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L’accueil de la petite enfance au Québec
En octobre 2022 a eu lieu la Semaine nationale des éducatrices et éducateurs au Québec. Une première qui symbolise la politique proactive menée par le gouvernement québécois depuis quatre ans en faveur de la petite enfance afin d’améliorer le réseau des services de garde éducatifs dans la province canadienne. Des avancées sont visibles mais, pour atteindre ses objectifs, le chantier du ministère de la Famille est encore grand.
Places d’accueil : un guichet unique régi par l’État
Au Québec, l’école est obligatoire à partir de 6 ans. Avant cet âge, les parents qui souhaitent reprendre leur travail après leurs congés de maternité (18 semaines), de paternité (5 semaines) et parental (52 semaines partageables) doivent s’inscrire le plus tôt possible sur le site La place 0-5 ans, choisir plu- sieurs services de garde pour leur enfant et attendre qu’une place se libère… Géré par l’État, ce guichet permet aux parents de connaître le rang de leur enfant. Fin 2021, environ 50 000 enfants étaient sur la liste d’attente centralisée rapporte un article de La Presse.
Grand chantier pour les familles : une place pour chaque enfant
La pénurie de places, notamment dans les structures collectives publiques très demandées par les familles, est à l’origine du Grand chantier lancé en octobre 2021 « Ce plan d’action vise à compléter le réseau des services de garde afin d’offrir une place à chaque enfant qui le désire », explique le ministère de la Famille. Le ministre de la Famille Matthieu Lacombe s’est engagé à créer 37 000 places subventionnées de garde éducatif d’ici 2025.
Au 30 septembre 2022, le Québec comptabilise 288 879 places pour accueillir les enfants de 0 à 5 ans, tout service de garde éducatif à l’enfance (SGEE) confondu. Parmi ces places, il faut distinguer celles qui sont exclusive- ment subventionnées, celles pour lesquelles des frais complémentaires peuvent être demandés aux familles et celles qui ne le sont pas du tout.
Les différents services de garde éducatifs à l’enfance
Les Centres de la petite enfance (CPE).
Créés en 1997, ce sont des organismes à but non lucratif. « Il n’y a pas d’intérêt en matière de profit de la part des gestionnaires, précise Nicole Malenfant, formatrice, consultante en CPE et en garderie à Longueil. S’il y a des surplus, ils sont réinvestis dans la bâtisse ou dans le matériel. Ils sont sous la gouvernance du ministère de la Famille qui leur donne l’autorisation et un permis pour accueillir des enfants de 0 à 5 ans. » Les CPE sont nécessairement subventionnés. Une place dans un CPE coûte 8,70 $ canadiens (6,45 €) par jour et par enfant aux familles (tarif 2022). Le ministère de la Famille verse une subvention de fonctionnement au service pour compléter le financement. Les 941 CPE et 1 665 installations représentent 102 733 places subventionnées (36 % de l’offre totale).
Les bureaux coordonnateurs (BC) de la garde en milieu familial.
Ils s’occupent des responsables de service de garde éducatif en milieu familial (RSGE). La grande majorité des services de garde en milieu familial est subventionnée par l’État. Le coût pour les familles est le même que pour une place en CPE, à savoir 8,70 $ canadiens (6,45 €) par jour et par enfant. Les 10 737 RSGE disposent de 66 727 places subventionnées (23 %).
À noter qu’il existe encore des services de garde en milieu familial non subventionnés (59 RSGE pour 372 places). « Comme il n’y a pas de bureau coordonnateur, c’est la responsable qui fixe les tarifs, remarque Nicole Malenfant. Ils peuvent monter jusqu’à 40 $ voire 70 $ par jour. » Mais les parents peuvent bénéficier du crédit d’impôt remboursable pour les frais de garde puisque les places ne sont pas subventionnées. Ce type de garde doit prendre fin le 31 août 2026.
Les garderies non subventionnées
Elles n’ont pas le même type d’administration qu’un CPE. « Les gestionnaires peuvent demander des frais supplémentaires aux parents pour des cours en anglais ou des sorties. » Parmi les 777 garderies subventionnées pour 52 919 places subventionnées (18 %), plusieurs d’entre elles cherchent à se convertir en CPE et en font la demande auprès du ministère de la Famille. Dans quel intérêt ? « Les CPE jouissent d’une plus grande popularité auprès de la population », explique Nicole Malenfant.
Les garderies non subventionnées.
Autrement dit entièrement privées, elles ont été favorisées par les gouvernements précédents. On en comptabilise 1 196 pour 66 128 places non subventionnées (23 %). Dans ces services de garde éducatifs, les parents payent le plein prix. « Le tarif moyen varie entre 38 $ (28,50 €) et 51 $ (38 €) dans les cinq plus grandes villes du Québec et peut même atteindre 70 $ par jour (plus de 52 €), selon un document de consultation du ministère de la Famille qui citait une étude sur le sujet, relate un article d’octobre 2021 paru sur le site de La Presse. Le crédit d’impôt actuel fait baisser la facture et varie de 26 % à 75 % en fonction du revenu familial. »
Agrément et taux d’encadrement
Au Québec, le ministère de la Famille a la responsabilité de délivrer les permis pour tous les services de garde éducatifs à l’enfance en installation, subventionnés ou non. Il a aussi celle de donner les agréments des bureaux coordonnateurs de la garde éducative en milieu familial. Ce sont ces derniers qui ont comme fonction d’octroyer les reconnaissances aux personnes responsables d’un service de garde éducatif en milieu familial. Dans les structures collectives, le ratio est de 1 éducatrice pour 5 enfants de moins de 18 mois ; 1 éducatrice pour 8 enfants de 18 mois à 3 ans et de 1 éducatrice pour 10 enfants de 4 à 5 ans. En milieu familial, un responsable de service de garde éducatif peut accueillir au maximum 6 enfants de m o i n s d e 5 ans, ses propres enfants compris. « Mais il ne peut pas y avoir plus de deux enfants de moins de 18 mois, c’est la loi », précise Nicole Malenfant.
Pénurie de places : le développement de CPE modulaires préfabriqués
Idéalement, il faudrait donc ouvrir davantage de CPE pour répondre à l’objectif n° 1 du Grand chantier : « créer suffisamment de places pour répondre aux besoins des familles ». Et à l’objectif n° 2 : « contribuer à une plus grande équité financière entre les familles ».
Mais la pénurie de main d’œuvre dans le domaine de la construction et le marché de la construction en surchauffe rendent la tâche difficile.
Pour diminuer les délais de construction et faire des économies d’échelle, le ministère de la Famille a accepté que l’Association québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE) chapeaute le développement d’une quarantaine de CPE modulaires préfabriqués et permanents à travers le Québec explique un article publié sur le site Le Soleil numérique en octobre 2022.
Des difficultés de recrutement
Augmenter les places, cela signifie également davantage de personnel qualifié pour accueillir les enfants. Le Règlement sur les services de garde éducatifs stipule que « le titulaire d’un permis doit s’assurer qu’au moins 2 membres du personnel de garde sur 3 sont qualifiés et présents chaque jour auprès des enfants durant la prestation des services de garde. Toutefois, jusqu’à ce qu’il se soit écoulé 9 mois depuis le jour où prend fin l’état d’urgence sanitaire déclaré par le décret n° 177-2020 du 13 mars 2020, il doit s’assurer qu’au moins 1 membre du personnel de garde sur 3 est qualifié et présent chaque jour auprès des enfants durant la prestation des services de garde et que, pour les 12 mois suivants, au moins 1 membre du personnel de garde sur 2 est qualifié et présent chaque jour auprès des enfants durant la prestation des services de garde », écrit le ministère de la Famille. Un retour à la Réglementation est donc attendu en 2023. Ce qui ne va pas arranger les difficultés de recrutement éprouvées déjà sur le terrain.
« Nous devons parfois recourir à la fermeture de certains groupes, pour qu’une personne malade puisse se reposer, déplore Nathalie Charbonneau, ancienne éducatrice en CPE et gestionnaire du CPE La Boîte à soleil, situé à Chambly, sur la rive-sud de Montréal en milieu semi-urbain. Pour permettre les vacances d’été, nous devons faire preuve de créativité et aller chercher des étudiantes, des gens qui travaillent en scolaire durant l’année et qui peuvent venir nous prêter main-forte l’été. L’an prochain nous devrons procéder à l’ouverture d’une seconde installation et un autre CPE de Chambly fera la même chose au même moment. Nous voyons difficilement comment nous arriverons l’un et l’autre à faire l’embauche de tout le personnel nécessaire. »
Selon un article du Devoir publié le 7 février 2022, « il faudra embaucher près de 18 000 éducatrices dans les prochaines années pour faire face à l’augmentation du nombre de places en garderie. Pour les attirer, le ministre Lacombe mise sur l’augmentation de salaire négociée en décembre 2021 allant jusqu’à 18 % pour les éducatrices ». Le salaire des éducatrices et des éducateurs qualifiés évolue en suivant une grille allant jusqu’à l’échelon 11.
Des métiers un peu mieux reconnus
« Depuis les revendications des éducatrices en 2021, on assiste à une meilleure valorisation du métier, analyse Nicole Malenfant. Ce n’est pas parfait, mais il y a une réelle avancée. Désormais, le substantif « gardienne » n’est presque plus utilisé pour les désigner. Elles se font appeler « éducatrices » qu’elles soient qualifiées ou non. »
Autre illustration de ce changement de regard, la première édition de la Semaine nationale des éducatrices et des éducateurs qui s’est déroulée du 24 au 30 octobre 2022 sur le thème « Faire grandir le Québec, un enfant à la fois ». « La Semaine vise à souligner le précieux travail qu’accomplissent le personnel éducateur en installation et les personnes responsables d’un service de garde éducatif en milieu familial (RSGE), de même qu’à mettre en valeur le métier », indique le ministère de la Famille sur son site.
Educateur de la petite enfance : un diplôme en 3 ans
Cette communication volontariste sera-t-elle suffisante pour susciter assez de vocations et pallier la pénurie ? Au Québec, il n’existe pas de diplôme équivalent au bac. À la fin du secondaire, les élèves obtiennent un diplôme d’études secondaires 5. Ensuite, ils peuvent choisir de continuer dans un collège d’enseignement général et professionnel (cégep) qui peut mener à des études universitaires.
Différents parcours permettent de devenir éducatrice qualifiée d’enfants de 0 à 12 ans.
En formation initiale, les candidats doivent obtenir un diplôme d’études collégiales (DEC) Techniques d’éducation à l’enfance (TEE) au cégep. Un nouveau programme de bourses a été mis en place par le gouvernement en 2022 pour attirer davantage d’étudiants dans cette voie. Les candidats passent trois années au cégep et valide 22 compétences tout en suivant des cours généraux et complémentaires pour ouvrir leurs horizons. Ils suivent également trois stages. « C’est très exigeant comme études, mais leur diplôme leur assure un emploi à 100 % », observe Nicole Malenfant.
Pour les éducatrices en emploi mais qui ne sont pas qualifiées, deux mesures ont été mises en place par le ministère de la Famille. Le parcours travail-études aboutit à l’obtention en alternance d’une attestation d’études collégiales (AEC, sans les cours généraux et avec 17 compétences à valider).
Une démarche de reconnaissance des acquis offre un soutien financier qui peut aller jusqu’à 96 heures rémunérées (RAC 96).
Un niveau bac pour les responsables de service de garde éducatif en milieu familial
En milieu familial, le niveau de qualification exigé pour les RSGE est inférieur à celui des éducatrices qualifiées en CPE mais elles ont, au minimum, un niveau d’études secondaires 5 (équivalent au niveau bac en France). Pour devenir responsable d’un service de garde éducatif en milieu familial, il faut faire une demande auprès du bureau coordonnateur, suivre une formation de base de 45 heures, puis s’engager à se former six heures par an. « Les RSGE reçoivent des visites improvisées d’agents de conformité envoyés par le bureau coordonnateur tout en ayant un statut de travailleuse autonome, pointe Nicole Malenfant. Mais elles ne sont pas en vase clos. Si elles en éprouvent le besoin, elles peuvent demander un soutien auprès d’une agente pédagogique. »
Les RSEG qui ne souhaitent pas rester seules peuvent également prendre une assistante. Dans ce cas, elles peuvent accueillir chez elle jusqu’à neuf enfants. Le gouvernement vient également de mettre sur pied un projet pilote pour élargir l’offre et pallier le manque de places. Il permet à deux RSGE de se jumeler et d’accueillir jusqu’à 12 enfants dans des locaux prêtés par les municipalités ou des organismes.
Evaluation de la qualité éducative
Depuis le 8 décembre 2017, tous les SGEE doivent participer à une mesure d’évaluation et d’amélioration de la qualité éducative en vertu de l’article 5.1 de la Loi sur les Services de garde éducatifs à l’enfance. Le ministère de la Famille est responsable de veiller à l’application de la Loi. « Des évaluatrices sont formées pour procéder à cette évaluation qui est vraiment très sérieuse, remarque Nicole Malenfant. Ces évaluations ne pénalisent pas mais elles pointent les faiblesses et les forces. Les services de garde ont la responsabilité de redresser les situations qui ont été ciblées. »
Depuis que les évaluations existent, « la population sait davantage que les CPE ont moins de faiblesses à redresser que les garderies, remarque Nicole Malenfant. D’où leur grande popularité auprès des familles. » La contrepartie, ce sont des listes d’attente en CPE plus ou moins longues selon les régions.
Au CPE La Boîte à Soleil de Chambly (rive sud de Montréal), la liste d’attente est d’environ 2 000 noms…
« Les places sont attribuées par date d’inscription des parents et selon les priorités décidées à notre CPE, détaille Nathalie Charbonneau. Nous priorisons les enfants des membres du personnel ; la fratrie des enfants fréquentant déjà le CPE ; les enfants ayant des besoins particuliers ; les enfants référés via des ententes particulières que nous avons avec les Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) et les enfants de la liste centralisée. »
Un programme éducatif dans chaque service de garde
Pour élaborer leur programme éducatif, tous les services de garde éducatifs à l’enfance se réfèrent au programme cadre du gouvernement de 196 pages intitulé Accueillir la petite enfance. « Il a été élaboré en 2019 à partir d’une recension des écrits et de références scientifiques sur le développement des enfants (incluant les neurosciences), dans la perspective d’être le plus à jour possible. Aussi, le processus de rédaction a nécessité l’implication de plusieurs intervenants, dont certains issus du milieu universitaire et spécialisés en petite enfance », explique le ministère de la Famille et des Aînés. Le programme éducatif conçu par les services de garde « s’appuie principalement sur le jeu pour remplir les objectifs suivants : soutenir l’enfant dans ses apprentissages ; favoriser son développement global ; promouvoir de saines habitudes de vie (alimentation, jeu actif, etc.) ; soutenir le développement de comportements prosociaux », détaille Nicole Malenfant.
Le Québec en chiffres
Population (2022) : 8 695 659
Enfants de moins de 4 ans (2022) : 421 638
Educatrice ou éducateur qualifié(e) : 21 338 (CPE : 15 906, garderies subventionnées : 5 432)
Educatrice ou éducateur non qualifié(e) : 4 967 (CPE : 3 060, garderies subventionnées : 1 907)
Enfants de 4 ans inscrits en préscolaires (2021) : 16 133
Sources : Institut de la statistique du Québec et ministère de la Famille.
Anne-Flore Hervé
PUBLIÉ LE 07 novembre 2022
MIS À JOUR LE 07 octobre 2024