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Éric Delemar, Défenseur des enfants : « Si on respectait les droits des enfants, on considérerait aussi mieux ceux qui s’en occupent »

La lutte contre la pauvreté infantile, les violences faites aux enfants, l’interdiction d’enfermement des enfants migrants avec leurs familles, l’inclusion des enfants handicapés… Pour la 6e fois depuis la ratification de la Convention internationale des droits de l’enfant en 1989, l’État français a été auditionné en mai par le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies. Ce dernier a rendu publiques ses observations finales le 2 juin 2023 avec un bilan mitigé. Éric Delemar, Défenseur des enfants auprès de la Défenseure des droits et adjoint en charge de la défense et de la promotion des droits de l’enfant, revient sur les recommandations des experts. En matière de mise en œuvre de la Convention internationale des droits de l’enfant, la France peut mieux faire.

 


Les Pros de la Petite Enfance : Parmi les recommandations du Comité des droits de l’enfant des Nations unies, l’une concerne les violences faites aux enfants… Comment réagissez-vous quand vous entendez un  haut fonctionnaire dire aux parents : « La méthode, c’est deux claques et au lit ! » (1) ?

Eric Delemar : La loi de juillet 2019 est claire : la violence n’est pas un mode d’éducation. La loi prévoit que les titulaires de l’autorité parentale doivent l’exercer sans violence et ne doivent pas utiliser la violence physique verbale ou psychologique, les châtiments et l’humiliation à l’encontre de l’enfant. Ce qui ne veut pas dire que l’éducation se fait sans limites. Le simple fait d’être plus fort physiquement, nous autoriserait à attraper, frapper, marquer le corps des enfants ! Il faut encourager les adultes à adopter les bonnes pratiques et prôner l’exemplarité. Ce qui est d’autant plus regrettable, c’est que toutes les avancées scientifiques rappellent que la violence a des effets de sidération, de stress, de perte de confiance en soi dans les apprentissages et de risque de reproduire des schémas de violence. Quant à l’article 19 de la Convention internationale des droits enfants, il dit clairement que l’État veille à lutter contre toutes les formes de violences faites aux enfants, dont les violences éducatives ordinaires. Ce n’est pas un hasard si le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a exhorté la France à redoubler d’efforts sur ce point.

La loi de 2019 est malgré tout un progrès en matière de droit des enfants. Quels sont les autres progrès que vous avez pu observer depuis la ratification de la Convention internationale des droits de l’enfant par la France en 1989 ?

Grâce à tous les rapports publiés sur les violences commises envers les enfants, notamment sexuelles, nous n’avons jamais autant entendu parler des droits de l’enfant dans les médias et le gouvernement a réagi. On a eu un plan de lutte contre les violences pour mieux les repérer, mieux former, mieux organiser les interventions. On a voté différentes lois comme celle du 21 avril 2021 pour lutter contre les violences sexuelles ou encore publié des décrets comme le décret qui reconnaît l’enfant comme victime à part entière et non plus simple témoin des violences conjugales… Le cadre législatif et des programmes du gouvernement évoluent plutôt dans le bon sens.

Mais aux yeux du comité des droits de l’enfant des Nations Unies, ce n’est pas encore suffisant si l’on en croit ses recommandations.

Malgré les programmes et les lois, il reste de nombreux progrès à faire car sur le terrain, malheureusement, la situation est éminemment inquiétante comme l’a révélé la crise sanitaire. Cette dernière a, en plus, affecté la santé mentale des enfants et des adultes. Elle a aussi fait beaucoup réfléchir sur les métiers de l’humain qui manquent aujourd’hui d’attractivité d’où une pénurie de professionnels… Depuis trois ans, la France n’a jamais connu autant d’inexécutions de mesures de protection par manque de moyens humains sur le terrain avec des conséquences parfois tragiques. En témoigne le décès samedi 1er juillet d’un enfant de 3 ans dans la Sarthe dont le placement avait été ordonné par le juge des enfants la semaine précédente mais n’avait pu se faire faute de place.

Le comité a également relevé une grande inquiétude au sujet des enfants en situation de précarité. La grande pauvreté ne les épargne pas.

Assurer la protection de l’enfant, c’est aussi avoir une politique très forte en matière de logement… Quand les gens vivent la précarité de l’habitat, ils sont éloignés de tous leurs autres droits. Résultat, des enfants vivent dans une situation d’extrême pauvreté dans un contexte de baisse du chômage qui culpabilise encore plus ceux qui sont éloignés de l’emploi. De plus, ils ne sont pas inscrits à l’école parce que les parents n’ont pas la capacité de prouver leur lieu de domicile alors qu’un décret de 2020, simplifiant les démarches administratives, rappelle qu’une simple déclaration sur l’honneur suffit… Le refus de scolarisation concerne aussi les enfants en situation de handicap. C’est tout cela que pointe le Comité des droits de l’enfant. Quant à la situation des enfants migrants, le Comité déplore que la situation n’ait pas évolué depuis le dernier examen en 2015…

Le 7e examen de la France par l’ONU est programmé en 2028. Pensez-vous que d’ici cinq ans les recommandations du Comité des droits de l’enfant seront transformées en actes ?
En tout cas, le Défenseur des droits n’attendra pas cinq ans pour les rappeler régulièrement à la France car il y a urgence à agir : en commençant par exécuter les mesures de protection ; en augmentant les moyens et les ressources techniques et financières pour prévenir toutes les formes de violence ; mais aussi en en agissant sur le cloisonnement, la fragmentation, des politiques publiques, qui parfois conduisent à un sentiment de déresponsabilisation qui décourage les plus vulnérables à accéder à leurs droits. Car au-delà des efforts et des moyens à mettre en place, il y a aussi à réfléchir sur la politique des moyens. L’enjeu est la coopération entre les institutions pour une vision globale de l’enfant, et non seulement comme élève, patient, « placé », en situation de handicap, « délinquant », afin de considérer l’intérêt supérieur de l’enfant comme le rappelle le Comité en préambule.

Comment expliquez-vous que plus de 30 ans après la ratification, le France peine à respecter l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant ?
Les droits de l’enfant sont considérés comme des droits onusiens pour lesquels il faudrait tendre, alors qu’il s’agit d’un droit supra national, et d’ailleurs l’intérêt supérieur de l’enfant a été rappelé par le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et le Conseil d’État. Mais certains pensent que ce n’est pas grave si on n’y arrive pas… Et qui savait que la France était entendue à l’Onu sur les droits de l’enfant en mai ? Là aussi, il y a des progrès à faire sur la sensibilisation et la formation aux droits de l’enfant pour que, sur le terrain, les articles de la Convention et leur mise œuvre soient mieux connus, notamment l’article 3 sur l’intérêt supérieur de l’enfant et l’article 12 sur la prise en compte de la parole de l’enfant. Si on respectait les droits des enfants, on considérerait aussi mieux ceux qui s’en occupent.

Justement, que pensez-vous du plan d’urgence pour la qualité de l’accueil des jeunes enfants annoncé par le gouvernement. Êtes-vous confiant quant à son application ?

Je ne peux que constater positivement ce plan d’urgence, mais je reste vigilant car l’intrication sur le terrain est loin d’être effective. Ce n’est pas parce qu’il y a eu le Ségur de l’hôpital – qui était bien entendu indispensable et qui a permis une augmentation des salaires des infirmières – que l’hôpital va mieux. Qu’appelle-t-on « valorisation » des métiers de la petite enfance ? Certes cela passe par une augmentation significative du salaire et par une formation de qualité. Mais ça passe aussi par la question du sens. Or, on demande de plus en plus à ces métiers-là de faire des tâches administratives et du reporting ce qui enlève du temps de présence effective auprès des enfants. Les professionnels de la petite enfance n’ont pas choisi ce métier pour faire de l’administratif. Pour que ça marche, il faudrait aussi sanctuariser les métiers de la petite enfance et les décloisonner. Mais je ne suis pas très optimiste, car les technostructures continuent à envahir le terrain.

(1) Propos du préfet de l’Hérault, invité le 3 juillet sur France Bleu Hérault à la suite des violences qui ont éclaté après la mort de Nahel, 17 ans, tué par un policier à Nanterre.

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Propos recueillis par Anne-Flore Hervé

PUBLIÉ LE 13 juillet 2023

MIS À JOUR LE 17 novembre 2023

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