Abonnés
Table ronde 4. La formation des professionnels, un enjeu d’avenir
La pénurie de professionnels que connait actuellement le secteur de la petite enfance est sans précédents et concerne tout type d’accueil. Après une journée d’échanges et de débats, le constat est évident, c’est LA problématique sur laquelle butent toutes les promesses et tous les engagements pour sortir de la crise. Rien ne pourra se faire sans professionnels, en nombre suffisant et suffisamment formés. Et les grands piliers du SPPE en sont également tributaires pour la création de places et la qualité de l’accueil. Alors les questions se bousculent. Comment faire en sorte que les Régions ouvrent davantage de places de formation ? Comment proposer des formations plus solides, en lien avec la recherche et moins déconnectées de la réalité de terrain ? Pourquoi sont-elles jugées parfois vieillissantes voire inadaptées ? Quelles autres voies pourraient permettre d’accélérer le mouvement pour former plus de professionnels ?
Lors de cette quatrième table ronde de la Rentrée de la Petite Enfance le 15 septembre 2023, six invités ont pu échanger ensemble sur ces questions. Steven Vasselin, adjoint au maire de Lyon, en charge de la Petite Enfance ; Jean-François Pierre, adjoint à la cheffe de bureau familles et parentalité de la DGCS ; Brigitte Weber, directrice-adjointe du CERPE ; Céline Legrain, présidente de la FNAPPE ; Muriel Gasco, présidente d’ACCENT Petite Enfance ; Valérie Doré, administratrice nationale de la FNEJE. Régions de France et Départements de France n’ont pas souhaité participer.
Sans financement, les régions ne s’investiront pas pour la petite enfance
Steven Vasselin a été l’un des premiers, en 2020, à alerter haut et fort sur la pénurie de professionnels et les risques induits sur le fonctionnement des modes d’accueil, par une tribune et de nombreuses prises de paroles, y compris au Comité de filière au nom de France Urbaine, pour tenter d’interpeller les Régions. « Je fais le même constat que vous, les Régions ne se sentent clairement pas concernées, a-t-il déploré, la petite enfance n’est pas vraiment une compétence des Régions, c’est par incidence que via la formation ça les concerne, un peu, de loin. Mais à mon avis, tant qu’il n’y aura pas un plan très fort piloté par l’état, avec une planification, des budgets mis en regard, et tout le microcosme qu’il faut pour que ça fonctionne, les Régions ne bougeront pas. Il faut donc que cette proactivité vienne de l’État. Je déplore le fait qu’y compris avec la nouvelle ministre, il n’y ait toujours pas la moindre piste de prise en main concrète et de volonté politique forte pour ouvrir les dizaines de milliers de places qu’il faut pour les fameuses 200 000 places (rire) que l’on veut ouvrir d’ici 2030 ! » L’élu en est convaincu, sans le financement qui va avec, les Régions ne s’investiront pas. Cela revient donc à la volonté de l’État. « Si l’État veut faire de la petite enfance une priorité nationale, a insisté Steven Vasselin, il doit le faire et mettre les moyens nécessaires pour que cela puisse fonctionner ».
Une expérimentation de la DGCS dans 5 départements et régions
Alors où en est-on réellement ? Pour la DGCS, il est assez difficile d’évaluer cette pénurie et le nombre de postes manquants, car on ne sait pas exactement combien il y a de professionnels en exercice. « Difficile de faire des projections si l’on ne sait pas d’où l’on part, a admis Jean-François Pierre. Nous savons qu’il y a 200 000 à 230 000 professionnels de l’accueil collectif et 300 000 à 360 000 professionnels de l’accueil individuel. » Sans rentrer dans les détails, la DGCS a donné quelques éléments chiffrés pour expliciter les fameuses 200 000 places promises car « des calculs assez savants ont été faits pour parvenir à ce chiffre ». 200 000 places ce sont 112 000 places dans l’accueil collectif (qui compte déjà 10 000 postes manquants à l’heure actuelle) et 88 000 places d’assistantes maternelles. « Mais environ 300 000 places risquent d’être détruites à l’horizon 2030 du fait du départ à la retraite d’assistantes maternelles. On sait que le taux de sortie dans la profession d’assistante maternelle est à 10% quand le taux d’entrée n’est qu’à 7% », a-t-il précisé.
Jean-François Pierre a cependant annoncé que la DGCS travaillait sur une expérimentation (nous n’en saurons pas plus) qui sera proposée « dès que possible » à 5 régions et 5 départements. Pour les régions, probablement sur un axe Paris, Lyon, Marseille, particulièrement concernés par la pénurie. « Pour les départements, a-t-il précisé, on imagine se concentrer sur des départements où les assistantes maternelles sont les plus nombreuses ». Steven Vasselin lui, plaiderait davantage pour une stratégie nationale. Il a expliqué que raisonner sur la base des régions, en augmentant le nombre de places de formation uniquement dans les régions les plus impactées, n’a aucun intérêt puisque statistiquement, la majorité des étudiants quitte la région après la formation. « Ça ne peut être fait qu’au niveau national si nous voulons des effets diffus vraiment acceptables » a-t-il conclu.
Recours à l’intérim, « course au salaire » et absentéisme
Pour Céline Legrain, présidente de la FNAPPE, le manque de professionnels met à mal les directions des établissements et leurs équipes. Elle l’a constaté sur le terrain : la pénurie impacte l’amplitude horaire des crèches, le nombre de places ouvertes aux familles, l’accueil provisoire, et bien sur la qualité d’accueil. Mais la présidente de la FNAPPE a surtout constaté dans ses structures associatives « un recours exacerbé à l’intérim » qui l’inquiète énormément. « Nous savons qu’un intérimaire n’a pas le même investissement dans le temps qu’un professionnel en CDI. (Le statut) n’apporte pas la même sécurité et fait exploser nos charges, puisqu’un intérimaire revient à peu près deux fois plus cher qu’un salarié en CDI. » Et de rappeler que les associations qui travaillent en lien avec les collectivités territoriales n’ont pas de financement particulier pour compenser ces charges.
Céline Legrain a également dénoncé « une course au salaire » qui devient, du moins en Ile-de-France, « assez anarchique ». Bien que positive pour les professionnels, elle décrit une situation complexe à gérer qui fragilise directement le modèle des crèches associatives, en plus de l’inflation. Un constat approuvé par Muriel Gasco, présidente d’ACCENT petite enfance : « On peut ajouter l’augmentation de l’absentéisme (…) qui s’est encore accéléré au sortir du Covid » a-t-elle complété. Un absentéisme qu’elle justifie par une perte de sens du travail, une charge physique et mentale trop importante. Pour Valérie Doré, administratrice de l’ANPDE, il faut également s’inquiéter du peu de durabilité des professionnels dans les métiers. Elle a évoqué ces pros qui après cinq ou dix ans d’exercice professionnel ne veulent plus travailler dans le secteur de la petite enfance découragés par différents employeurs et systèmes. Et jugerait nécessaire « de travailler le fond, le sens au travail, cette reconnaissance de l’importance de nos métiers ». Brigitte Weber, directrice-adjointe du CERPE, n’a pu qu’approuver « c’est là tout l’enjeu de l’attractivité de ces métiers qui bien qu’ils donnent envie sont des métiers extrêmement exigeants, a-t-elle reconnu. Et aujourd’hui, la reconnaissance de ces métiers n’est pas à la hauteur de l’engagement que ça demande à chacun. »
Une nouvelle génération de candidats et un « effet Parcoursup »
A écouter Steven Vasselin, on prend conscience que la situation s’est nettement aggravée cette année à Lyon. Des chiffres inédits : 250 places gelées sur 5000 dans les structures municipales et associatives de la ville contre une trentaine l’année passée. Il a noté avec inquiétude un changement de comportement des candidats qui ne se présentent pas aux entretiens, ne prennent pas le poste qu’ils ont accepté. « C’est désolant », n’a pu que confirmer Muriel Gasco, décrivant des profils jeunes capables de faire faux bons à la dernière minute… Au CERPE, on a observé un véritable « effet Parcoursup » avec un nombre de candidatures important mais beaucoup de candidats qui ne se présentent pas aux entretiens, ne préviennent pas de leur absence ou ne se présenteront pas à la rentrée.
Manque de places, de candidats ou de terrains de stages ?
« Aujourd’hui, notre problème, c’est le nombre de candidats, pas le nombre de places ouvertes » a expliqué Brigitte Weber. Actuellement, le CERPE où elle exerce (en Seine-Saint-Denis) reçoit au maximum deux candidats pour une place de formation, tandis qu’il y a quinze ans, comptait 10 candidats pour une place. Elle estime que la formation d’EJE est la plus touchée, pour des raisons économiques et parce qu’elle présente une marche parfois trop ambitieuse, entre le niveau d’entrée en formation et le niveau de diplôme, pour les candidats qui arrivent de bac professionnel et bac technologique. Steven Vasselin a fait un constat tout autre, et plaide pour des problématiques fluctuantes selon les régions. « Dans les écoles de formation de la région lyonnaise, (…) on a un manque de places ! » a-t-il rapporté.
L’élu soulève également la question des terrains de stage saturés qui accapare également les écoles. « Est-ce que tout le monde joue le jeu ?» a-t-il questionné. « On a là une piste importante à creuser et j’en parlerai au Comité de filière. C’est de réfléchir à comment s’assurer que toutes les structures qui peuvent accueillir des stagiaires et des apprentis soient dans l’obligation de le faire, sinon on n’arrivera jamais à avoir assez de terrains de stage pour sortir davantage de diplômés ». Mais parfois, sur le terrain, il n’y a pas assez de professionnels suffisamment disponibles et formés, et pas le financement pour pouvoir accompagner les stagiaires. Et là, le serpent se mord la queue… « Ce n’est pas toujours une volonté des terrains de stage, a alerté Brigitte Weber. Parfois, c’est vraiment le concret du quotidien qui ne permet pas d’accueillir une stagiaire en qualité. Il y a aussi la question de l’apprenti, est ce qu’il compte ou pas dans les effectifs ? »
« Seules les solutions sur le temps long pourront apporter de vrais effets »
Reconnaissante, Muriel Gasco a tenu à valoriser le travail fait par le Comité de filière par la campagne de communication autour des métiers de la petite enfance et son travail sur la revalorisation des salaires. « Je pense que ça peut-être un levier, j’y crois beaucoup » a-t-elle appuyé. Dans les leviers possibles pour la formation des professionnels, on compte également la VAE que le gouvernement souhaite moins longue, plus accessible. « Un an pour passer une VAE d’EJE ce n’est absolument pas suffisant, a regretté Valérie Doré. C’est un parcours formatif par l’auto-analyse de sa propre pratique, qui a besoin d’être construit, accompagné (…) et confronté à un jury professionnel. » Et d’expliquer que l’on peine toujours à trouver des professionnels de terrain pour constituer les jurys. Céline Legrain a évoqué la solution des chantiers d’insertion, un dispositif intéressant qui permet d’aller chercher des profils peu scolaires, en leur proposant un accompagnement socio-professionnel pendant toute la durée de la formation.
Pour Steven Vasselin, très terre-à-terre, ces petits leviers ne suffiront pas, « il va peut-être falloir accepter une période transitoire complexe (…) On va forcément devoir, à un moment donné, mettre quelque part un point de tension très fort (pour les familles), la solution à court terme, qui va produire de l’effet dans un deux ou trois ans, on sait tous qu’elle n’existe pas (…) On a besoin de cinq à dix ans minimum pour réussir à mettre en œuvre les choses structurantes qui vont faire évoluer (la situation) (…) Je suis convaincu que seules des solutions sur le temps long pourront apporter de vrais effets », a insisté l’élu, évoquant notamment un grand travail à faire sur l’orientation dans les collèges et les lycées. « Je pense qu’il faut développer cela au niveau national, ça se planifie, ça se finance. Les effets ne seront là que dans 5 ou 6 ans mais on aura peut-être moins de déceptions à l’arrivée de Parcoursup ! »
De plus en plus d’EJE et AP deviennent assistantes maternelles
Concernant la formation des assistantes maternelles, Brigitte Weber a soulevé deux points intéressants : primo, entre la demande d’agrément et l’exercice du métier, il y a un délai parfois difficile à assumer économiquement. Secundo, on trouve de plus en plus, en formation d’assistante maternelle, des personnes qui ont un diplôme initial d’EJE ou d’AP, et qui visent une passerelle. « L’engagement auprès de la petite enfance peut rester valide à partir du moment où il y a une souplesse dans la manière d’exercer le métier, a-t-elle souligné. Et ce sont bien les conditions institutionnelles d’exercice des métiers qui sont d’abord et avant tout à réinterroger ». Évoquant les MAM, elle a jugé cependant que le temps restreint de formation (120h) du diplôme d’assistante maternelle montrait ses limites et son inadéquation avec les exigences du terrain.
Baisse de niveau de diplôme vs exigences surdimensionnées
Concernant la qualité des formations, le rapport de l’IGAS était plutôt critique, pointant le niveau un peu juste du CAP AEPE, et reprochant aux autres de ne pas être assez en lien avec la recherche et ancrées sur le terrain. Valérie Doré, reconnaissant les apports des formations comme un vrai moteur d’investissement pour les équipes, a cependant décrit les difficultés que rencontrent les jeunes EJE tout juste diplômés, parachutés en poste à la tête d’une équipe avec de fortes attentes. Ils se retrouvent démunis, avec un besoin de formation pratique, organisationnelle et concrète du quotidien. Et d’évoquer l’idée de parrainage, de formation continue ou d’accompagnement de prise de poste à responsabilité éducative pour aider à faire le lien entre la recherche et le déploiement des compétences sur le terrain.
Pour Céline Legrain, le niveau des professionnels a clairement baissé. Elle a évoqué « un décalage entre ce qu’on attend d’un professionnel sur le terrain et les professionnels qui sortent de formation ». De fait, la FNAPPE, tout comme ACCENT petite enfance, ont dû développer des parcours de formation spécifiques pour compenser cet écart. Ce n’est pas de l’avis de de Brigitte Weber : « Je ne suis pas sûre que le niveau baisse, par contre, je pense que les exigences sont multiples, toutes directions et complexes à organiser pour quelqu’un de très jeune parfois. » a-t-elle nuancé. Et de citer l’exemple d’étudiants diplômés qui se jugent trop jeunes pour débuter sur le terrain et préfèrent prolonger leurs études.
Formation initiale : une réingénierie des diplômes est-elle nécessaire ?
Rappelons qu’il y a eu une réingénierie récente des diplômes de la petite enfance – en 2018 pour celui d’EJE, en 2021 pour les auxiliaires de puériculture – tout comme les autres diplômes du travail social. « Mais on entend bien que Jean-Baptiste Frossard a pour mission d’élaborer un référentiel » a rappelé Brigitte Weber. Et de préciser : « Nous sommes passés d’une logique d’accueil répondant aux besoins des parents a une logique qui considère les travaux menés par les scientifiques sur les besoins du jeune enfant. Et si nous partons des besoins du jeune enfant, alors les référentiels de formation vont se reconstruire autour de trois axes (ce sont les annonces qui sont faites) : la connaissance du jeune enfant, la prévention de la maltraitance, et le travail avec les parents. Quand les jeunes professionnels choisissent de travailler avec les jeunes enfants, très rares sont ceux qui imaginent qu’ils travailleront avec les parents ! »
Sur la table ronde, tous ont peiné à aborder frontalement le sujet. Brigitte Weber a fini par faire le point. Pour assurer la qualité de la formation initiale, elle a insisté sur la nécessité d’avoir des formateurs pérennes, afin qu’un véritable lien se tisse avec les étudiants. Elle jugerait donc nécessaire de réinterroger l’enjeu de l’universitarisation des formations, par laquelle certains étudiants ne rencontrent jamais le même professionnel pour les accompagner. Et également revoir la manière dont se répartissent les tâches entre l’État et les centres de formation. Car « depuis la réingénierie des diplômes, les centres de formation doivent assurer beaucoup plus de missions qui étaient jusque-là assurées par l’État » a-t-elle fait remarquer.
La formation continue, à quel prix ?
Pour évoquer la formation continue, peu de chiffres sur lesquels s’appuyer, car là également, la DGCS indique qu’il est difficile d’avoir des données précises. Ce sont des temps de formation assez courts, qui se décident souvent au niveau de la structure, liés à un plan de formation à une ambition de l’établissement de se former sur telle ou telle thématique, qui se traduit directement dans le projet d’accueil. Mais à l’heure de la pénurie de professionnels, les structures peinent à envoyer leurs salariés en formation, sans trop accroître l’absentéisme et peser sur les équipes. Dans le groupe Crescendo, Celine Legrain, a dû développer des alternatives, qui ne remplacent cependant pas la formation continue :
– Sur de très courts temps en visio, un formateur aborde avec les équipes des sujets très pratiques de pédagogie du quotidien, répond aux questions des pros.
– Un formateur vient à la crèche pour travailler avec les équipes sur une problématique qu’elles ont soumis en amont. Après un temps d‘observation de terrain, un plan d’action est mis en place.
Pour Steven Vasselin, c’est contre-productif. « Nous préférons faire l’inverse ! a-t-il affirmé. C’est à dire préserver les cycles de formation, quitte à devoir réduire l’amplitude horaire, geler des berceaux, fermer des structures. La formation continue concourt pleinement à la qualité de vie au travail sinon on se retrouve avec davantage d’absentéisme, un personnel à rude épreuve. » A condition de pouvoir se le permettre… Céline Legrain a rappelé que ces temps de fermeture doivent être financés et que toutes les communes ne le font pas. Et de conclure à l’unisson que ce genre de chose doit être nationalement pensé et compensé, afin qu’il y ait une équité entre les territoires. A nouveau, un appel du pied à un plan national fort pour la petite enfance.
Ecouter le podcast de la table ronde : La formation des professionnels, un enjeu d’avenir
Laurence Yème
PUBLIÉ LE 23 septembre 2023
MIS À JOUR LE 24 septembre 2023