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Zoom sur l’accueil de la petite enfance à Rennes

Rennes a été l’une des premières villes en France à se doter d’un projet éducatif local. Son objectif ? Mettre tout en œuvre pour que chaque jeune puisse réussir et s’épanouir, quels que soient son quartier et son origine sociale. En termes d’accueil de la petite enfance, cela se traduit par une politique volontariste et des ouvertures de places en crèche en favorisant la mixité sociale. Leur nombre demeure néanmoins insuffisant pour satisfaire toutes les demandes malgré un secteur privé lucratif en forte expansion via les micro-crèches, notamment.

Sommaire

Une démographie en augmentation

Rennes attire. Les derniers chiffres de l’Insee de décembre 2023 le confirment avec une population en hausse de 0,7 % soit presque plus de 10 000 habitants en six ans. Cette dynamique est portée autant par les naissances que l’arrivée de nouveaux habitants et se traduit aussi par une augmentation des besoins d’accueil du jeune enfant. Besoins auxquels la Ville tente de répondre.

Des objectifs de création ambitieux dans un contexte de pénurie de professionnels difficile

La feuille de route de la direction de la petite enfance rédigée en 2020 est claire : Rennes s’engage à ouvrir 350 nouvelles places en crèche en six ans. « Aujourd’hui, au bout de trois ans, nous avons créé 176 places dans le secteur municipal et associatif », comptabilise Arnaud Stephan, élu conseiller municipal délégué à la petite enfance. « Nous avons bon espoir d’atteindre notre objectif », précise-t-il. Un optimisme qui risque de se heurter au contexte actuel de pénurie de professionnels. La ville n’est pas épargnée par cette tendance nationale, malgré des efforts pour soutenir les associations gestionnaires et sur les revalorisations salariales liées au statut de la fonction publique.

Le constat est sans appel : la pénurie touche tous les métiers de la petite enfance, tous les secteurs et toutes les structures : municipales, associatives, parentales ou privées. En septembre 2022, la ville arrivait encore à ouvrir des crèches, comme celle de 64 berceaux dans le quartier de la Courrouze.
Un an plus tard, une section dans une crèche municipale de Blosne est fermée. « La situation était trop précaire, trop dans l’incertitude permanente, ce qui obligeait le personnel à demander aux parents de garder leur enfant… C’était pénible et ça crispait tout le monde », commente une mère du quartier après avoir vécu une année chaotique liée aux absences de professionnelles.

En septembre 2023, pour la première fois, la direction de la petite enfance a dû geler 60 places. « Il manquait 11 auxiliaires de puéricultures », explique Carole Ferré, directrice adjointe petite enfance. Accueillir des enfants en crèche, c’est aussi accueillir des parents dans leurs diversités et avec leurs questionnements. « Le temps de transmission permet aux équipes d’être dans l’accompagnement à la parentalité et c’est un temps que nous ne voulons pas sacrifier d’où le choix difficile du gel des 60 places », résume Arnaud Stephan. La décision a été annoncée lors du conseil de crèche – instance consultative qui se réunit deux fois par an – des structures concernées. « Nous avons demandé des explications que nous avons pu retransmettre aux parents », confirme un père élu à la crèche du Blosne.

Un budget petite enfance en augmentation

La politique petite enfance de la Ville est ambitieuse et volontariste. Cela a un coût et le budget alloué à la petite enfance est en constante augmentation. En 2023, il s’élève à 26,11 millions d’euros en fonctionnement (contre 21,46 millions en 2022) sur un budget global ville de 458,70 M€.

Un service public de la petite enfance… sans le privé lucratif

« Depuis les années 1970, le choix est de considérer l’accueil de la petite enfance comme un service public, rappelle Arnaud Stephan. La Ville refuse de travailler avec des partenaires qui se font de l’argent sur le besoin des familles. » Le ton est donné, sans pour autant y voir une déclaration de guerre au privé. La Ville n’a juste pas recours aux DSP dans ce secteur et ne réserve pas de berceaux dans le privé. Son service public de la petite enfance, très actif, comprend exclusivement ses crèches municipales et les crèches associatives à but non lucratif (classiques ou parentales) qu’elle considère comme de vraies partenaires. Et qui, à ce titre, bénéficient de son soutien, notamment financier. La ville n’intègre donc pas les places privées au sein de son guichet unique (L’Etoile voir ci-dessous).
A la direction de la petite enfance, on précise sobrement : « l’offre privée est complémentaire de l’offre publique et associative et les deux offres cohabitent très bien. ».

L’Étoile : une information centralisée sur tous les modes d’accueil

L’Étoile (le Centre Info Petite Enfance) informe et accompagne les parents rennais dans leur recherche d’un mode d’accueil pour leur enfant. C’est un guichet unique pour tous les modes d’accueil soutenus par la ville, qu’ils soient collectifs ou individuels. « C’est un outil précieux car il est cogéré avec la CAF, il est central et se déplace dans les quartiers », insiste Arnaud Stephan. Concrètement, tout parent qui recherche un mode d’accueil passe par l’Etoile, soit par Internet, soit en rendez-vous physique. « Cette étape permet d’identifier ses besoins, explique Laurianne Huet, responsable de l’Étoile. Sa demande entre ensuite dans une base de données. »
Si les familles optent pour un mode d’accueil individuel, « elles sont dirigées vers le Relais petite enfance (RPE) composé de huit animatrices », continue Laurianne Huet. Le RPE situé au sein de l’Etoile oriente également les familles n’ayant pas obtenu de place en crèches municipales vers d’autres modes d’accueil soutenus par la Ville de Rennes, comme les crèches associatives à gestion parentales ou un accueil individuel.

La mixité sociale, pilier de la politique petite enfance de la Ville

Depuis 2020, Rennes a introduit l’anonymat dans l’attribution des places en crèche pour prendre en compte uniquement un profil familial en fonction de différents critères : le besoin de garde, l’âge de l’enfant, le nombre d’enfants, le quotient familial délivré par la CAF et la situation familiale. « Nous étudions toutes les demandes et je les valide une par une », précise Arnaud Stephan. D’autres commissions complémentaires se réunissent tous les mois pour attribuer les places qui se libèrent au fil de l’eau.
Dans les crèches municipales et associatives soutenues par la Ville, 23 % des enfants sont issus de familles vivant dans des quartiers prioritaires de la Ville (QPV), 26 % sont des familles monoparentales et 30 % ont un quotient familial inférieur à 1000 €. « L’un des piliers de notre politique est la mixité, toutes les mixités », rappelle avec conviction l’élu.

La PSU à petits pas

Ce positionnement très social explique la mise en place très progressive de la Prestation de Service Unique (PSU) dans les crèches municipales de la ville de Rennes alors même que les crèches partenaires l’appliquent depuis 2004…
Avant septembre 2021, les élus et la direction de la petite enfance estimaient que la PSU n’offrait pas assez de garanties au niveau social. « Nous avions des conventions avec la CAF au titre de la PSU, mais nous n’étions pas dans la pleine application du dispositif, détaille la direction de la petite enfance. Nous appliquions des tarifs au forfait : d’une demi-journée à cinq jours par semaine. » La Ville proposait aussi des forfaits adaptables pour les horaires atypiques et des forfaits de 4h. « Nous n’étions pas comme aujourd’hui à la demi-heure près, mais en chemin vers une prise en compte de plus en plus fine des besoins des familles. ».

La PSU s’est transformée au fil des années en instaurant notamment en 2018 un bonus mixité. « Quand on instaure un bonus, ça veut tout dire… remarque Arnaud Stephan. Dorénavant, les marqueurs sont suffisamment acceptables en faveur de la mixité pour que la Ville l’applique. » Désormais, quelle que soit la structure, les parents signent un contrat et badgent à l’entrée de la crèche pour comptabiliser les heures.
Le bonus mixité de la Caf conjugué à son système d’attribution des places en crèche, permet à la Ville de dire que « les familles qui fréquentent nos crèches sont représentatives de l’ensemble du tissu social rennais, la mixité est recherchée au sein de chaque établissement. » 

Un soutien fort et assumé aux crèches associatives

Toutes les crèches associatives, quelles qu’elles soient, dès lors qu’elles sont partenaires de la Ville signent la charte d’engagements réciproques, condition sine qua non pour obtenir un soutien de la Ville. Soutien qui se traduit d’une part par la mise à disposition de locaux municipaux assortis de loyers très modérés et, d’autre part, par l’octroi de subventions d’équipement et de fonctionnement. En 2023, la Ville a versé aux crèches associatives : 57k€ de subventions d’équipements et 1,5M€ de subventions de fonctionnement. Dans un contexte budgétaire extrêmement contraint, la Ville prend le temps d’examiner la situation financière de chaque association. « Elle dialogue avec chacune d’entre elles et recherche le meilleur moyen d’apporter son soutien », confirme Arnaud Stephan.

Six crèches parentales implantées de longue date

Parmi les crèches associatives, six crèches parentales font partie du paysage des modes d’accueil rennais. La toute première, Poupenn, a ouvert en 1979. Ty Bugale, Les Fruits de la passion et Cannelle ont suivi en 1986. Puis Les Petits Potes, en 1992, et Au Clair de la lune, réservée aux enfants des étudiants et personnels de l’université de Rennes 2, ce qui représente en tout 106 places. La longévité de ces structures s’explique entre autres par le professionnalisme de salariés fidèles mais aussi par le soutien indéfectible de la municipalité depuis leur implantation. Pour faire face à la revalorisation des salaires, « la Ville nous assure qu’elle ne nous laissera pas tomber si nous avons des difficultés de trésorerie », rapporte un membre du bureau des Fruits de la passion. Effectivement la direction petite enfance, convaincue de ce modèle de crèche, soutient fortement ces projets « à travers la mise à disposition et construction de locaux, de loyers associatifs ou d’un accompagnement de relocalisation de structures ». 

Des structures associatives innovantes et inclusives

Parmi les onze crèches associatives, les modèles sont assez différents. « Nous avons récemment accompagné la Clefs des champs, la première crèche en plein air de Bretagne portée par une association à gestion parentale, ce qui est encore différent de la crèche parentale », indique Arnaud Stephan.
La première crèche « plein air » de 24 places a ouvert en janvier 2022 dans un nouveau quartier de la ville chez un bailleur social. « La Ville a souhaité garantir l’implantation d’une crèche associative sur le quartier et a imposé un niveau de loyer modéré, soutenable pour la structure », détaille Flore Chabagny, responsable du service partenariat associatif. Une deuxième crèche plein air a ouvert en janvier 2024 dans un bâtiment porté par les services de la ville de Rennes et conçu en maîtrise d’œuvre municipale.

« D’autres crèches associatives ont pour vocation l’accueil d’enfants porteurs de handicap sans les séparer des autres enfants, insiste l’élu. La mixité n’est pas que sociale. » Actuellement, la Ville travaille avec l’association des centres sociaux pour faire évoluer leurs haltes garderies vers du multi-accueil : « Occasionnel, d’urgence et régulier », précise Flore Chabagny.

Un secteur privé « toléré » et des micro-crèches en pleine expansion

Avec le privé, cela oscille entre coexistence pacifique et ignorance intentionnelle. La direction petite enfance ne s’en cache pas, elle porte un regard attentif sur les nouvelles crèches privées à but lucratif qui s’installent. « Quand nous les rencontrons, précise Arnaud Stephan, nous les interrogeons sur leur politique et leurs valeurs. La mairie est sollicitée pour autoriser l’ouverture de la crèche, mais ensuite n’intervient plus ».

Charles Desaulle, patron du réseau Les Bébés Explorateurs qui a ouvert une petite crèche PSU de 20 berceaux, il y a un an et demi, dans le quartier de la Poterie, confirme : « nous avons rencontré l’élu petite enfance, expliqué notre projet. Il a effectivement validé notre implantation mais nous a fait comprendre qu’il n’y contribuerait en rien. » Et d’ajouter : « en même temps, je pense que l’ouverture de notre structure qui travaille autant avec des réservataires, employeurs privés que publics (comme la Préfecture par exemple), aide la ville à faire face aux besoins des parents… ». En résumé, pas d’animosité contre le privé mais un tranquille statu quo.

A Rennes, comme ailleurs, dans le secteur privé, ce sont les micro-crèches qui mènent la danse. « Leur nombre a quasiment doublé en 4 ans », constate Flore Chabagny. Cette offre Paje, inaccessible financièrement à tous, va à l’encontre de la philosophie très sociale de la Ville et s’incruste comme employeur sur un marché de l’emploi de plus en plus tendu…

Des professionnels de crèches chouchoutés et valorisés

Comment attirer des professionnels dans les crèches municipales. Pour faire face aux problématiques de recrutement de personnel, la Ville travaille à un plan d’actions pour recruter et fidéliser les équipes. La direction petite enfance a notamment renoué avec le Conseil régional pour financer des formations d’auxiliaire de puériculture. La Ville cherche aussi à stimuler l’évolution en interne en encourageant par courrier les agents à s’orienter vers la formation CAP petite enfance. Pour travailler l’attractivité auprès des jeunes diplômés, la Ville mise sur l’apprentissage. « Nous accueillons cette année neuf apprenties auxiliaires de puériculture et une apprentie EJE pendant trois ans », explique Carole Ferré.
Par ailleurs, Rennes vante la pédagogie appliquée dans les crèches municipales, vidéo à l’appui. « C’est davantage une méthode de réflexion et de travail qu’une vraie pédagogie. Elle est basée sur l’observation et le réajustement des pratiques en fonction du besoin des enfants, explique Blandine Charpin, coordinatrice petite enfance. Elle permet de réfléchir sur la façon dont l’adulte peut favoriser l’interaction à des moments précis de la journée. Au-delà de la richesse que procurent les échanges, cette méthode permet de garder une dynamique dans les structures. »

Depuis qu’elle est devenue obligatoire, l’analyse de pratique se met progressivement en place. « C’est très enrichissant et bénéfique dans nos pratiques », assure une jeune EJE qui a pu en bénéficier du dispositif l’année dernière, dès sa première année en poste. « Six heures par an sont obligatoires, rappelle Carole Ferré. Nous avons choisi de les diviser en trois fois deux heures en mélangeant les professionnelles de différentes crèches. »

À noter également que la Ville organise deux journées pédagogiques banalisées par an. Une dans chaque crèche, fin août, pour préparer l’année et une seconde au mois de mai qui réunit les 500 professionnels de la petite enfance de la Ville de la Rennes sur une thématique. « En 2023, c’était l’art et la culture au sein de la crèche et cette année ce sera le changement », précise Blandine Charpin. A cette journée, sont également invités un membre du bureau et un membre du personnel des structures partenaires associatives.

Accueil individuel : un secteur à redynamiser

On le voit, Rennes a fait beaucoup pour développer l’accueil collectif en l’axant sur la mixité sociale. Qu’en est-il de l’accueil individuel et de la place des assistantes maternelles dans cette offre d’accueil ? Contrairement à de nombreuses collectivités, Rennes ne mise pas sur les Maisons d’Assistantes maternelles (MAM). Il en existe 8 sur la ville mais elles ne constituent pas un projet prioritaire, et ne sont pas des projets portés directement par la direction petite enfance.

En revanche, la Ville souhaite développer davantage les crèches familiales – aujourd’hui, il en existe une regroupant 30 salariés – et cherche à recruter huit nouvelles assistantes maternelles pour l’ouverture en septembre 2024 d’une nouvelle crèche familiale dans le quartier de Maurepas. À l’horizon 2026-2027, une crèche municipale associant une petite crèche collective de 36 places et une crèche familiale sur un modèle de crèche semi plein air doit également ouvrir.

La ville veut surtout, pour redynamiser l’accueil individuel, rendre le métier d’assistante maternelle plus attractif. Pour cela, elle s’appuie sur le RPE dont une des missions et de les accompagner et de leur proposer des espaces-jeux et des ateliers d’éveil. « Un des objectifs de l’Etoile est de redynamiser les crèches familiales, de promouvoir le métier d’assistante maternelle et d’en recruter à la Ville de Rennes, rappelle Laurianne Huet. Parmi les 30 salariées, beaucoup vont partir à la retraite. »

Ateliers d’éveil, formations, analyse de pratique, conférences… Pour sortir les assistantes maternelles indépendantes de leur isolement, les animatrices du Relais petite enfance multiplient les propositions et se déplacent dans les quartiers au moins une matinée par semaine.
Le Relais petite enfance accompagne également les assistantes maternelles qui souhaitent se former auprès d’organismes. Il propose aussi une fois par mois des réunions d’information et d’échanges sur des thématiques qui les concernent.

L’accueil de la petite enfance à Rennes en chiffres

18 crèches municipales : 1 085 places
17 crèches collectives (1 012 places) 
1 crèche familiale (73 places). 

Crèches associatives : 422 places
11 crèches associatives : 301 places + 2 crèches associatives à Saint-Jacques-de-la-Lande et Cesson-Sévigné dont 14 places soutenues par la Ville pour des Rennais.
6 crèches parentales : 107 places

1 crèche hospitalière (CHU) : 90 places

7 crèches privées d’entreprises : 189 places

28 micro-crèches : 316 places

8 haltes-garderies : 141 places

595 assistantes maternelles en activité

8 MAM

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Anne-Flore Hervé

PUBLIÉ LE 02 février 2024

MIS À JOUR LE 05 mars 2024

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