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Élisabeth Laithier, présidente du Comité de filière petite enfance : « Sans moyens humains et financiers, on ne pourra pas mettre en œuvre un véritable service public de la petite enfance »

Elle sait se faire discrète et respectueuse des institutions eu égard à ses responsabilités et à sa position de présidente du Comité de filière petite enfance, nommée par Adrien Taquet, alors secrétaire d’État à l’Enfance et aux Familles. Mais n’hésite pas, quand elle le juge opportun et important, à prendre des positions fermes notamment via LinkedIn. Ce fut le cas récemment par exemple pour brocarder la proposition de loi sur les écrans dans les lieux d’accueil des deux députés LR Annie Genevard et Antoine Vermorel-Marques. Élisabeth Laithier est une voix qui compte dans la petite enfance. État des lieux de la petite enfance aujourd’hui via son regard averti et résolument en faveur des professionnels de la petite enfance.

Les Pros de la Petite Enfance : Il y a un an, l’IGAS publiait son rapport choc sur la qualité d’accueil et la prévention de la maltraitance dans les crèches. Qu’est-ce qui a changé depuis ?

Élisabeth Laithier :  Ce rapport a permis une prise de conscience au plus haut niveau de l’État. Ce qui était connu dans le cercle des professionnels a été porté au grand jour. Aujourd’hui plus personne ne peut jouer les ignorants sur la situation dans certaines structures. Il a aussi, je trouve, ouvert un espace chez les professionnels qui osent parler plus volontiers d’éventuels dysfonctionnements ou faits de maltraitance sans craindre de mettre en difficultés une collègue comme ce pouvait être le cas auparavant. Ce rapport a permis tout cela. Il existe et pourrait éventuellement refaire surface si nécessaire. Il ne peut tomber dans l’oubli.
Mais ce sont les 39 recommandations constituant la deuxième partie du rapport qui a mon sens sont les plus importantes. Car elles sont constructives et tournées vers l’avenir. C’est ce qui m’intéresse le plus car c’est ce qui permet que ce qui est décrit ne se reproduise plus. Et cela ne signifie pas que je balaie les cas de maltraitance mais je ne veux pas m’éterniser dessus.

Concrètement, qu’est-ce qui a été fait en réaction à ce rapport ?
Il faut rappeler que les 39 recommandations ont nourri le plan qualité de l’accueil du SPPE qui devait être présenté à Nancy le 30 juin 2023. De façon très concrète, les articles 17 et 18 de la loi sur le Plein Emploi prévoient deux mesures de contrôles précises : d’une part, les autorisations d’ouverture des EAJE sont données pour 15 ans (ndlr : et non pas pour une durée illimitée) et, d’autre part, chaque EAJE sera évalué tous les 5 ans a minima.
On peut aussi faire référence aux trois missions lancées : celle de l’IGAS/IGF sur les micro-crèches (ndlr : dont le rapport a été rendu public le 25 mars dernier), celle confiée à Florence Dabin et enfin l’ex mission Frossard sur les référentiels qualité aujourd’hui reprise par Nicole Bohic.

Jean-Christophe Combe avait coutume de dire que le SPPE devait marcher sur ses deux jambes : qualité et quantité. Les promesses gouvernementales sur le nombre de création de places d’accueil sont ambitieuses. Craignez-vous que la quantité ne devienne la priorité absolue au détriment de la qualité ?
C’est un risque en effet. Il y a ces annonces chiffrées du gouvernement… mais cela arrive – nous le savons tous – que les objectifs ne soient pas atteints !
Plus sérieusement, il y a une pression importante des familles et du monde du travail pour que les femmes puissent bénéficier d’une solution d’accueil pour aller travailler. Je comprends ce besoin.
Néanmoins, on ne peut pas jouer avec la sécurité et la vie d’un enfant. Si je devais faire le choix entre ouvrir des places d’accueil supplémentaires et garder la qualité d’accueil, en mon âme et conscience, je choisirais la qualité.
C’est d’ailleurs pourquoi au Comité de filière petite enfance que je préside, nous essayons de rendre ces métiers de la petite enfance plus attractifs, car la clef de la qualité ce sont des professionnels en nombre suffisant, bien formés et mieux rémunérés.

Justement parlons rémunérations. Les revalorisations salariales des professionnels de la petite enfance tardent à venir et cela crée des tensions entre les gestionnaires et leurs salariés mais aussi entre gestionnaires qui ne sont pas tous logés à la même enseigne. Qu’en dites-vous ?
Je comprends l’impatience des professionnels. Cela étant, il faut rappeler que nous partons de très loin car le secteur jusqu’à présent n’avait jamais connu de tentative d’unification et de revalorisations.
Il me semble que l’État a joué sa partition. Et certaines dissensions aujourd’hui me questionnent car elles remettent en cause des règles fixées dès le départ notamment par Jean-Christophe Combe. Ces règles n’ont pas été posées pour différer la mise en œuvre des revalorisations mais tout simplement pour inscrire dans le temps une vraie filière de ces métiers de la petite enfance qui n’existait pas. Les revalorisations, c’est une affaire sérieuse, ce n’est pas un « coup », ce n’est pas une prime, c’est un travail de fond pour créer une filière pérenne.

Vous qui êtes une ancienne élue petite enfance, comprenez-vous la déception des professionnels du secteur public ?
En tant qu’ancienne maire adjointe petite enfance de Nancy, je comprends la crainte des salariés liée au Rifseep. Leur crainte est double : d’une part, les revalorisations ne compteront pas pour leurs points de retraite, d’autre part certaines collectivités ne joueront peut-être pas le jeu et ne voteront pas d’augmentation, ou bien trop tard, ou bien trop faible…
Cela étant je suis optimiste et je fais confiance à mes ex-collègues pour être des acteurs à part entière de ces revalorisations car ils savent que l’accueil de la petite enfance est primordial pour la vitalité de leurs communes.

Comprenez-vous que ces professionnels soient revalorisés de 100€ nets tandis que leurs collègues du privé pourront l’être de 150 € ?
C’est un choix politique qui a été fait par le gouvernement que je ne commenterai pas.

Un peu d’impatience aussi du côté l’accueil individuel qui se sent délaissé…
Je comprends les assistantes maternelles mais il me semble que dans cet immobilisme actuel, pour beaucoup c’est affaire de calendrier. Si nous reprenons la chronologie : en juillet résolution du Comité de filière petite enfance, fin octobre rencontre de la ministre Aurore Bergé avec les représentants des assistantes maternelles pour présenter le plan pour l’accueil individuel reprenant la plupart des propositions du Comité de filière, puis remaniement ministériel… Sarah El Haïry est en poste depuis moins de trois mois… et n’a pu encore reprendre de façon très concrète le plan.
Néanmoins, il y a eu des avancées, des mesures qui sont actées.
La prise en charge par Pajemploi de deux mois d’impayés dès l’automne 2024, puis de trois mois en janvier 2025 ; la réforme du Cmg emploi direct en janvier 2025 ; le triplement de la prime d’installation des assistantes maternelles ; les aides aux Mam.
Il est vrai que sont encore en attente, le guide ministériel sur les Mam, la nomination d’un médiateur pour fluidifier et apaiser les relations des assistantes maternelles avec les PMI encore trop souvent conflictuelles et imprévisibles, le travail sur les crèches familiales etc.
Il est donc urgent, très urgent même, de se ressaisir et de travailler ce plan pour l’accueil individuel. Les assistantes maternelles l’attendent.

Il y a donc une sorte de temps suspendu en ce moment. Il ne se passe pas grand-chose dans le secteur entend-t-on dire… Pensez-vous que ce soit le calme avant la tempête ?
Je ne l’espère pas. Même s’il est parfois bon de dire les choses, de dire stop, ça suffit ! Mais je ne pense pas que c’est dans une situation de violence ou de crise que l’on résout les problèmes de façon durable. Oui c’est calme, et je serai la première à souhaiter que cela aille plus vite ! Cette année 2024 parait un peu plate par rapport à 2023. Sans doute parce que c’est l’année de l’écriture des décrets et des arrêtés liés à la réforme des services aux familles et à la loi sur le plein emploi. C’est un travail invisible. Cela donne l’impression d’un temps d’arrêt mais ce n’est pas le cas.

Gabriel Attal, le Premier ministre, dans son discours de Viry-Chatillon sur la jeunesse, a repris à son compte la proposition de loi tendant à interdire les écrans dans les lieux d’accueil, proposition de loi que vous aviez largement critiquée. Cela vous a surpris ?
Avec tout le respect que je dois à la personne et à la fonction de Gabriel Attal, je dois dire que j’ai été très surprise et que je désapprouve.
Cette proposition de loi me parait inutile, contre-productive et sa vérification me parait impossible à mettre en œuvre.
Inutile parce que tous les professionnels de la petite enfance où qu’ils exercent savent depuis des années la dangerosité des écrans pour les jeunes enfants. Dans toutes les crèches ou RPE que j’ai visités l’affiche de 3-6-9-12 de Serge Tisseron est en bonne place !
Contre-productive parce qu’elle jette le discrédit sur des professions qui n’en ont pas besoin alors même que depuis plus de deux ans au Comité de filière nous travaillons à les revaloriser !
Enfin, faudrait-il mettre un gendarme ou un pro de PMI derrière chaque assistante maternelle et à l’entrée de chaque EAJE pour veiller au respect de la loi ?

Depuis presque six mois, la commission d’enquête parlementaire sur le modèle économique des crèches et la qualité d’accueil travaille. Les auditions s’enchaînent. Qu’attendez-vous de ses conclusions ? Par ailleurs, vous – présidente du Comité de filière et ex rapporteure générale de la concertation territoriale sur le service public de la petite enfance – n’avez pas été auditionnée, cela vous semble-t-il normal ?
J’attends de découvrir le rapport pour me prononcer. Je le lirai avec curiosité. J’ai suivi quelques auditions. Le choix de certaines personnes m’a parfois étonnée. J’ai été amusée par celle d’un néphrologue qui ne connaissait pas du tout le secteur.
Je ne méprise pas le travail accompli cela dit je ne pense pas que ce rapport aura le même impact que celui de l’IGAS qui lui restera dans les annales.
Je n’ai pas été auditionnée et je ne le serai pas. Je précise que j’avais été convoquée un mardi à 19h. Prévenue 48h à l’avance, sachant que pour rappel j’habite Nancy. J’ai expliqué que ce n’était pas possible à cette date et à cet horaire. Durant trois mois je n’ai pas eu de nouvelles. Puis il y a quelques semaines, on m’a envoyé un questionnaire à remplir par écrit. J’ai décliné.

Que pensez-vous du rapport IGAS/IGF sur les micro-crèches Paje ?
Le Comité de filière petite enfance n’a pas émis d’avis sur ce rapport. Il n’en a même pas discuté. Je préfère donc m’abstenir de tout commentaire.

Presque deux ans et demi que vous présidez le Comité de filière petite enfance. Quel bilan de ces années de travail ?
Il faut vraiment être conscient que la petite enfance et ses professionnels sont à un tournant. Si on ne donne pas les moyens humains et financiers pour accroître en nombre et en qualité la formation des professionnels de la petite enfance, on ne pourra pas mettre en œuvre un véritable service public de la petite enfance, c’est-à-dire : offrir une solution d’accueil à toute personne qui le demande.
Le Comité de filière, structure unique en son genre de par sa composition et ses prérogatives, a impulsé et continue d’impulser une dynamique et toutes sortes d’initiatives. Désormais la balle est dans la camp du gouvernement.
 

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Propos recueillis par Catherine Lelièvre

PUBLIÉ LE 22 avril 2024

MIS À JOUR LE 30 septembre 2024

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