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Lancement de la Commission d’enquête parlementaire sur les crèches : les dessous du vote
Mardi 28 novembre en fin d’après-midi, les députés se sont prononcés en faveur de la création d’une commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et la qualité d’accueil dans ces établissements. Les débats n’ont pas apporté grand-chose au sujet, chacun étant resté campé sur ses positions. Mais au moment du vote (173 pour, 161 contre) il y a eu quelques surprises. Retour sur les débats de l’hémicycle et le point sur ce qui devrait se passer dans les prochains jours.
Une proposition de résolution élargie à toutes les crèches
La proposition de résolution portée par le député LFI William Martinet s’intéressait, à l’origine, exclusivement aux crèches du secteur privé, mais amendée en commission des affaires sociales par LR, son périmètre avait été élargi à toutes les crèches quel que soit leur statut. C’est donc cette version issue des travaux de la commission des affaires sociales que William Martinet, rapporteur, a présenté en séance publique le 28 novembre. L’exposé des motifs avait été largement mis en cause par la commission, jugé à juste titre partial et donnant par avance les réponses aux questions abordées par l’éventuelle commission d’enquête parlementaire,
C’est probablement ce qui a poussé le rapporteur à adoucir ses propos introductifs. La relève de toute façon était prise par les députés de son groupe inscrits comme orateurs.
Il y a mis du sien, William Martinet, dans l’exposé oral de sa résolution ! Il a insisté sur le fait que la commission d’enquête s’intéressait à toutes les crèches (de quoi rassurer la majorité présidentielle et la droite), il a évoqué la qualité d’accueil et l’intérêt des enfants (pour répondre aux critiques des auteures du rapport de la mission flash lancée par la délégation aux droits des enfants). Evidemment, il n’a pas caché ses convictions et dans sa deuxième partie d’intervention a rappelé ses doutes (c’est un euphémisme !) quant au privé lucratif et notamment quant aux big four nourris aux fonds d’investissement. Enfin, dernière tentative pour rassurer et l’emporter : c’est une commission d’enquête transpartisane, et sa composition sera le reflet des différentes forces politiques de l’Assemblée nationale. Elle ne sera pas sous l’emprise de LFI et de ses croyances et présupposés.
L’hémicycle, théâtre des egos et des postures
Il paraît que ce sont les règles du jeu, mais force est de constater que personne ne s’écoute à l’Assemblée nationale ! Chacun expose son point de vue sans tenir compte de ce qui a été dit précédemment (d’où certaines redites, reprises du rapport de l’IGAS et des deux livres publiés à la rentrée) : les enfants privés de nourriture pour faire des économies et non changés pour les mêmes raisons, le décès de la petite fille à Lyon ont été cités par tous les orateurs. Comme si tout devait être figé, une bonne fois pour toute en fonction de son camp politique. On est loin de la petite enfance, mais il semble que ceux qui s’étonnent ainsi sont considérés comme bien naïfs.
Donc chaque groupe, via un orateur désigné, a expliqué et motivé son vote à venir.
Thibaud Bazin pour Les Républicains (celui là-même qui avait fait voter ses amendements à la commission des affaires sociales), avec une certaine mauvaise foi (ou manque de travail) fait reposer tout son argumentaire sur le texte original qui ne portait que sur les entreprises de crèches ! Propos virulents, légèrement hors sujet avec une conclusion attendue : les députés LR voteront contre cette résolution.
Perrine Goulet (Modem et présidente de la délégation aux droits de l’enfant) a la rancune tenace. Elle n’a pas pardonné au député Martinet de l’avoir accusée de lancer sa mission flash pour contrer sa commission d’enquête, pas pardonné de ne pas avoir utilisé son droit de tirage pour la proposer. Avec beaucoup d’opiniâtreté, elle a démonté l’initiative, la jugeant inutile, faisant perdre du temps, vantant la qualité du travail des deux députées en charge de la mission flash, Isabelle Santiago et Michèle Peyron et les recommandations audacieuses de leur rapport. Pour elle, il faut aller vite et désormais tout miser sur une proposition de loi reprenant ces recommandations et celles de l’IGAS.
Michèle Peyron, oratrice du groupe Renaissance, s’est exprimée dans ce sens et contrairement à ce qui avait d’abord été envisagé, a prôné non l’abstention, mais un vote contre, égrenant les arguments des uns et des autres : parti-pris anti-privé de principe de LFI, inutilité d’un nouveau rapport (tout a été dit, il faut agir !), périmètre de la mission trop axé financement et pas assez qualité et besoins des enfants, etc. Puis, a promis qu’elle mettrait toute son énergie pour qu’une proposition de loi puisse être étudiée et adoptée.
La surprise permettant l’adoption de la résolution est venue de là où on ne l’attendait pas : du côté du groupe Horizons. Avec une argumentation sobre et équilibrée. Ne gommant pas les imperfections de la résolution, mais saluant son élargissement, Frédéric Valletoux a jugé qu’elle était nécessaire et pouvait apporter des éclaircissements sur la situation des modes d’accueil. Il a donc annoncé que son groupe voterait pour. Et c’est réellement cette prise de position (différente de celle prise en commission des affaires sociales) qui a permis l’adoption de la résolution.
Car, comme attendu, les groupes de « gauche » apparentés ou pas à la Nupes, et le Rassemblement national ont annoncé soutenir cette commission d’enquête parlementaire, point de vue qu’ils avaient déjà adopté en commission des affaires sociales, le 15 novembre dernier.
Pour aller plus loin : découvrez la séance du 28 novembre 2023 en vidéo
Résolution adoptée par 178 voix contre 161
Le vote de la commission d’enquête parlementaire sur les crèches s’est déroulé en scrutin public et électronique. 349 votants, 339 suffrages exprimés, 178 pour l’adoption de la résolution, 161 contre et 10 abstentions.
Dans le détail :
- les 100 députés présents dans l’hémicycle du groupe Renaissance (170 députés) ont voté comme un seul homme contre la résolution.
- Les 46 députés (sur 88) du Rassemblement national ont tous voté pour cette résolution.
- Les 68 députés France Insoumise (sur 75) ont voté pour.
- Côté Les Républicains (groupe de 62 membres), 30 députés ont voté contre et deux se sont abstenus.
- Le groupe Démocrates (Modem et indépendants – 51 députés), 29 ont voté contre et un député, Philippe Lacombe, a choisi l’abstention.
- Le groupe socialiste et apparentés (31 députés non membres de la Nupes) : les 17 présents se sont prononcés en faveur de la résolution.
- Les votes d’Horizons (30 députés) ont été plus nuancés : 11 pour, 2 contre (dont Christophe Paul, vice-président de la commission des affaires sociales) et 1 abstention.
- Pour le groupe Gauche démocrate et républicaine (22 membres), les 11 députés présents ont voté pour. Les écologistes (23) : les 16 députés présents ont voté pour.
- Le groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (21 membres) s’est partagé entre un vote pour (9) et l’abstention (3).
- Enfin, sur les 4 non-inscrits, les deux députées présentes se sont abstenues.
Des réactions contrastées
La FFEC a fait contre mauvaise fortune, bon cœur et dégainé un communiqué dans la foulée du vote. Elle prend acte, collaborera à cette commission d’enquête parlementaire, mais demande de toute urgence une loi de programmation petite enfance pour 2024. Du côté du ministère des Solidarités et des Familles, le cabinet d’Aurore Bergé a fait savoir que cette commission d’enquête ne gênerait en rien l’action de la ministre. Et on insiste aussi sur le fait que la ministre n’a fait aucunement pression sur les députés de la majorité pour qu’ils s’opposent à cette résolution (rumeur qui circulait avec insistance).
Les associations et syndicats de professionnels de la petite enfance applaudissent des deux mains. Cyrille Godefroy, co-secrétaire général du SNPPE, se réjouit particulièrement de l’élargissement de la commission d’enquête à toutes les crèches quels que soient leurs gestionnaires. En revanche, durant la retransmission du débat, le syndicat n’a pas caché son désappointement, voire sa colère en écoutant les interventions de Perrine Goulet et Michèle Peyron. Ils se sont sentis lâchés. Et l’ont fait savoir par des tweets musclés.
Mmes @MichelePeyron et @perrinegoulet, comment pouvez-vous annoncer que vos groupes parlementaires vont voter contre la PPR sur la CE sur les crèches ?
Le @SnppeFr ne vous remercie pas et se demande sincèrement si vous comprenez réellement le contexte de la petite enfance ?— SNPPE (@SnppeFr) November 28, 2023
Et maintenant, la bataille des postes
On le sait, William Martinet porteur depuis le début de cette résolution créant une commission d’enquête parlementaire sur les crèches, vise le poste de rapporteur. Donc ce sera un député de la majorité qui héritera de la présidence. Qui ? Michèle Peyron s’y verrait bien, mais il se dit que le groupe Renaissance lui préférerait une inconnue, nouvelle élue de cette législature, Sarah Tanzilli, députée du Rhône. On pourrait aussi imaginer que désigner à la présidence un ou une députée issu(e) d’une formation opposée à la constitution de la commission d’enquête parlementaire ne serait pas de la plus grande efficacité. Un député Horizons serait alors une bonne option. Inutile de tirer des plans sur la comète, en général ce qui se dit à haute voix n’arrive pas et ce qui se chuchote à voix basse devient réalité. Seule certitude : le bureau (et notamment les 4 vice-présidents) sera le reflet des forces politiques représentées à l’Assemblée (voir encadré).
Ce que permet une commission d’enquête parlementaire
• Elle réunit au maximum 31 membres désignés à la proportionnelle des groupes qui élisent à bulletin secret leur bureau qui doit lui aussi refléter la configuration politique de l’Assemblée. Sont ainsi désignés un président, 4 vice-présidents et 4 secrétaires. Et un rapporteur. Traditionnellement, soit le président, soit le rapporteur est issu de l’opposition.
• Les travaux de la commission ne peuvent durer plus de six mois et débouchent sur un rapport qui est publié (sauf si l’Assemblée s’y oppose). Il peut donner lieu à un débat à l’Assemblée mais sans vote. En général, il donne lieu à des recommandations voire à une proposition de loi.
• Les pouvoirs d’une commission d’enquête sont importants. Les députés membres de la commission ont un droit de citation directe (témoignage sous serment) et le pouvoir de contrôle (accès aux documents comptables et financiers permettant l’exercice de leur mission). Ainsi les personnes convoquées ont l’obligation de répondre à leurs convocations. Les auditions se font sous serment ; les rapporteurs ont des pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place. Enfin les auditions peuvent être publiques et retransmises à la télévision.
Le non-respect de ces obligations peut évidemment entraîner des poursuites pénales.
Catherine Lelièvre
PUBLIÉ LE 01 décembre 2023
MIS À JOUR LE 02 décembre 2023