Abonnés
Table ronde 1. Qualité d’accueil : 6 mois après le rapport de l’IGAS, où en est-on ?
Le rapport de l’Igas, rendu public en avril dernier, a dressé un constat sévère de la qualité d’accueil dans les crèches, pointant du doigt son hétérogénéité. Un rapport assorti de 39 recommandations pour l’améliorer. Puis il s’est ensuivi un plan d’urgence qualité annoncé par Jean-Christophe Combe. Et la nouvelle ministre des Solidarités et des Familles, Aurore Bergé, dans la continuité de son prédécesseur, a notamment annoncé le renforcement des contrôles et a signé une mission sur les référentiels des pratiques professionnelles, l’évaluation du référentiel national bâtimentaire et le socle commun de compétences à tous les professionnels de la petite enfance. Un sujet donc pris à bras-le-corps par le gouvernement. Mais, concrètement, qu’est-ce qui a changé depuis le rapport ? Quels seront les prochaines évolutions en termes de réglementation ? Comment objectiver la qualité ? Pour aborder toutes ces questions, six invités : Jean-Baptiste Frossard (IGAS) ; Sylviane Giampino, présidente du Conseil de l’enfance et de l’adolescence du HCFEA, Céline Marc, directrice du département enfance, jeunesse et parentalité de la Cnaf ; Anne Morvan-Paris, Sous directrice de l’enfance et de la famille à la DGCS ; Jérôme Obry, président de la FFEC ; Anaïs Perelman, responsable petite enfance et initiatives sociales à la Fédération de la Mutualité Française. Morceaux choisis de leurs interventions.
Le rapport de l’Igas, déterminant pour une prise de conscience partagée
Jean-Baptiste Frossard, l’un des quatre Igas en charge du rapport, est revenu sur ses enseignements. Il a indiqué qu’il n’avait pas été surpris de l’existence de cas maltraitances dans le sens où c’est un risque inhérent à l’accueil de personnes vulnérables que sont les tout-petits. Il faut donc, selon lui, « dépasser le stade du scandale » et avoir en tête que cette question de la maltraitance doit être constamment discutée. Et, au-delà de cette question, le rapport a de façon plus large traité de la qualité de l’accueil et de la nécessité de se recentrer sur l’enfant. Car l’accueil du jeune enfant est finalement de prime abord pensé comme un service aux familles. Concernant les faits de maltraitance, Jean-Baptiste Frossard a insisté : « Il y a une responsabilité individuelle, mais leur origine et leur cause sont institutionnelles, systémiques ».
Ce sur quoi est revenue Sylviane Giampino, présidente du Conseil de l’enfance et de l’adolescence du HCFEA, qui s’est d’ailleurs dite peu étonnée des faits relayés par le rapport de par sa pratique de terrain. « Cette dimension systémique que vous avez mise en évidence, c’est vraiment une clé d’entrée pertinente pour éviter de se tromper », a-t-elle souligné. « Ce qui est important à partir de ce rapport, a-t-elle également indiqué, c’est que chacune des parties prenantes puisse sentir et savoir qu’elle n’est pas seule et que l’on va pouvoir travailler ensemble. On a des outils mais la difficulté va être de savoir lesquels on va choisir et comment on va les appliquer. Il va falloir être vigilant ». Elle a tenu à ajouter : « La qualité d’accueil du jeune enfant n’est pas séparable de la quantité de l’offre, n’est pas séparable de cet axe que la France a aujourd’hui vraiment adopté qui est que, d’abord, on est au service du développement et de l’épanouissement de l’enfant, ce qui inclut la parentalité, la lutte contre les inégalités… mais on n’avancera pas si on considère que c’est dans une opérationnalité des méthodes, des outils et des contrôles qu’on va trouver la vérité et le juste positionnement ».
Et, la DGCS, comment a-t-elle reçu ce rapport ? « Ce qui nous a marqué, au niveau de notre sous-direction, ce sont les témoignages sur l’impact sur la vie quotidienne des enfants, sur les mots qui peuvent être dits. Vous avez utilisé le terme maltraitance, il y a beaucoup de négligence en fait (…) », a indiqué Anne Morvan-Paris. Elle a ajouté : « Et puis la question de l’impact de cette difficulté de qualité de vie au travail des professionnels sur l’enfant, je crois que c’était la chose plus forte dans le rapport. » Enfin, selon elle, il est essentiel d’avoir « une réflexion dans les formations et ensuite dans l’accompagnement tout au long de la carrière des professionnels sur une meilleure évaluation de l’impact de ce que l’on fait auprès des enfants sur leur développement. »
La directrice du département enfance, jeunesse et parentalité de la Cnaf, Céline Marc s’est pour sa part dite touchée par ce qui est décrit dans le rapport de l’Igas. Puis, elle est revenue sur la pénurie des professionnels, une problématique « qui peut engendrer derrière des situations de maltraitance ».
Du côté des gestionnaires, Jérome Obry, président de la FFEC, a salué « une mission de qualité, ressentie comme une réalité du terrain, objective ». Il a précisé que suite au rapport, la FFEC n’avait pas manqué de réagir prestement en mettant notamment en place des formations sur les douces violences et les maltraitances. « Nous sommes vite rentrés dans le concret pour réagir le plus vite possible et pour mobiliser les consciences et donner les outils qui minimisent au maximum ce risque », a-t-il spécifié.
A la Fédération de la Mutualité Française, le rapport de l’Igas a été accueilli « de manière très sérieuse ». « Enfin un rapport avec une vision 360 ! », s’est exclamée Anaïs Perelman, responsable petite enfance et initiatives sociales à la FMF qui, si elle n’a pas été surprise par les faits dépeints, a été toutefois « sensible aux témoignages bouleversants ». Par ailleurs, le fait que « les recommandations proposées permettent de remettre la qualité de l’accueil au centre des préoccupations » a particulièrement été apprécié à la FMF. Et sur le terrain, quels changements ? Des journées pédagogiques axées sur une remise à niveau des connaissances sur le développement de l’enfant notamment. Ou encore pour les gestionnaires et les collectivités, « le fait d’assumer de réduire des amplitudes horaires, de fermer des sections… de ne plus se sentir coupable de le faire (…) ».
Plan d’urgence qualité : inspection-contrôle, évaluations et durée d’autorisation limitée à 15 ans
Suite au rapport Igas, Jean-Christophe Combe avait donc annoncé la mise en œuvre d’un plan d’urgence pour la qualité de l’accueil du jeune enfant, à laquelle la DGCS va participer. Parmi les mesures de ce plan : une réforme de l’inspection-contrôle et une limitation de la durée d’autorisation des EAJE. Sur ce dernier point, Anne Morvan-Paris a informé que l’amendement à l’article 10 du projet de loi plein emploi déposé par la ministre Aurore Bergé au nom du gouvernement prévoyait une autorisation renouvelable tous les 15 ans (ndlr : lors de la concertation, c’est plutôt 5 ou 10 ans qui avaient été envisagés). Par ailleurs, selon Anne Morvan-Paris, si l’on évoque beaucoup la question des contrôles, celle des évaluations est également importante. « C’est aussi par l’évaluation que l’on va pouvoir passer par des recommandations, des bonnes pratiques », a-t-elle souligné. Et de faire le lien avec la mission Igas sur les référentiels de pratiques professionnelles. Sur le plan qualité aussi, Anne-Morvan Paris a également abordé le sujet de l’attractivité (revalorisations salariales, formations) et la mission Dabin sur le repérage et le signalement des suspicions de maltraitances. « Aujourd’hui, c’est quasiment inexistant. Le principe de cette lettre de mission, c’est de réfléchir à la manière dont ces signalements vont arriver, qui va les traiter et l’organisation ensuite derrière pour voir ce que l’on en fait en termes de contrôle et de sanction et d’amélioration pour que le quotidien de l’enfant soit amélioré », a-t-elle précisé.
Une mise en œuvre également accompagnée par la Cnaf, comme l’a rappelé Céline Marc, grâce à une COG particulièrement bien dotée. Concrètement : « plus de 60 millions débloqués pour pouvoir accompagner les projets sur les territoires pour développer la qualité, il y a 20 millions sur l’accueil individuel (…), le temps des heures de concertation va doubler à partir de 2025 (…), le financement de trois journées pédagogiques par an à partir de 2024. »
Mission sur la déclinaison de la charte d’accueil du jeune enfant : attention à ne pas tout normer
Toujours dans le cadre du plan d’urgence pour la qualité de l’accueil, comme elle n’a pas manqué de le souligner lors de son discours d’ouverture de La Rentrée de la Petite Enfance, Aurore Bergé a signé une lettre de mission dont l’objectif est de décliner de façon opérationnelle (référentiels de pratiques professionnelles et organisationnelles, évaluation du référentiel bâtimentaire, socle commun de compétences) la Charte de qualité d’accueil du jeune enfant dans l’ensemble du secteur. Une mission dont « le chef d’orchestre » sera Jean-Baptiste Frossard. Après avoir brièvement énoncé les contours de sa mission, l’Igas a tenu à rassurer : « Il ne s’agit pas d’aboutir à un référentiel qui ait pour objet de fossiliser les pratiques, de réduire la part de créativité qu’il peut y avoir dans l’accueil (…) Il s’agit d’aboutir à un certain nombre de recommandations, de réflexions sur la façon dont on peut aménager l’espace, dont on peut penser le soutien à la parentalité, les temps de transmissions, les temps de familiarisation, mais il ne s’agira pas de les contraindre dans l’exercice du métier ». Puis, Jean-Baptiste Frossard a insisté sur la nécessité que tout le secteur y participe : « à la fois les chercheurs, les professionnels de terrain, les collectivités, les administrations, les gestionnaires. (…) Que ce soit l’occasion d’une réflexion collective et également l’occasion de renforcer le dialogue et le lien entre la recherche, la science et les pratiques de terrain. » Pour sa part, si Sylviane Giampino, à l’origine de la Charte, se dit « d’accord avec l’esprit dans lequel Jean-Baptiste Frossard aborde cette mission », elle a toutefois mis en garde : « Il va nous falloir être attentif de ne pas faire semblant de faire et en voulant faire de ne pas casser le jeu de ce texte dans sa subtilité, sa complexité. » Et a aussi « appelé à une certaine vigilance sur le fantasme qu’il y aurait à transposer des référentiels, des systèmes de certification issus du médical et du médico-social (…) Je crois que si l’on regarde le bilan de notre système de santé publique et de nos services sociaux et médico-sociaux, il n’est pas sûr que l’on ait encore trouvé le moyen de fabriquer de la qualité seulement comme ça. »
Où il est question de la difficulté d’objectiver la qualité d’accueil
Les labels, les certifications ont-ils un sens alors qu’une mission sur les référentiels a été lancée ? Permettent-ils d’objectiver la qualité ? Oui en partie pour Anaïs Perelman de la FMF, où des labels et une certification ont été mis en place depuis plusieurs années. « Cela participe à la qualité d’accueil dans les structures. Ce n’est pas la réponse à tout, mais cela permet de poser les choses, (…) de valoriser le travail au quotidien des professionnels », a-t-elle ainsi assuré. A la FFEC aussi, des adhérents ont instauré des labels, des certifications, des référentiels, et il y a également une charte éthique. Et, Jérôme Obry de souligner à ce sujet : « à la fédération, ce principe d’amélioration continue est obligatoire pour tous les adhérents mais le comment est multiple. » Céline Marc pour sa part a affirmé : « Ce n’est pas un label qui va faire la qualité. C’est le prétexte à un projet pédagogique, à un travail fédérateur, mais ce n’est pas parce qu’on aurait un label qu’il y aurait dans la qualité dans la crèche et vice versa. » Et reconnaît que c’est compliqué aujourd’hui d’objectivité la qualité de l’accueil. Un propos sur lequel Sylviane Giampino a rebondi : « Je prêche pour qu’on n’oublie surtout pas de subjectiver, c’est-à-dire de ne jamais oublier qu’un mode d’accueil, des relations entre des parents, des enfants, des professionnels, c’est un faisceau de relations intersubjectives et que l’affectif c’est le véhicule secret qui fait le lien entre le corps, la réalité et la capacité de chacun de faire quelque chose avec ça. » Elle a ajouté : « Sur la question d’objectiver, il y a un sujet de finances. On est dans un domaine où se croisent des finances publiques diverses et variées, où se croisent l’argent des familles qui payent pour qu’on s’occupe de leurs enfants, l’argent des cotisations et où certains peuvent gagner de l’argent (…) Je crois qu’il faut faire une expertise plus précise sur ça. »
Enfin, à la question de savoir s’ils sont optimistes pour l’avenir et l’amélioration de la qualité. Tous ont répondu par l’affirmative. Ouf ! Même si pour Anne Morvan-Paris, il va falloir être patient…
Ecouter le podcast de la table ronde Qualité d’accueil : 6 mois après le rapport de l’IGAS, où en est-on ?
Caroline Feufeu
PUBLIÉ LE 21 septembre 2023