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L’accueil de la petite enfance au Portugal
Un investissement financier massif dans les structures d’accueil, des aides spécifiques pour les familles les plus défavorisées, des professionnels hautement qualifiés… La politique de la petite enfance du Portugal fait partie des plus favorables aux familles au sein de l’Union européenne.
Grâce à l’entrée progressive des Portugaises sur le marché du travail, les structures collectives d’accueil pour les 3 à 6 ans se sont significativement développées dans les années 1970. Avant cette décennie, l’accueil des jeunes enfants au Portugal était informel et, historiquement, une affaire privée.
En 2006, le pays adopte le programme PARES du sommet de l’Union européenne de Barcelone. Ce programme prévoit le développement de l’offre d’accueil avec comme objectif la couverture de 33 % des enfants de moins de 3 ans. « En 2010, le Portugal l’avait atteint. En 2011, ce taux était de 35 % », précise l‘étude européenne sur les systèmes d’accueil collectif des jeunes enfants (EY/ FFEC, septembre 2021). En 2017, le pays le dépasse largement puisqu’il affiche un taux de couverture de 47,5 %. Désormais, le Portugal se place parmi les pays avec les politiques les plus favorables aux familles au sein de l’OCDE et de l’Union européenne selon le rapport de l’UNICEF Are the world’s richest countries family friendly ? (Juin 2019).
Un faible coût (parfois la gratuité) pour toutes les familles, quel que soit le type d’accueil choisi
Les dépenses publiques par enfant – liées à l’accueil de la petite enfance et à l’enseignement préscolaire – ont augmenté de + 20 % entre 2005 et 2015 (soit 1 400 $ par enfant en 2015, contre 1 160 $ par enfant en 2005). Le pays a continué à investir alors que le nombre d’enfants de moins de 6 ans a baissé d’environ 20 % (546 000 enfants en 2015, contre 672 000 en 2005).
Au Portugal, faire garder son enfant représente un coût supportable pour les familles. Les restes à charge, calculés par l’OCDE en 2015 pour un accueil à temps complet, sont faibles par rapport à la moyenne européenne. Il est de 4,3 % pour une famille de deux enfants âgés de 2 et 3 ans avec les deux parents qui travaillent (l’un avec un revenu à 100 %, le second à 67 %). À titre de comparaison, la moyenne OCDE est de 12,9 % et la moyenne de l’Union européenne de 10,7 %. Pour une famille monoparentale de deux enfants âgés de 2 et 3 ans, ce reste à charge baisse à 1,9 % contre 15,5 % et 12,6 % en moyenne dans l’OCDE et dans l’UE.
Pour financer l’accueil en crèche, une aide est versée par l’administration publique aux parents bénéficiaires des services sociaux. Elle s’adresse à « toutes les familles de jeunes enfants, à partir de l’âge de 3 mois, accueillis au sein d’une crèche privée de solidarité sociale (IPSS), d’un établissement privé marchand reconnu ou par des accueillants à domicile agréés par la Sécurité sociale. Le montant de cette aide financière mensuelle est fixé par règlement et calculé selon les revenus du ménage », détaille l’étude européenne.
Du côté des structures collectives marchandes, il existe des accords entre les crèches et les employeurs qui proposent des avantages à leurs employés. « Ces avantages font partie de la rémunération de l’employé et permettent à l’employeur et à l’employé de bénéficier d’allègement d’impôt sur le revenu (converti en tickets) pour le paiement de l’accueil en crèche de leur enfant », précise la même étude. De plus, dans certaines communes, un soutien financier est prévu pour les familles avec des faibles revenus pour l’accueil de leur enfant dans une crèche privée.
Enfin, depuis septembre 2020, les familles avec des revenus très faibles peuvent bénéficier, à partir du deuxième enfant, d’un accueil gratuit en crèche. Cette mesure a été instaurée par le gouvernement portugais dans un objectif de soutien à la natalité et à la parentalité ainsi que de lutte contre la pauvreté. Elle concernerait près de 49 000 enfants issus de familles défavorisées.
Deux ministères, un accueil « séparé » selon l’âge des enfants
Le début de l’enseignement obligatoire au Portugal (école primaire) commence à l’âge de 6 ans. Le modèle d’organisation de l’accueil du jeune enfant distingue les moins de 3 ans et les enfants plus âgés. Il est dit « séparé ».
- Jusqu’à l’âge de 3 ans, l’accueil collectif est organisé au sein des crèches : des établissements privés marchands ou des établissements privés dits de solidarité sociale (IPSS), c’est-à-dire à but non-lucratif. Les amas (assistantes maternelles) assurent l’accueil individuel à domicile. Elles travaillent de manière indépendante ou dans des groupes de crèche familiale. Pour ces modes d’accueil (collectif et individuel), l’autorité de tutelle est le ministère du travail, de la solidarité et de la Sécurité sociale (Ministério do Trabalho, Solidariedade e Segurança Social). L’évaluation externe est effectuée par un autre organisme que celui en charge d’évaluer l’enseignement. Elle a pour principal objectif d’évaluer la qualité des structures.
- Les enfants âgés de 3 ans jusqu’à l’âge de 6 ans peuvent bénéficier de 25 heures par semaine d’éducation gratuite dans les jardins d’enfants (établissements publics et privés à but non-lucratif). Cette place gratuite est légalement garantie pour tous les enfants à partir de l’âge de 4 ans. Dans ces établissements, la tutelle relève du ministère de l’éducation (Ministério da Educação).
Un mode d’accueil principalement collectif assuré par des crèches privées à but non lucratif ou marchandes
Au Portugal, l’accueil en crèche est assuré majoritairement par des établissements privés à but non-lucratif (les établissements dits « IPSS »). La majorité des enfants (80 % environ) sont accueillis dans ce type d’établissement. « En 2018, sur les 2 570 crèches et 117 300 places au Portugal, plus de 20 % étaient des crèches marchandes », chiffre l’étude européenne. Mais le nombre de places est limité dans les grandes agglomérations. Aussi, une part importante (plus de 30 %) d’établissements privés marchands est observée dans les zones urbaines et les grandes villes du Portugal (Setubal, Porto et Lisbonne).
Concernant la part des moins de 3 ans fréquentant les modes d’accueil collectifs, elle a augmenté (+ 18 %) entre 2010 et 2019 malgré une légère baisse du nombre de structures collectives (-3 %). Les enfants de moins de 3 ans y passent en moyenne 39 heures par semaine. Ce nombre d’heures est à associer à un taux d’activité élevé des mères d’enfant de moins de 3 ans (70 %) et une faible part des mères à temps partiel (moins de 10 %). Par ailleurs, le Portugal fait partie des rares pays (sept des 22 pour lesquels les données sont disponibles) où le taux de fréquentation des enfants de moins de 1 an est supérieur à 10 %. En 2017, 19 % des enfants âgés de moins d’un an fréquentaient un accueil collectif.
Le taux de participation des moins de 3 ans à un mode d’accueil individuel à domicile assuré par les amas est, quant à lui, très faible : seulement 1,5 % pour les enfants âgés de 1 an. Même taux pour les enfants âgés de 2 ans. L’offre d’accueil individuel a d’ailleurs fortement diminué entre 2014 et 2019 (-35 %). Cette baisse s’explique en partie par la baisse de la natalité au Portugal depuis 2010. « Elle peut également être liée à des exigences élevées en termes de réglementation sur la formation des professionnels (notamment la formation continue), qui s’appliquent tant pour l’accueil collectif que pour l’accueil individuel », stipule l’étude européenne.
Des professionnels hautement qualifiés et des taux d’encadrement variables selon les âges
Au Portugal, dans les établissements d’accueil de jeunes enfants, les travailleurs principaux doivent posséder un niveau master (niveau 7), y compris pour les enfants de moins de 3 ans alors qu’une licence au minimum est requise pour devenir responsable d’une crèche. Les personnels de soutien possèdent un niveau secondaire supérieur (c’est-à-dire trois années de professionnalisation non universitaire).
Dans chaque structure collective, il y a environ un travailleur principal pour deux assistants selon les tranches d’âge des enfants accueillis, soit environ 50 % des professionnels. L’étude européenne détaille plus précisément les ratios fixés par la Sécurité sociale de la manière suivante :
- Pour les enfants de moins de 12 mois : huit enfants pour deux professionnels (un enseignant pour jeunes enfants – responsable du développement des activités – et un assistant spécialisé petite enfance),
- Pour les 12-24 mois : 10 enfants pour deux professionnels (un enseignant pour jeunes enfants – responsable du développement des activités – et un assistant spécialisé petite enfance),
- Pour les 24-36 mois : 12 enfants pour deux professionnels (un enseignant pour jeunes enfants – responsable du développement des activités – et un assistant spécialisé petite enfance).
- « Le Portugal est l’un des seuls pays européens (avec l’Islande) où un niveau aussi élevé est requis pour devenir travailleur principal pour l’accueil des plus jeunes », lit-on de même source. Et aux auteurs de l’étude de noter « qu’il n’existe pas de réglementation relative au niveau de qualification minimal pour les travailleurs en charge des groupes d’enfants de moins de 1 an. »
Des pratiques pédagogiques à affiner
Concernant les pédagogies mises en œuvre dans les crèches, un ensemble de lignes directrices éducatives est en cours d’élaboration. Mais, selon une note européenne publiée en juillet 2019 par la caf.fr (L’accueil du jeune enfant en Espagne, Italie et Portugal : la sortie du modèle de la mère au foyer), « chaque crèche est dotée d’un projet pédagogique qui inclut un plan d’activité socio pédagogique qui inclut des activités éducatives ainsi que des objectifs en termes de compétences motrices, cognitives, émotionnelles et sociales ».
En conclusion, l’étude européenne remarque une corrélation entre, d’un côté, le niveau élevé de qualification des professionnels associé à l’augmentation du nombre de jeunes enfants accueillis en structure d’accueil collectif et, de l’autre, une progression du classement PISA du Portugal dans les trois domaines évalués (lecture, mathématiques et sciences) sur les dix dernières années. Aux épreuves de compréhension de l’écrit, le pays est passé de la 25e place en 2012 à la 19e place en 2018.
Le Portugal en chiffres
- Population totale : 10 291 027 en 2018 (contre 10 494 672 en 2005)
- Nombre d’enfants de moins de 3 ans : 259 533 en 2018 (contre 332 619 en 2005)
- Part des moins de 3 ans dans la population totale : 2,9 % en 2018 (contre 2,6 % en 2005)
- Nombre d’enfants de moins de 6 ans : 515 660 en 2018 (contre 671 974 en 2005)
- Part des moins de 6 ans dans la population totale : 5 % en 2018 (contre 6,4 % en 2005)
- Taux de participation des moins de 3 ans (accueil collectif uniquement) : le Portugal a connu une forte progression du taux de couverture des moins de 3 ans par des modes d’accueil formels, en passant de 35 % en 2011 à 47,5 % en 2017
Anne-Flore Hervé
PUBLIÉ LE 21 février 2022
MIS À JOUR LE 29 décembre 2023