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L’accueil de la petite enfance en Suisse
L’accueil de la petite enfance en Suisse illustre son fédéralisme. La compétence étant cantonale, il y a autant de formes organisationnelles que de cantons (26) pour accueillir les 0-4 ans. Nous avons choisi de nous concentrer tout particulièrement sur deux cantons très dynamiques, francophones et frontaliers : celui de Vaud et de Genève. Dans ces territoires, l’accueil de jour augmente et se caractérise par une exigence de qualité avec un coût conséquent pour les familles. Mais l’offre de places ne satisfait toujours pas la demande et une pénurie du personnel qualifié commence à se faire sentir.
Une compétence cantonale impulsée par la Confédération
En Suisse, l’accueil de la petite enfance a beaucoup évolué ces vingt dernières années. Auparavant, tout ce qui touchait à la famille restait dans la sphère privée. Aujourd’hui, l’offre institutionnelle s’est considérablement développée, mais de manière disparate selon le territoire. « Il n’y a pas d’harmonisation nationale, confirme Astrid Wüthrich, vice-directrice de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS). La Confédération soutient les cantons par le biais de la politique familiale, mais l’accueil ne relève pas de ses compétences. »
En Suisse romande (francophone), le taux de fréquentation des structures extra-familiales est d’environ 50 %. En Suisse italienne, moins d’un quart des enfants fréquentent une structure d’accueil de jour. « Ce sont souvent les grands-parents, les proches et les voisins qui s’occupent des enfants quand les femmes travaillent », développe Astrid Wüthrich.
L’offre de places dans le préscolaire dépend également de la dynamique économique de chaque canton avec des différences nettes entre les villes et les campagnes. Reste que, quel que soit le canton, le manque de places est une réalité vécue par les familles et « la Suisse est le pays de l’OCDE qui dépense le moins dans le secteur de la petite enfance, école enfantine comprise », selon le CHSS, la plateforme journalistique de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS).
Une gouvernance à plusieurs étages
La politique de la petite enfance en Suisse se caractérise par une répartition des tâches entre les communes, les cantons et la Confédération ainsi que par des liens étroits avec les activités d’organisations non gouvernementales et les initiatives privées. Les communes interviennent sur le terrain et la Confédération impulse tout le territoire. Au milieu, les cantons coordonnent.
« Chaque canton fait sa loi », résume Anne Nagy, coordinatrice petite enfance dans le canton de Genève pour le réseau associatif Pop a poppa. Comme il y a 26 cantons, il y a autant d’organisations et de modes de financement pour accueillir les enfants de 0 à 4 ans, l’école étant obligatoire en Suisse à partir de 4 ans. « Il existe néanmoins un cadre légal au niveau confédéral, rappelle Valérie Berset, cheffe de l’Office de l’accueil de jour des enfants (OFAJ) du canton de Vaud. L’ordonnance sur le placement d’enfant (1977) traite de plusieurs situations, dont le placement à la journée, et donne des indications. C’est le chapeau commun de tous les cantons. »
L’ordonnance stipule notamment que les structures d’accueil sont soumises à un régime d’autorisation et de surveillance au moins tous les deux ans. En 2005, un amendement met en avant le bien-être de l’enfant. La politique de la petite enfance en Suisse a pour objectif commun « d’offrir aux enfants la possibilité de se développer en toute sécurité, de grandir sainement et de bénéficier de l’égalité des chances », stipule un rapport de 2021 sur la politique de la petite enfance du Conseil fédéral.
Le rôle des communes, quant à lui, consiste à satisfaire le besoin d’accueil – ou tendre à – en assurant le nombre de structures et de places adéquates. Certaines communes délèguent l’exploitation de leurs structures à des associations comme Pop a poppa qui exploite 54 structures d’accueil réparties dans huit cantons suisses. D’autres communes les municipalisent. À Genève, le modèle est hybride. « La ville a un projet de municipalisation des structures car les associations s’essoufflent, constate Christophe Boire, directeur petite enfance d’un réseau de 200 places à Genève pour une association de parents. Les nouvelles structures qui sortent de terre aujourd’hui sont municipales. L’idée est d’aboutir à un modèle unique. »
Le dispositif vaudois : innovant mais complexe
Dans le canton de Vaud, le dispositif Petite enfance est considéré comme le plus abouti et aussi le plus innovant. « Il n’en demeure pas moins complexe, tempère Sylvie Lacoste, secrétaire générale de la Fondation pour l’accueil de jour des enfants (FAJE). Les familles ont toujours du mal à comprendre qui fait quoi. » Pour essayer d’y voir clair, un retour en arrière s’impose. Il y a quinze ans, une loi pour l’accueil de jour des enfants a été négociée entre tous les partis politiques présents sur le canton, les milieux économiques, les associations professionnelles petite enfance et tous les niveaux institutionnels (cantonal et municipal), chacun ayant sa sphère de compétence et de décision.
« Sa première originalité réside dans le fait qu’il s’agit d’un partenariat public/privé très poussé, note Sylvie Lacoste. Si les acteurs économiques ont accepté de participer financièrement au dispositif de manière considérable, c’est pour faciliter l’articulation famille-travail de leurs salariés. »
Que dit la loi cantonale sur l’accueil de jour des enfants (LAJE) du 20 juin 2006 ? Les communes, qui sont les maîtres d’œuvre de l’accueil de jour au travers de réseaux d’accueil, doivent tendre à satisfaire le besoin d’accueil de jour qui regroupe le préscolaire (0-4 ans), le parascolaire (4-12 ans) et l’accueil en milieu familial (assistante maternelle). « Il s’agit d’une obligation de moyens mais pas une obligation de résultats, précise Sylvie Lacoste. S’il n’y a pas de place, les parents ne peuvent pas poursuivre une commune. »
Néanmoins, chaque commune doit identifier et répondre aux besoins de la population aujourd’hui et demain ainsi que planifier, cofinancer et réaliser les projets de création. La charge est donc lourde pour les municipalités. Afin de fédérer les efforts et mutualiser les moyens, elles se regroupent en réseaux. « Sur le canton de Vaud, il existe 32 réseaux pour 300 communes », comptabilise la secrétaire générale de la FAJE.
Enfin pour coordonner, reconnaître les réseaux d’accueil tous les cinq ans et les subventionner, la Fondation pour l’accueil de jour des enfants (FAJE), organisme cantonal de droit public indépendant de l’État, est créée. « Avant la FAJE, des structures d’accueil existaient mais elles fonctionnaient au bon vouloir des communes du canton. Cette fondation est unique en Suisse, précise Sylvie Lacoste. Quel que soit le poids de l’employeur vaudois, il verse à la FAJE un pourcentage de sa masse salariale. »
Un accueil encore trop coûteux pour les familles
En Suisse, il y a une multitude de modèles de financement. « Les plus fréquents reposent sur un financement du sujet, direct (bons d’accueil) et indirect (modèles de coûts normatifs), en particulier en Suisse alémanique. Les modèles de financement de l’objet (paiements directs aux prestataires visant à réduire leurs charges) sont surtout appliqués dans les cantons qui connaissent un cofinancement par l’employeur », détaille le CHSS. Mais il n’y a que quatre cantons (Fribourg, Genève, Neuchâtel et Vaud) sur 26 où les employeurs participent. « Le canton de Vaud est le premier », souligne Valérie Berset. Les autres contributeurs sont le canton et les communes. « La part des employeurs et celle des cantons sont les plus importantes mais les communes fournissent au départ les locaux et financent les charges d’exploitation », détaille Sylvie Lacoste. La fondation redistribue ensuite cet argent au travers d’une politique de subventionnement pour soutenir les réseaux dans le développement de leur accueil.
« Il y a néanmoins deux conditions pour recevoir les subventions de la FAJE, indique la secrétaire générale. Les tarifs sont proportionnels aux revenus des parents et les plus élevés ne doivent pas être supérieurs au prix coûtant. » Par ailleurs, la FAJE ne finance pas les structures privées qui représentent 20 % de l’offre dans le canton de Vaud. Dans le canton de Genève, 87 % des places offertes dans les crèches sont subventionnées ou exploitées par les communes.
« Les tarifs sont plafonnés et une grille, réajustée tous les ans, existe en fonction du revenu de parents », précise Christophe Boire. Les places restantes sont financées soit par des institutions de droit public (4 %), soit par des entreprises (3 %), soit par des organisations internationales (1 %) ou ne reçoivent aucune subvention (5 %), selon l’Observatoire cantonal de la petite enfance. Mais quels que soient le mode de financement et les subventions qui en découlent, le constat est national : l’accueil de jour reste cher pour les parents. « En parité de pouvoir d’achat, les parents dépensent en moyenne beaucoup plus pour la garde de leurs enfants en Suisse que dans les autres pays étudiés », relève le CHSS. Par ailleurs, « en raison des nombreux modèles de financement et d’acteurs, de grandes disparités existent dans les tarifs parentaux », ajoute la plateforme journalistique. Par exemple, dans le canton de Vaud où les places sont subventionnées en fonction des revenus des parents, il existe 32 grilles tarifaires qui correspondent aux 32 réseaux de communes…
Un manque de places constant malgré l’augmentation de l’offre
Depuis 2003, la confédération finance une aide au démarrage pour les structures qui se créent en Suisse. « Le canton de Vaud est un gros bénéficiaire, signale Valérie Berset. Le nombre de places a doublé en douze ans. »
Environ 350 places plein-temps en préscolaire se créent ainsi en moyenne par an. « Mais elles servent à maintenir le taux de couverture », déplore la cheffe de l’OFAJ. Et l’offre ne satisfait toujours pas la demande des familles.
Même constat dans le canton de Genève. L’accueil préscolaire de jeunes enfants s’est fortement développé depuis 2010. En dix ans, 36 nouvelles structures (ouvertes au moins 45 heures par semaine et au moins 45 semaines par an) ont été créées, passant de 82 à 118 structures selon l’Observatoire cantonal de la petite enfance. Depuis 2015, on compte en moyenne l’ouverture de quatre nouvelles structures par an. Malgré ces chiffres, « à Genève comme ailleurs, il n’y a pas suffisamment de places pour accueillir tous les enfants de 0-4 ans », constate Christophe Boire.
Ces besoins exponentiels s’expliquent aussi par l’évolution de l’emploi des femmes. 80 % des mères de 0-15 ans travaillent dont 80 % à temps partiel. Il y a quinze ans, ce temps partiel était essentiellement un revenu d’appoint (40 à 50 %). Aujourd’hui, une majorité des femmes travaillent entre 60 et 80 %.
Résultat, « dans le canton de Vaud si le nombre d’enfants à temps plein est marginal, la moyenne est de trois journées complètes par semaine. C’était rare, il y a dix ans », observe Sylvie Lacoste. Au-delà de l’attraction économique et de la croissance démographique, le contexte sociétal est aussi à prendre en compte pour évaluer et anticiper les besoins.
Un métier valorisé mais une pénurie d’éducateurs
Dans le canton de Vaud, la loi cantonale de 2006 révisée en 2018 fixe un double objectif : développer la quantité et assurer la qualité. « Quand on parle de la qualité, on doit avoir des normes sur laquelle se fonder, explique Valérie Berset. C’est la compétence de l’OFAJ d’éditer un cadre de référence et un référentiel de compétences (qualification du personnel). » Ce cadre stipule par exemple que l’encadrement est composé de 80 % de professionnels de la petite enfance et 20 % d’autres personnels encadrants. Parmi les professionnels, qui dépendent du département de l’Instruction, la moitié sont des éducateurs et l’autre moitié des assistants sociaux éducatifs. Les premiers issus des hautes écoles ont un diplôme tertiaire (équivalent bac + 3), les seconds un diplôme secondaire obtenu en trois ans d’apprentissage après l’école obligatoire. Il n’y a pas d’obligation légale de formation continue « mais elle est rendue possible par les employeurs. C’est dans l’ADN métier qui est valorisé », remarque la cheffe de l’OFAJ. Les directives, qui distinguent l’accueil à la journée pour les 0-4 ans et l’accueil à la demi-journée pour les 2 ans et demi à 4 ans, « exigent aussi que nos institutions présentent un concept pédagogique : valeurs, objectif, approche, place des parents, formation continue… », poursuit Valérie Berset.
À Genève, « le canton réfléchit beaucoup à l’accueil des enfants à besoins spécifiques et tout ce qui tourne autour du sensoriel se développe », constate Christophe Boire. Arnaud Deroo, pychopraticien qui intervient auprès de professionnels de la petite enfance à Genève confirme : « il y a une véritable démarche éducative et qualitative. Les professionnels ont des heures de préparation hors présence des enfants. Les EJE frontaliers que je croise apprécient. » Vu de France, le salaire (qui correspond au coût de la vie suisse) est aussi attrayant. Plus de 3000€ ! Le canton de Vaud a fait augmenter la capacité de formation des hautes écoles d’éducateurs pour anticiper la pénurie de professionnels formés car l’augmentation des places chaque année nécessite aussi davantage de personnel pour encadrer. « Mais les structures ont du mal à recruter, particulièrement cette année.Est-ce des désertions post-covid ? C’est en tout cas un sujet de préoccupation », conclut Valérie Berset.
Article publié dans la lettre hebdo du 27 juin 2022
La Suisse en chiffres
8 670 300 habitants dont 19,9 % de moins de 20 ans.
Canton de Vaud
(source : site officiel de l’État de Vaud et la FAJE)
823 881 habitants en 2021 dont 22 % de moins de 20 ans.
10 300 places en crèches (à temps d’ouverture élargi) en 2020.
22,5 %, c’est le taux de couverture en préscolaire atteint en 2019 (29,2 % si l’on tient compte de l’ensemble des structures subventionnées et non subventionnées).
3,4 %, c’est le taux de couverture global en accueil familial en 2019
Canton de Genève
(source : Observatoire cantonal de la petite enfance)
506 765 habitants en 2019 dont 20,8 % de moins de 20 ans
7 433 places en crèches fin 2021. Depuis 2015, près de 250 places sont créées chaque année.
8 751 enfants de 0 à 4 ans accueillis en 2021 (1,2 enfant par place).
35,6 % c’est le taux de l’offre d’accueil pour les 0-4 ans.
300 accueillantes familiales de jour en 2021.
Anne-Flore Hervé
PUBLIÉ LE 27 juin 2022
MIS À JOUR LE 07 octobre 2024