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Floriane Perot, muséographe : «  Au Palais des enfants, le décloisonnement des arts et des sciences ouvre de multiples possibles aux tout-petits »

Depuis le 20 juin, les enfants âgés de 2 à 10 ans ont leur palais au cœur de Paris, un tout nouveau lieu culturel rien que pour eux, qui fait dialoguer les arts et les sciences, sans cloisons ni hiérarchie. Transparence est le nom de l’exposition inaugurale du Palais des enfants. Pour décloisonner les disciplines et les âges, elle bénéficie d’une double expertise : la médiation scientifique et la muséographie adaptée aux jeunes publics du Palais de la Découverte (Universcience) et l’éducation artistique et culturelle du GrandPalaisRmn. Floriane Perot, muséographe dans la première institution, a travaillé main dans la main avec Sophie Radix, historienne de l’art dans la seconde, pour imaginer cette première exposition sur la rencontre de la matière et de la lumière, rythmée par des manipulations scientifiques interactives et agrémentée d’œuvres d’art du XIXe siècle ou contemporaines à contempler ou à vivre. Le tout à hauteur des tout-petits comme des plus grands. Explications.

Les Pros de la Petite Enfance : Pouvez-vous présenter en quelques mots le Palais des enfants qui a ouvert ses portes le 20 juin 2025 ?

Floriane Pérot : Le Palais des enfants est un espace partagé de 620 m2 entre les institutions GrandPalaisRmn et Universcience, situé géographiquement sous la rotonde du Palais de la Découverte. Il propose tous les deux ans des expositions temporaires à destination des enfants âgés de 2 à 10 ans accompagnés. Le positionnement art-science, sans hiérarchie entre les disciplines, est une spécificité du projet comme la cible très large à laquelle il s’adresse. La première exposition a ouvert ses portes le 20 juin et dure jusqu’au 29 août 2027. Intitulée Transparence, elle propose aux enfants dès 2 ans une exploration poétique et sensorielle de la transparence et de ses nuances.

À deux ans, on est encore un peu considéré comme un bébé. Comment décide-t-on d’ouvrir un espace scientifique et artistique à de si jeunes enfants ?

C’était une incitation très forte de nos experts scientifiques. Parmi eux, il y avait notamment Sophie Marinopoulos, psychologue et psychanalyste, auteure du rapport ministériel pour une politique de Santé culturelle, et Cora Cohen-Azria, professeure des universités en didactique et muséologie des sciences. Tous partaient du principe que les enfants, dès le plus jeune âge, seraient heureux d’explorer et d’être initiés aux arts et aux sciences. Quand nous avons commencé à travailler sur ce projet il y a trois ans, l’accueil des tout-petits dans les musées était très peu développé, excepté les Cités des enfants à la Cité des sciences et de l’industrie. Depuis, ça change un peu, mais c’est très récent.

La Cité des sciences et de l’industrie accueille effectivement de jeunes enfants depuis longtemps, mais les tranches d’âges sont bien plus resserrées. 2-10 ans, c’est très large…

C’est encore une volonté de notre comité scientifique d’ouvrir largement la tranche d’âge pour que l’espace soit accessible aux fratries. Les tranches d’âges resserrées obligent à les séparer… Là, l’idée est de rompre aussi avec cette habitude, qui crée des frustrations pour tout le monde, et de proposer au contraire quelque chose de très ouvert et de vraiment décloisonné. Au Palais des enfants, une crèche est tout aussi bienvenue qu’une classe de CM2 ou une assistante maternelle ou une famille avec des enfants d’âges différents. Tout est possible, à condition de venir avec un enfant âgé de 2 à 10 ans. Un adulte sans enfants, en revanche, ne peut pas y rentrer.

Décloisonner les arts et les sciences et proposer aux différents âges de cohabiter, c’est la théorie. En pratique, ça se passe comment ?

Penser à une exposition à la fois pour des 2 ans, qui sont encore un peu des bébés, et des 10 ans, qui sont presque préados, nous a obligés à bousculer nos habitudes et à travailler nos dispositifs pour qu’ils soient accessibles à différents niveaux. Le premier niveau exploratoire, purement sensoriel, implique le corps. Allumer les lumières et les éteindre, c’est déjà une expérience en soi très intéressante parce que c’est une première découverte des matières, des effets, des questionnements. Pour les plus grands, la même manipulation leur propose d’expérimenter les prémices de la démarche scientifique de manière conscientisée et raisonnée, avec du vocabulaire précis, du plus simple au plus complexe : transparence, translucidité, opacité, réflexion, réfraction… Pour les adultes accompagnateurs, toutes ces expériences corporelles proposées aux enfants sont rafraîchissantes. Ils y trouvent aussi leur compte. Surtout, elles favorisent et renforcent les interactions entre enfants et adultes. D’un point de vue ergonomique, nous avons conçu des mobiliers dimensionnés pour des enfants de tous les âges, en partant du principe que les tout-petits pourraient utiliser de petits tabourets pour monter dessus et se mettre à la bonne hauteur si besoin.

Comment cette première exposition Transparence a été scénographiée ? Pouvez-vous nous la décrire en quelques mots ?

Elle a été scénographiée par le Studio Bloomer qui y a introduit une dimension narrative. À l’entrée de l’exposition, Tatiana (Soap Bubble), la sculpture d’Hans Op de Beeck, accueille les visiteurs et une des bulles de savon soufflées par la petite fille se met à leur parler. Cette bulle est le fil rouge de l’exposition. Elle fait entendre sa voix et introduit des notions clés dans de courtes histoires écrites par l’auteure jeunesse Alice Brière-Haquet et accompagne les enfants dans cinq univers immersifs : le palais des glaces, la forêt, la grotte, le ciel, sous l’océan. Dans chaque espace, les enfants découvrent les potentialités offertes par la rencontre entre la lumière et la matière en contemplant des œuvres d’art qui dialoguent avec la bulle et en manipulant des dispositifs interactifs. Le principe n’est pas que les enfants suivent un sens de visite précis et qu’ils s’arrêtent à chaque manipulation. L’idée, au contraire, est qu’ils puissent picorer librement, guidés par la curiosité et la fantaisie. Tout est poreux, il n’y a pas d’ordre ni de hiérarchie, et rien n’oblige les visiteurs à tout voir en une seule fois. Chacun son rythme.

Une œuvre d’art, c’est souvent fragile et intouchable. Comment s’intègrent-elles dans l’exposition et qu’apportent-elles aux tout-petits ?

Quelques-unes sont sous-verre, comme Le Samouraï de cristal de Patrick Neu, mais la plupart des installations artistiques, sculptures, estampes et photographies sont accessibles ou immersives. Prenons par exemple la Grotte aux trésors qui aborde la transparence par la minéralogie grâce à quinze magnifiques cristaux prêtés par le Muséum national d’histoire naturelle. À côté d’eux se trouve une copie de la Vierge voilée, une œuvre fascinante de l’artiste Giovanni Strazza qui arrive à donner l’illusion de la transparence avec un matériau opaque. Cette version en résine, ciment et poudre de marbre a été reproduite par le GrandPalaisRmn à partir d’un fichier 3D. Les enfants peuvent l’observer, s’émerveiller, mais aussi la toucher. En même temps, ils peuvent écouter le dialogue plein d’humour imaginé par Alice Brière-Haquet dans lequel des cristaux de calcite se chamaillent tandis qu’une princesse évoque la magie de l’art… Dans l’espace réservé aux médiations et à la décélération, la bulle raconte son expérience d’Unwoven light, l’œuvre immersive de l’artiste coréenne Soo Sunny Park et invite les enfants à vivre la leur. Cette œuvre suspendue est merveilleuse, car elle illustre ce qu’est la rencontre entre l’art et la science. L’artiste joue avec des carrés de Plexiglas polarisant. En fonction de l’angle de la lumière qui les traverse, ils n’ont pas la même couleur et leurs reflets sur le sol changent.

À travers cette exposition inaugurale, quel message souhaitez-vous transmettre aux tout-petits visiteurs ?

La transparence et ses nuances sont un beau terrain de jeu pour explorer, comprendre, créer, rêver, se questionner… Ce décloisonnement des arts et des sciences ouvre de multiples possibles aux tout-petits. Deux ans, c’est du temporaire long qui, au-delà de l’aspect écoresponsable, leur permet de revenir, de revoir les mêmes choses différemment et de vivre de nouvelles émotions. En vivant ces multiples expériences à leur rythme, nous souhaitons les outiller de différents points de vue pour vivre le monde d’aujourd’hui et appréhender celui de demain. En sortant de l’exposition, j’espère que les tout-petits auront envie de continuer à jouer avec la lumière et la matière, mais aussi qu’ils seront contents de revenir au Palais des enfants parce qu’ils s’y sentent accueillis. Et, en grandissant, qu’ils seront curieux de visiter d’autres lieux de culture.

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Propos recueillis par Anne-Flore Hervé

PUBLIÉ LE 15 juillet 2025

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