la vigilance apportée aux comportements professionnels
Faudrait il s’équiper d’un casque, d’un éclairage, de cordes et de harnais pour réussir ?
C’est une analogie intéressante, car :
- le casque peut protéger la tête du directeur d’EAJE et lui permettre ainsi de prendre des risques certes importants mais mesurés sans y laisser de sa personne
- l’éclairage est primordial au regard de toutes les recherches scientifiques et des changements et variations qui ont profondément bouleversés la façon de concevoir l’enfant
- les cordes car c’est bien vous le premier de cordée qui avez la responsabilité de mener votre groupe à l’ascension de cet enfant
- le harnais car il est la garantie de la sécurité en cas de chute, c’est votre filet, celui de votre équipe, qui peut ainsi se reposer sur vous
Marie Defrance
PUBLIÉ LE 05 décembre 2024